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Bordry : « Difficile de dire aujourd'hui que le Tour est propre »

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L'édition 2009 du Tour de France s'est achevée sans aucun contrôle antidopage positif. Pierre Bordry était l'invité de RMC Sport. Le président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) émet plusieurs réserves à ce sujet. Interview.

Pierre Bordry, il n’y a pas eu de contrôle positif pendant ce Tour de France 2009. Cela veut-il dire que tous les coureurs ont été "propres" ?
C’est un peu rapide pour dire cela. Tout d’abord, il faut savoir qu’hier soir, à l’arrivée sur les Champs-Elysées, on n’avait pas encore les analyses du Mont Ventoux. On a en effet à peu près trois jours de retard sur les étapes, car il faut que les prélèvements arrivent au laboratoire, et ensuite il faut encore trois jours pour les examiner. Tant qu’on n’a pas eu la totalité des résultats, il est un peu facile de dire qu’il n’y a pas eu de résultats positifs et que ce Tour de France est propre. Je pense que la plupart des cyclistes sont propres mais je crois aussi qu’il reste encore quelques tricheurs. Et je ne sais pas si on arrivera à les débusquer…

Des tricheurs ?
Nous avons des informations provenant de plusieurs sources, notamment de la course elle-même, nous indiquant qu’il y avait eu des transfusions sanguines. Nous ne savons évidemment pas qui, ni comment, mais nous devrions pouvoir l’analyser si le passeport sanguin fonctionne correctement. Il n’y a en effet pas encore de test précis pour détecter les transfusions autologues, mais il devrait y en avoir un bientôt.

Que voulez-vous dire par des sources venant de la course ? Les organisateurs ont-ils des doutes sur certains coureurs ?
Ce sont en général des collègues de course, furieux qu’il y en ait toujours qui ne pratiquent pas le cyclisme de la bonne façon, avec des procédés qui ne sont pas acceptables. Je ne peux pas donner de noms. Ce ne sont pas forcément des directeurs de course, ce sont des gens qui suivent ou sont dans la course.

Dans combien de temps pourra-t-on savoir si l’édition 2009 de la Grande Boucle était "propre" ou pas ?
Vous avez l’exemple de l’UCI qui a donné un positif du Giro italien seulement vendredi dernier, alors que le Giro est terminé depuis plusieurs semaines. De notre côté, l’agence française a fait des analyses jusqu’au mois de septembre dernier après l’arrivée du Tour 2008, et en refera encore en septembre prochain sur ces mêmes échantillons 2008, plus d'un an après. On pourra dire que ce Tour est propre si aucune analyse n'est positive, mais cela ne prouvera pas pour autant que le Tour ait été entièrement propre, car des procédés peuvent encore nous échapper.

Vous avez gardé des échantillons prélevés sur le Tour de France 2008, et vous allez les tester sur de nouveaux produits ?
Avant le départ du Tour de France, nous avons prévenu un certain nombre de coureurs, une quinzaine environ, que nous allions procéder à un examen rétroactif de leur sang, car nous avions eu des informations nouvelles les concernant et que nous voulions les vérifier.

Cette avertissement à Monaco explique-t-il, d’après-vous, le recul en terme de performance de certains coureurs qui "voltigeaient" en 2008 et qu’on a beaucoup moins vu cette année ?
Je ne peux pas répondre à cette question.

On parle d’une nouvelle forme d’EPO qui aurait circulé cette année dans le peloton, une forme d’EPO pas encore détectable…
On pense qu’il y a deux produits qui ont circulé (pendant ce Tour de France). Ces deux produits seront détectables, mais ne le sont pas encore. L’un est, semble-t-il, assez proche de l’EPO. Je tairai le nom de ce médicament qui n’est pas encore sur le marché. L’autre molécule, pas encore sur le marché elle non plus, permet aux gens de perdre du poids et de renforcer leurs muscles. Nous avons des informations. On nous a rapporté des boîtes de produits qui ont été retrouvées dans des poubelles. On sait donc un certain nombre de choses, mais encore faut-il les prouver.

Sans citer de nom, on n’a évoqué le cas de certains coureurs qui avaient perdu six ou sept kilos depuis qu’ils se consacrent à la route. Pensez-vous que ce type de coureurs aient eu recours à un produit non-autorisée ?
Je ne pense rien concernant un coureur en particulier. Tant qu’on n’a rien prouvé, on ne peut rien dire. Nous savons simplement qu’on peut trouver en vente libre sur internet des produits qui permettent de ne pas prendre de poids et d’avoir plus du muscle. Ce produit existe et circule. Il figure même déjà sur la liste des produits interdits de l’AMA, mais le test n’est pas encore tout à fait au point.

Vous sentez-vous soutenu ? On vous a notamment critiqué en disant que vous en faisiez beaucoup et que cela faisait beaucoup du mal au cyclisme…
Ce qui fait du mal au cyclisme, c’est le dopage ! Pas la lutte contre le dopage… Le plus grand nombre des cyclistes n’est pas dopé. McQuaid a dit qu’il y en avait 50 à surveiller dans le Tour de France, je pense qu’il y en a un peu moins.

On vous sent un peu cynique parfois M. Bordry. On a l’impression que vous êtes sur la réserve, comme si vous ne pouviez pas dire tout ce que vous pensiez réellement sur le sujet…
On sait beaucoup de choses, mais on ne peut pas tout dire. Tant qu’on n’a pas la preuve de ce qu’on dit, il vaut mieux ne pas le faire. Sinon, on se retrouve avec des contentieux délicats. J’essaye de ne dire que ce que je peux dire…

La rédaction