"On ne s'habitue pas à la pollution": quels risques encourent les coureurs des Mondiaux dans l'air pollué de Kigali?

Urska Zigart a confié en tousser tous les après-midi, Demi Vollering était, elle, tellement à bout de souffle qu’elle pensait avoir échoué très loin du podium du contre-la-montre individuel, qu’elle a achevé… à la troisième place. La Française Juliette Labous est aussi apparue exténuée dimanche. Depuis le début des Mondiaux de cyclisme, dimanche, plusieurs participants ont confié leurs difficultés à rouler à leur niveau en raison de l’altitude, de l’humidité mais aussi de la forte pollution de l’air de la capitale rwandaise.
Interrogé par RMC Sport, le professeur Bruno Crestani, président de la Fondation du souffle et chef du service pneumologie à l’hôpital Bichat, détaille les effets potentiels sur la performance dans de telles conditions. Mais il rassure les coureurs sur leur longue exposition à cet air dégradé dimanche lors de la course en ligne.
Professeur Crestani, quel impact peut avoir la pollution sur la performance des coureurs?
Je ne connais pas la pollution typique de Kigali. J'ai entendu que les coureurs se plaignaient de la pollution liée au trafic automobile et certains décrivaient le fait que visiblement il y avait des pots d'échappement qui émettaient des fumées vraiment très épaisses. Donc, on peut penser qu'il y a une charge en particules très importante. Un cycliste qui fait du vélo hyperventile et ces sportifs là hyperventilent de façon massive et prolongée à l'occasion de leurs efforts. Donc ils vont inhaler des quantités très importantes d'air pollué dans lequel il va y avoir des microparticules ou des nanoparticules qui vont pouvoir atteindre les parties les plus périphériques du poumon. D'autre part, il y a des gaz potentiellement toxiques qui sont des dérivés des oxydes d'azote qui proviennent de la combustion des carburants et qui vont pouvoir toucher le poumon.
"Même quelqu'un de sain peut avoir une authentique crise d'asthme"
Et que cela engendre-t-il?
Lors d’accidents d'exposition à la pollution à concentration particulièrement importante, il peut y avoir des effets immédiats comme des sensations de gêne respiratoire, d'authentiques crises d'asthme ou de crises qui ressemblent à de l'asthme avec un essoufflement, des sifflements. Et ce, que les patients soient asthmatiques ou pas. Même quelqu'un de sain qui est exposé à un air chargé en particules et en gaz potentiellement oxydants comme les dérivés de l'azote peut avoir une irritation des bronches, de la toux, une gêne respiratoire et une authentique crise d'asthme. Ça, c'est en aigu et ça peut arriver à n'importe qui finalement.
Les effets de la pollution se font seulement ressentir après quelques jours?
Non, il peut y avoir des effets immédiats, mais également des effets retardés, c'est-à-dire une gêne au moment où ils hyperventilent et où ils font l'effort. Il peuvent avoir également des effets qui se manifestent 24 heures ou 48 heures après avec une inflammation des bronches qui s'installe et qui persiste dans les jours qui suivent.
Demi Vollering s’est confiée sur l’impact de la qualité de l’air et l’altitude sur sa performance en contre-la-montre. La pollution peut donc instantanément pénaliser le physique d’un coureur?
Premièrement l'altitude, c'est très significatif parce ces sportifs font des efforts intenses à 1500m d’altitude, et ça c'est un point important. Deuxièmement, si elle a une gêne respiratoire, une irritation bronchique, de l'inflammation, ça peut bien sûr avoir un impact sur ses capacités à l'exercice. Ne serait-ce qu'en limitant sa capacité de ventilation. En revanche, elle ne se plaignait pas de tousser. On pourrait penser que quelqu'un qui aurait une irritation des voies respiratoires liée à une exposition à la pollution pourrait avoir de la toux. Or, elle ne s'en plaignait pas du tout.
"On ne s'habitue pas à la pollution"
Existe-t-il un temps d’adaptation pour s’acclimater à la pollution?
Non, on ne s'habitue pas à la pollution et je dirais même que c'est le contraire. Une exposition prolongée à une pollution importante est plus dangereuse qu'une exposition brève. Donc non, on ne s'habitue pas. Plus longtemps on est exposé et plus les effets délétères sont potentiellement importants.
Plusieurs coureurs ont précisé ne pas avoir pu arriver trop tôt à Kigali en raison de leur calendrier surchargé. Cela leur a-t-il aussi permis de ne pas être trop exposé à cet environnement pollué?
Ce sont des professionnels qui savaient que Kigali est à 1500m d'altitude et on peut penser que certains se sont entraînés en altitude avant. Par contre, ça ne sert à rien d'aller s'adapter à la pollution. Au contraire, si vous allez en milieu pollué, vous allez vraisemblablement réduire vos capacités physiques et d'effort, puisque vous allez entraîner une irritation au niveau de vos voies respiratoires. La pollution, ce n'est pas seulement la pollution liée à l'air qu'on respire, car la pollution atmosphérique va aussi avoir des effets en dehors du système respiratoire. Ça peut avoir des effets sur les muscles en périphérie, ça peut altérer la micro-circulation au niveau cardiaque, au niveau cérébral, au niveau musculaire aussi. Ça peut entraîner des micro-thromboses (formation d’un caillot dans une veine ou une artère, NDLR) parce qu'il y a une activation de la coagulation liées aux petites particules qui sont inhalées, franchissent la barrière respiratoire pour passer dans la circulation. Donc on ne s'adapte pas à la pollution, c'est clair.
Les coureurs s’exposent-il à un danger à long terme sur la course en ligne de 270km et en passant 7 heures sur le vélo ce dimanche?
Je ne pense pas qu'il faille raisonner en pensant à la suite de la saison. Effectivement, sept heures d'effort physique avec une hyperventilation maximale en milieu très pollué, ce n'est pas conseillé. En revanche, une fois qu'ils vont être extraits de cet environnement et qu'ils vont revenir dans un environnement plus sain, en quelques jours, ils vont revenir à leur état antérieur.
Il n'y a donc pas de répercussions à long terme quand on revient dans un environnement plus sain?
Non, parce que l'exposition ne va durer que quelques jours.
*Le professeur Bruno Crestani est chef du service de pneumologie à l’hôpital Bichât (Paris), mais aussi enseignant et chercheur au sein de l’Université Paris Cité. Il préside, depuis 2022, la Fondation du Souffle qui est engagée pour favoriser la prévention des maladies respiratoires et faire avancer la recherche. Le week-end dernier, l’Urban Trail sur la Butte-Montmartre de Paris a ainsi réuni 2300 participants et permis de récolter 170.000 euros au profit de la Fondation du souffle.*