Bernaudeau : « Légitime que Voeckler soit leader »

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Jean-René, trouvez-vous logique que Thomas Voeckler soit désigné leader de l’équipe de France ?
C’est légitime. D’abord, il est fiable depuis longtemps. Donc cette équipe de France autour de Thomas (Voeckler, ndlr), avec un parcours qui lui convient, me paraît normale. Ce groupe est bien fait, donc il y a peut-être moyen de faire une course d’ouverture pour Thomas et d’établir un scénario « à la Voeckler ». Parce que le vrai adversaire de Thomas va être sa réputation.
Qu’est-ce qu’un scénario « à la Voeckler » ?
Un scénario très compliqué et très osé. Dans chaque briefing –peut-être pas aux Championnats du monde parce que c’est géré par nation- chaque directeur sportif dit à chaque coureur que « s’il y a Voeckler dans l’échappée, on ne roule pas ». Parce qu’on ne sait pas comment il va faire mais il va le faire. Le problème pour Thomas, c’est que depuis que je l’ai avec moi (2001, ndlr), je n’ai jamais vu une échappée dans laquelle il était, rouler avec conviction. Tout le monde se demande ce qu’il va se passer.
Croyez-vous qu’il peut gagner cette course ?
Sur ce circuit de Valkenburg, il doit s’imaginer quelque chose. Dans sa tête, il a déjà dû voir où il doit produire l’effort… mais il ne le dira pas. Il préfère limiter les risques de fuites. Pour gagner, il va tout de même falloir qu’il ait de bonnes jambes parce que le niveau est élevé et certains coureurs finissent fort l’année, que ce soit Contador, Gilbert ou Gerrans. Si c’est un grand Voeckler, il sera acteur et ils ne seront pas trente dans le final. Mais il ne néglige pas ses adversaires et doit faire preuve d’humilité, s’il veut gagner. Il va prendre quelques-uns de ses adversaires sur une liste et il va les jauger un par un.
« Thomas fait très peu d’erreurs »
Ne craignez-vous pas que certains coureurs rechignent à rouler pour lui ?
Les coureurs doivent faire abstraction de leurs employeurs pour rouler pour le coureur le plus emblématique, le plus populaire, le plus aimé de tous. Malgré ça, au fond d’eux, certains auront peut-être une petite retenue. Mais je compte sur leur intelligence pour faire gagner l’équipe de France. La sélection de Jalabert est bonne. Sylvain Chavanel, par exemple, est quelqu’un d’honnête. Je l’ai eu cinq ans sous mes ordres (de 2000 à 2004 à Bonjour puis Brioches La Boulangère) et ils se connaissent avec Thomas. Je pense que Sylvain après son titre par équipes (en contre-la-montre par équipe de marque) sera peut-être heureux d’aider Thomas pour qu’il n’ait pas de regrets. Et s’il donne tout, c’est un coureur hors norme.
Quelle réputation a Voeckler dans le peloton ?
Il est malin, intelligent et fort. Il fait très peu d’erreurs. Cette réputation fait qu’on a dû mal à se lâcher avec lui. La France revient parmi les grands pays donc Thomas aura une belle équipe. Maintenant, la pression sur ses épaules est lourde, ce qui est nouveau pour lui. Il a un tel amour de ce sport, de ce maillot bleu-blanc-rouge, qu’il adore et qu’il respecte.
Quelles sont les qualités de Thomas ?
Dans la tête, il est fort et il a une grosse exigence envers lui-même. Il sait se relâcher, en hiver notamment, pour mieux repartir au combat. Et quand il y repart, ce n’est pas pour rire. Ses coéquipiers d’entraînement pourront vous le dire. Au contact de Thomas et de son exigence, tous les coureurs de l’équipe ont placé le curseur un peu plus haut dans ce que l’on appelle « faire le métier. »
Comment se fait-il que Thomas Voeckler ne soit pas très apprécié dans le peloton ?
Ce n’est pas difficile à expliquer. Le milieu du cyclisme vit en vase clos avec des règles. C’est une sorte de caste alors que Thomas est à l’opposé de tout ça. Il ne court pas pour eux, il court pour le cyclisme. Alors, il n’est pas aimé par les quelques gens qui croient faire le vélo. Puis à côté de ça, il y en a des millions qui l’applaudissent. Et pour lui, c’est le public qui importe. Il veut donner des lettres de prestige et de noblesse au sport cycliste pour qu’il aille bien. Sa côte d’amour dans le peloton, il s’en fiche complètement. Il a une haute opinion de son sport et une éthique exceptionnelle.