Giannakis : « Il faut du temps »

Panagiotis Giannakis - -
Panagiotis, avez-vous été surpris par le championnat de France ?
Pour moi, ce qui est un petit peu surprenant, c’est que je ne sais pas s’ils lisent beaucoup les nouvelles idées du basket. Il faut comprendre que nous faisons partie du monde. Le basket, le sport plus généralement, est globalisé. Le basket n’est ni français, ni grec, ni serbe, ni américain, ni russe, ni espagnol. Le basket est mondial. Vous pouvez voir beaucoup de choses dans le monde et c’est bien si vous pouvez faire coopérer les différentes idées. Vous devez les respecter. Et voir si vous pouvez prendre quelque chose. Dans ma vie, j’essaye d’avoir l’esprit ouvert pour voir tout ce qui se passe dans le basket.
Pensez-vous que le basket français est refermé sur lui-même ?
Ça y ressemble. Pour le moment, en tout cas. Mais je pense qu’ensemble, on va essayer de changer ça.
Comment jugez-vous le début de saison de votre équipe ?
Les nouvelles choses sont toujours difficiles à installer. Pour moi, pour mes joueurs, pour nos adversaires. Mais le plus important, c’est d’avoir la passion de s’améliorer. Et il faut travailler dur, aussi. Ces deux éléments m’ont donné beaucoup de satisfaction dans le passé. Donc j’ai une grande foi en ça.
Vous n’êtes pas inquiet par les trois défaites à domicile…
Je suis toujours inquiet. Si vous ne vous inquiétez pas, vous ne vous améliorez pas. Mais vous devez savoir que travailler dur et avoir confiance vous donneront, à la fin, des résultats. Forcément, quand de nouvelles choses arrivent, il faut du temps pour qu’elles deviennent des habitudes. Et quand la culture et la mentalité sont différentes, vous avez besoin parfois de plus de temps. Nous sommes venus ici (avec Nikos Linardos, son assistant) pour construire une équipe européenne, pas seulement pour jouer en Pro A. Ça demande du temps. Dans un premier temps, on se bat contre nous-mêmes. Les joueurs apprennent à jouer différemment et essayent de jouer différemment. Ils veulent travailler en ce sens et pour moi, c’est bien. Même si on a fait quelques erreurs jusqu’à présent que nous devons corriger.
Vous avez un effectif très large, avec 12 joueurs. Ce choix est-il le bon ?
On doit comprendre certaines choses. Une équipe professionnelle doit jouer deux matchs par semaine au moins et peut-être trois dans le futur. Vous devez avoir au moins dix joueurs et d’autres pour les entraînements, pour permettre à ceux qui jouent plus de récupérer, et de manière à toujours préparer l’étape d’après. Vous devez avoir beaucoup de joueurs avec le même temps de jeu. Vous ne pouvez pas le faire avec un effectif plus court.
Ce n’est pas très commun en France…
Oui, mais nous devons arriver à ce niveau, à cette façon de penser. Si vous construisez une équipe avec des joueurs qui jouent plus de 30 minutes par match, vous ne pouvez pas aller au haut niveau européen.
Vous pensez dès à présent au haut niveau européen ?
Je pense toujours au plus haut. Nous ne sommes pas prêts. Mais nous devons nous préparer comme si nous y étions. C’est le plus important.
Pour les clubs français, l’Euroligue est très compliquée…
Vous pouvez avoir la chance d’y aller, mais comment allez-vous la saisir ? En courant, en sautant, en tirant, vous pouvez faire quatre ou cinq matchs très, très bons dans la saison. Vous ressemblerez à l’une des meilleures équipes d’Europe. Mais si les autres matchs sont décevants, mauvais, ce n’est pas bon. C’est un long travail. Et vous devez y aller pas à pas.
Se qualifier pour une compétition européenne est-il d’ores et déjà un objectif ?
Pour moi, pour passer à l’étape suivante, il faut déjà savoir comment la maitriser. Quand vous êtes sur le banc, que vous regardez le match, vous devez savoir ce que vous devrez faire pour l’équipe en entrant en jeu. Des fois, les 6 ou 7 joueurs qui entrent sont meilleurs que les 4 ou 5 qui étaient sur le terrain. Pour y arriver, il faut apprendre. La qualité de jeu, ce n’est pas la manière dont vous commencez ou finissez les matchs. Il faut être tout le temps concentré et s’améliorer. Si un joueur peut jouer deux ou trois rôles dans le même match, ça veut dire qu’il peut jouer au plus haut niveau. La plupart des joueurs ne veulent jouer qu’un seul rôle. Ça les maintient à un bas niveau. Ils peuvent bien jouer quelques fois, mal jouer d’autres fois. Mais ils ne peuvent pas supporter le plan de jeu.
Etes-vous satisfait de vos joueurs à l’heure actuelle ?
Ils essayent. La seule chose que j’attends d’eux, c’est qu’ils soient plus durs. Mais ils essayent et je suis très content de ça. Nous devons toujours faire plus. Des fois, ils sont fatigués. Mais si vous n’êtes fatigué, vous ne progressez pas. Ils disent qu’ils sont fatigués. Mais pour moi, c’est bien. J’espère que dans quelques mois, nous serons meilleurs.
Les supporters risquent d’être moins patients…
Nous avons une vision différente. Je suis coach, ils sont supporters. Je les comprends. Ils veulent que ça aille vite. Mais ce n’est pas le meilleur moyen d’aller vers le sommet. Souvent, les choses qui arrivent vite, repartent vite. Nous devons nous battre ensemble, encourager nos joueurs. Même si on n’aime pas quelqu’un, on doit le soutenir jusqu’à ce qu’il quitte Limoges. Parce que s’il récupère un ballon, s’il met un lancer-franc ou s’il empêche un tir de rentrer, ce sera bon pour Limoges. Pour moi, n’importe quel « Limougeaud » (en français) est le meilleur. C’est ma façon de penser. C’est comme ça aussi que tout le monde aimera venir à Limoges. Jusqu'à présent, on n’a pas satisfait les supporters. Mais ils doivent être sûrs que nous allons les satisfaire dans le futur.
Les joueurs adhèrent-ils à votre méthode ?
J’essaye de leur expliquer clairement et très souvent. Je peux le faire à chaque entraînement, même pendant les matchs. On analyse les matchs en vidéos, aussi, pour qu’ils voient comment de bons professionnels réagissent. Je sais que ça va être difficile. Jusqu’à présent, je ne peux rien reprocher aux joueurs parce qu’ils essayent. Ils ne sont pas encore arrivés au niveau que nous souhaitons. C’est logique. La différence entre un professionnel et un bon professionnel, c’est la capacité à connaître plusieurs scénarios. Un bon professionnel peut avoir plusieurs scénarios pour jouer, tirer, défendre. J’essaye de leur apprendre ces différents scénarios pour faire d’eux de meilleurs professionnels.
Vous voulez des joueurs intelligents…
Oui, des joueurs qui veulent travailler avec leurs têtes. Vous courez, vous vous fatiguez, mais vous réfléchissez. C’est la seule manière d’être un bon professionnel et de durer, aussi. Je pense qu’ils essayent de comprendre ça. C’est bon pour eux.
Certains vous disent-ils que c’est trop dur ?
Si vous ne repoussez pas vos limites, vous ne progressez pas. Vous ne vous découvrez pas vous-même. Si vous voulez y arriver, je dois vous pousser au bout de vos limites. C’est mon boulot. Je dis aux joueurs : ‘‘le plus facile pour moi serait de ne pas vous pousser au bout de vos limites et de vous changer, de prendre quelqu’un d’autre à votre place’’. Mais non, je préfère que ce soit plus dur, que ça me fatigue moi-même, parce que le futur passe par de nouveaux joueurs, pour que le basket aille encore plus haut.
Est-ce une méthode que vous avez déjà expérimentée en Grèce ?
Oui, je l’ai déjà fait. J’avais une équipe en Grèce qui ne se qualifiait pas pour les play-offs (Maroussi, ndlr). On a bâti un programme et on est allé en finale du championnat (en 2004). Nous n’avions pas de si bons joueurs, pas des joueurs très chers. On leur a appris comment jouer, comment contrôler le jeu. Ça prend du temps. Et le temps travaille pour nous.
Vous avez eu quelques problèmes avec les arbitres français. Comment l’expliquez-vous ?
Je respecte tout le monde. Je sais qu’ils aiment aussi le basket. Mais je pense que le meilleur arbitre, c’est celui qu’on ne voit pas du tout quand on regarde un match. Je comprends qu’ils fassent des erreurs, parfois. Moi, quand je fais une erreur, je regarde la vidéo et j’essaye de la corriger. J’espère qu’ils font pareil. Et qu’ils veulent progresser, parce que la façon d’arbitrer peut améliorer le jeu en France. S’ils sifflent comme en Euroligue ou dans les matchs internationaux, ça permettra aux joueurs de mieux s’adapter à ce genre de rencontres. S’adapter, ça concerne les joueurs, les entraîneurs et les arbitres. Nous sommes une famille. Nous travaillons pour le basket. Nous devons le faire progresser et nous respecter.
Le président, Frédéric Forte, a dit que Limoges n’aura jamais dix millions d’euros de budget. Avez-vous les moyens de réussir ?
L’argent est un outil. Mais le plus important, c’est le programme. En Europe, beaucoup d’équipes ont de l’argent mais leurs programmes sont pauvres. Elles font venir des joueurs pour gagner des matchs. Mais quand elles n’ont plus d’argent, elles perdent tout. Je connais le président, il aime Limoges. Il veut construire un programme. Il fait le maximum pour apporter de l’argent au club. Mais il essaiera toujours de le dépenser de manière à aider le programme et à avoir l’équipe au haut niveau européen. Ce n’est pas seulement une question d’argent. C’est une organisation, une façon de développer les joueurs et leur caractère. Quand un joueur passe par Limoges, il doit savoir qu’il va apprendre plusieurs choses. Quand il repart, il peut dire ‘‘je sais jouer d’une façon, d’une autre et d’encore une autre, je me suis entraîné d’une façon, d’une autre et d’encore une autre…’’ C’est ma façon de penser. Quand une équipe dépense beaucoup d’argent, ça ne dure qu’un temps. Il n’y a que trois ou quatre équipes en Europe qui peuvent le faire sur la durée, comme le Real Madrid ou le Barça. Ils s’appuient sur leurs clubs de foot, avec de l’argent qui vient de partout dans le monde. Le budget, ici, vient seulement de Limoges. Il faut respecter l’argent, le programme. Le président veut le meilleur pour Limoges.
Avez-vous une idée de votre propre avenir ?
Quand je prends un boulot, je travaille comme si j’allais rester toute ma vie. Le plus facile dans le basket, c’est d’avoir de l’argent, de dire ‘‘ok, je veux celui-ci, celui-là’’. Et s’il n’est pas bon un jour ou pendant un mois, vous le renvoyez et allez chercher un autre joueur. Dans ma carrière de coach, jusqu’à présent, j’ai dû faire quatre ou cinq changements de joueurs. Ce n’est pas ma façon de penser. J’encourage les joueurs, je veux les faire progresser. La seule chose que je leur demande, c’est de se battre à l’entraînement et pendant les matchs, même s’ils font des erreurs. Si quelqu’un ne se bat pas, on le changera peut-être. Mais jusqu’à la fin de son passage à Limoges, on sera avec lui.