Tambay : « Senna a changé la F1 »

Un bio pic sur la légende Senna sort mercredi sur les écrans français - -
Patrick Tambay, quel souvenir gardez-vous d’Ayrton Senna ?
J’ai souvenir d’un pilote ultra professionnel. Il a modifié la manière de travailler du paddock. Je me souviens de lui au Portugal (en 1984) quand il pilotait une Tolman, une voiture de fond de grille. Il était venu jusqu’à la première ligne pour voir les gommes Michelin que chacun utilisait. Il était totalement impliqué dans la relation avec ses ingénieurs. Il était celui qui partait le plus tard du paddock, il restait 10 heures, il dinait sur place… Il voulait établir des relations durables avec tous les acteurs de la F1.
C’est un pilote qui attaquait sans cesse, qui concevait la F1 comme un art…
Il avait une vitesse de pointe extraordinaire. Il a fallu attendre Michael Schumacher et sa Ferrari pour lui enlever de nombreux records, de meilleur tour en course, de victoires, de pole… Il disait se trouver parfois en état second à la sortie d’une séance de qualification, comme s’il avait regardé l’exercice de l’extérieur, porté par une force supérieure…
Sa rivalité avec Alain Prost était-ce un choc de culture ?
Oui, Alain était plus âgé, il avait plus de saisons sous la ceinture, il avait évolué aux côtés de Niki Lauda, connaissait la gloire et le succès. Le jeune Senna l’a obligé à se modifier, à s’améliorer. Alain partait au golf se relaxer après les séances de débriefing, Ayrton lui a imposé d’autres horaires. Il a imposé son style et sa méthode à Alain et à tout le paddock. C’est resté la façon de travailler aujourd’hui.
Où étiez-vous le 1er mai 1994, date de l’accident mortel à Imola ?
(Silence) J’étais impliqué auprès de l’équipe Larousse… (Silence) Je ne préfère pas aller plus loin…
Comment expliquer cet accident dans le virage de Tamburello, le premier après le départ ?
On ne peut pas l’attribuer à une faute de pilotage. La veille il n’était pas satisfait de sa colonne de direction. Un élément mécanique de suspension est venu transpercer le casque… On sait qu’il a essayé de freiner dès qu’il a compris que l’arrière de la monoplace à décroché. Il saute sur les freins avant de taper le mur. La Williams de 94 était faite de telle manière que le cockpit n’était pas de dimension qui correspond à la réglementation actuelle.
La mort de Senna a eu un retentissement énorme, alors que la F1 avait connu d’autres drames comme celui de Villeneuve en 1982. Pourquoi un pareil écho ?
C’était un personnage hors du commun, il faisait rêver. Il a perdu la vie alors qu’il menait la course en direct devant des millions de téléspectateurs (300 millions). Il y avait eu d’autres drames, celui de Ronnie Peterson à Monza, Gilles Villeneuve à Zolder, Roland Ratzenberger en qualifications la veille d’Imola… On était des gladiateurs, mais les caméras ont fait que c’est resté très fort dans la mémoire des gens.
« On pourrait faire ce genre de film pour Gilles Villeneuve »
Cet accident a crée un déclic pour la sécurité des pilotes…
Oui, il y a eu une prise de conscience radicale. On a équipé les monoplaces avec des crash box devant, derrière, sur les côtés, cockpits renforcés, protections de la nuque et des cervicales. Les circuits ont aussi été sécurisés, dans les virages, les zones de dépassement. Maintenant, quand il y a un choc à haute vitesse on a peu de conséquences importantes sur les pilotes et sur les monoplaces.
Pourquoi avoir attendu plus de quinze ans avant de tourner un long métrage sur Senna ?
Il a probablement fallu trouver les personnes justes, éplucher les archives, pour donner un document qui révèle sa vie, sa passion et sa mort. C’est un bel hommage rendu à sa mémoire, mais on pourrait faire ce genre de film pour Gilles Villeneuve. Même drame, mourir au combat. Ce sont deux tempéraments qui n’auraient pas voulu autre chose.