F1: "Je me suis demandé par où j'allais commencer à brûler", Grosjean raconte son crash en détails

"Ça changera ma vie à jamais." De sa sortie de piste à sa prise en charge par les médecins, de son accrochage avec Daniil Kvyat au moment où il s’est extirpé d’une énorme boule de feu, Romain Grosjean s’est longuement confié à l’AFP ce mercredi en revenant étape par étape sur le violent accident qu’il a subi trois jours plus tôt lors du Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn.
"L'impact n'est pas le plus violent que j'aie connu de ma carrière, bien que les g l'indiquent (le "g" est l'initiale de gravité, c’est une unité de mesure, ndlr). La décélération de 53 g (53 fois le poids de son corps), je n'avais jamais pris ça. Ensuite, je défais ma ceinture tout de suite, j'essaye de sortir de la voiture, je me rends compte que mon casque tape quelque chose. Je me rassieds, je me dis que je suis bloqué et que je vais attendre. Mais sur ma gauche, c'est tout orange, je comprends que ça brûle", raconte-t-il.
"Pas finir comme ça, pas maintenant"
Il a passé au total 28 secondes au milieu des flammes. "Ces 28 secondes m'ont semblé 1 minute 30, mais ça ne m'a pas paru long, parce que j'ai toujours été actif". Je me dis: ‘Pas le temps d'attendre, je vais essayer de sortir sur la droite’. Ça ne passe pas. Sur la gauche, ça ne passe pas. Je me rassieds", explique-t-il. Il pense alors à Niki Lauda, champion autrichien brûlé au visage et défiguré après un accident au Grand Prix d'Allemagne en 1976, et se dit qu’il ne peut "pas finir comme ça, pas maintenant".
"Donc je réessaye de sortir, ça ne passe pas, je me rassieds et je vois la mort, pas de près, mais de trop près", continue-t-il. Un silence, sa voix tremble, son regard se voile. "C'est un sentiment que je ne souhaite à personne. Le corps se relâche, les muscles, la tête, tout. Je me suis posé la question de l'endroit par où j'allais commencer à brûler, si ça allait faire mal, mais je crois que c'est un moment qui permet au cerveau de ‘processer’ (traiter, ndlr) ce qui se passe et d'essayer de trouver une solution."
Il "engueule" le docteur
L’envie de s’en sortir lui vient de sa famille et de ses trois enfants. "Me dire que je ne peux pas les laisser, c'est là que j'ai trouvé la ressource de tirer mon pied bloqué, de tourner la tête, de passer les épaules, de mettre les mains pour me hisser en sachant qu'elles allaient brûler, mais que ça n'était pas grave. Quand je mets le pied sur la barrière et que je m'en sors, c'est le soulagement, je vais vivre", se remémore le pilote français 34 ans. "Aucune panique, j'essaye de refroidir mes mains en les agitant, j'enlève mes gants, car je n'ai pas envie qu'ils collent à la peau."
"Le docteur me demande de m'asseoir et me parle très distinctement. C'est l'anecdote du truc: je l'ai engueulé en lui disant de me parler normalement! Il a dû se dire: ‘Il ne changera jamais Grosjean !’" Vient alors la douleur au pied gauche qu'il pense cassé, mais il tient à marcher jusqu'à l'ambulance. Pourtant "en état de choc", il "veut que l'hélicoptère prenne cette image, que tout le monde voit qu'il marche." C'est qu'il a eu "peur pour les gens à l'extérieur", pas pour lui-même ("moi, j'étais un peu occupé"), et tient à les rassurer, à commencer par sa famille. Arrivé au centre médical, "je commence à trembler fort avec la douleur et le choc", ajoute-t-il.
"Je n'ai pas de cauchemars"
Jean Todt, le président de la Fédération internationale de l'automobile, le rejoint: "Voir des visages familiers n'a pas de prix." C'est là aussi que le pilote de l'écurie Haas peut enfin parler à son épouse. Depuis, il "suit les indications des médecins pour récupérer au plus vite" et il a consulté la psychologue du sport qui le suit depuis des années.
"Pour l'instant, je n'ai pas de cauchemars, de pensées, de flashs ou de peur, mais ça ne veut pas dire que ça ne va pas venir et c'est pourquoi on va continuer à en discuter", dit-il. Si sa main gauche le lui permet, il espère participer au dernier GP de la saison à Abou Dhabi le 13 décembre, "pour savoir où j'en suis".
Celui qui dispute vraisemblablement sa dernière saison en F1 se laissera ensuite du temps. "La limite qui s'impose à moi pour le futur n'est pas la peur que ça se reproduise mais de ne plus jamais refaire vivre ça à mes proches. Il y a une semaine, prendre une année 'off' me semblait impossible. Aujourd'hui, je me dis que je vais faire du kitesurf, des courses de vélo, voir mes enfants, m'amuser, boire du vin. Ça changera ma vie à jamais. Je suis content de voir tout le monde, même les journalistes... Et manger un burger, c'est génial!"