"Je me faisais cracher dessus dans la rue": pourquoi Alain Prost a quitté la France pour la Suisse dans les années 1980

Il n’était pas encore une légende de la Formule 1, mais un pilote en train de s'affirmer parmi les meilleurs. Au début des années 1980, Alain Prost a pourtant décidé de quitter la France pour s’installer en Suisse afin de fuir l’hostilité d’une partie de la population française à son égard. À l’occasion de la sortie du documentaire "Prost" sur Canal+, le quadruple champion du monde, en a révélé les raisons dans plusieurs interviews.
Sa position sur l'élection de Mitterrand et le GP de France 1982 comme déclencheurs
"C'est venu, je pense, en deux temps", a-t-il situé dans l’émission Clique sur Canal+. "En 1981, quand il y a l'élection de François Mitterrand, j'ai pris des positions politiques, peut-être que je n'aurais pas dû, mais en fin de compte, sincèrement, je n'ai rien dit d'exceptionnel. (...) Deuxième évènement, c'est 1982, au Grand Prix de France, l'incident avec René Arnoux. Il y a une consigne d'équipe qu'il ne respecte pas, mais en fin de compte, c'est moi qui passe pour le salopard."
"C'est à ce moment-là, quelques semaines après, où je décide de partir de France, parce que là, j'ai vraiment des messages, une voiture brûlée, des messages de mort", reprend-il. "Je me faisais cracher dessus dans la rue, en voiture. Ça m'est arrivé une fois ou deux quand même, c'est très bizarre. C'est là où j'ai découvert le 50/50 de cette mentalité un peu française, qui fait que vous avez des gens qui vous adorent, ils trouvent que c'est génial ce que vous faites et puis d'autres qui sont un mélange de jalousie et de haine. Pourquoi? Je ne sais pas."
Il dément un exil fiscal en Suisse
Il a davantage détaillé ses explications sur le plateau de C à Vous sur France 5. "En 1981, quand il y a eu l’élection de Mitterrand, j’ai donné mon avis, comme un citoyen et ça n’a pas beaucoup plu", répète-t-il. "À l’époque, j’étais chez Renault qui était la régie nationale (la régie nationale des usines Renault était la propriété de l’Etat à 100%, NDLR). En 1982, c’est le Grand prix de France. À l’époque, la fiabilité des voitures n’était pas au top et l’équipe – pas moi – avait décidé que René Arnoux, mon coéquipier, aurait un peu plus de puissance pour faire le lièvre. Ce qui a très bien marché puisque les deux Williams ont abandonné, on s’est retrouvé un et deux. Et dans ce cas-là, je devais récupérer la victoire puisque j’étais le mieux placé au championnat du monde. Il n’a pas accepté, il a gagné la course - une sorte ‘d’injustice’ - mais c’est moi qui passe pour le mauvais."
Il s’amuse d’une anecdote à son retour de la course. "En rentrant à Saint-Chamond, je m’étais arrêté dans une station-service et le gars (le pompiste) me prend pour René Arnoux et me dit: ‘bravo pour aujourd’hui parce que ce con de Prost…’ J’ai montré ma carte Elf avec mon nom dessus, et c’était symboliquement le plein le plus cher que j’ai à faire."
Il a alors quitté la France pour la Suisse, après avoir d’abord envisagé de s’installer en Angleterre. "Je signe avec McCormack, la grande agence sportive de l’époque et j’ai dit: ‘la seule chose que je veux, c’est partir de France’. Ils décident de me mettre en Angleterre, ce qui était très bien parce que je me disais que je roulerais pour des équipes anglaises dans le futur (ce qu’il fut avec McLaren et Williams). Je fais mon déménagement, je paie mon quitus fiscal mais la veille de partir, il (son agent) me dit: ‘j’ai une opportunité pour aller en Suisse mais il faut créer un ou deux emplois et avoir une somme, quelque chose symboliquement’. Je voulais monter une agence de pub avec un copain. Le lendemain, j’ai attendu toute la journée pour avoir mon visa, je suis resté trois semaines à l’hôtel."
En révélant ce côté inopiné et précipité de ce déménagement, Alain Prost entend balayer l’idée d’un exil fiscal. "Par rapport à la légende sur le problème fiscal… Je suis parti avec l’équivalent de 30.000 euros", ajoute-t-il. J’avais quand même fait trois ans de Formule 1 et cinq victoires. A l’époque, la relation avec l’argent était très loin de ce qu’on peut penser. On était tous passionnés, la seule chose qu’on voulait, c’était gagner. La passion était autour de tout le monde, les pilotes, les ingénieurs, les mécanos et même les médias. C’est quand même très différent aujourd’hui. "