Contador, l’opéra d’un retour en grâce

Alberto Contador - AFP
Acte 1 : la désolation du Petit Ballon
Dixième étape du Tour de France. Chris Froome parti sur blessure, Alberto Contador fait figure de favori de la Grande Boucle. La descente du Petit Ballon va lui être fatale. Trait de fracture au tibia droit. « Cela a été diagnostiquée dans le local radio d’ASO, se souvient Philippe Mauduit, directeur sportif de l’équipe Tinkoff-Saxo. Il a été soigné et recousu sur place. » Alberto doit quitter le Tour, rêves de triomphe détruits. Le lendemain, il utilise le jet privé d’Oleg Tinkov (richissime propriétaire de l’équipe Tinkoff-Saxo) pour se rendre à Madrid. Direction la clinique du Real. Après des examens, l’idée d’une opération est balayée. A priori, Contador en a pour cinq-six semaines d’arrêt. Le 19 juillet, contre l’avis de ses médecins (le docteur César Flores, qui s’est occupé de lui, l’a révélé), il remonte sur un vélo chez lui, à Lugano, en Suisse.
Acte 2 : infection et gravillons
Le 22 juillet, la blessure de Contador s’infecte. Le lendemain, Alberto annonce dire adieu à sa participation à la Vuelta. Le 24, le docteur César Flores se rend à Lugano pour rouvrir sa blessure. « Il s’est rendu compte qu’il restait encore du sable et des gravillons dans le fond de la plaie, raconte Mauduit. Il a fallu recoudre à l’intérieur comme à l’extérieur, suturer, et il a déjà perdu 8-10 jours rien que pour ça. Puis il a fallu que ça cicatrise à nouveau avant de pouvoir passer à la préparation physique et de revenir sur le vélo. » Dès le lendemain, le « Pistolero » rend pourtant hommage à Albert Londres en enclenchant son mode forçat de la route : il s’entraîne pendant une heure et demie… uniquement avec la jambe gauche ! Vous avez dit grand malade ?
Acte 3 : à l’heure de la reconstruction
A Lugano, Contador entame une période où il alterne phases d’entraînement et phases de repos. « Il avait un kiné à disposition tous les jours pour les massages et les traitements », précise Mauduit. Un partenariat avec une entreprise lui permet également de profiter d’une machine utilisée par son équipe depuis sa chute en Corse lors du Tour 2013 et qui permet des massages, avec une sorte de fer à repasser envoyant des ondes de choc pour accélérer la récupération cellulaire, système également utilisé par de nombreux clubs de football ou encore Rafael Nadal. Le 13 août, Alberto rentre à Pinto, dans la banlieue de Madrid, son fief. « Il est rentré en Espagne pour les dix derniers jours avant la Vuelta, quand il a vraiment pu s’entraîner normalement, confirme Mauduit. Il s’est entraîné autour de chez lui, sur les terrains qu’il connaît bien. » Le lendemain, il annonce avoir décidé de prendre le départ du Tour d’Espagne. « Comme il a eu des complications, on pensait que ça prendrait plus longtemps que ce que les médecins avaient estimé dans un premier temps, insiste Mauduit. Puis il nous a dit qu’il comptait quand même s’aligner et il était de plus en plus insistant au fil des jours. On s’est dit que s’il avait envie d’y aller, c’est qu’il était motivé. »
Acte 4 : un triomphe comme une rémission
Le 23 août, le départ de la Vuelta est donné à Jerez de la Frontera. « Il est arrivé en forme et sur pied, reconnaît Mauduit. Il avait encore quelques petites douleurs les deux-trois premiers jours mais elles se sont complétement estompées après. » Trois semaines plus tard, Contador boucle la course en vainqueur triomphant avec deux succès d’étape en prime. L’Espagnol remporte sa troisième Vuelta et son sixième Grand Tour, à une longueur seulement du plus beau palmarès de son pays sur ce plan, Miguel Indurain (7 mais aucun Tour d’Espagne). Deux mois pile après sa chute au Tour, l’exploit est immense. Le retour en grâce du champion, magnifique. « Ce n’est pas le genre à s’engager sur une course pour dire qu’il va seulement participer, estime Mauduit. Au fond de lui, il avait envie d’une performance. Après, de là à réaliser ce qu’il a réalisé sur cette Vuelta, non, on ne l’imaginait pas. On croyait qu’il pourrait aller nous chercher un podium ou un top 5 mais on ne pensait pas vraiment à la victoire au départ. Sa coupure n’a pas été très longue et ce n’était pas une fracture ouverte ou avec déplacement mais ce n’était pas rien non plus donc le voir si vite à ce niveau est impressionnant. »
Acte 5 : et maintenant, Alberto ?
Vainqueur autoritaire en Espagne, Contador peut certainement nourrir de la frustration par rapport à son abandon sur le Tour. « C’est du passé et on ne peut pas réécrire l’histoire, répond son directeur sportif. Mais il a réussi à rebondir. C’est un guerrier, ça se voit sur sa tronche. Il se bat, au combat contre lui-même et contre ses adversaires. C’est un vrai champion. » Certain, désormais, d’avoir retrouvé ses meilleures jambes. Et de pouvoir encore les exploiter à l’avenir. « Il était dans la forme qu’il a connue dans ses plus belles années, avance Mauduit. Il est de retour et il va rester à ce niveau pour les deux-trois prochaines années. Sauf pépins physiques, c’est à peu près sûr. C’est le grand Alberto de 2008-2009-2010. » Autre avantage : en battant Froome sur la Vuelta, l’Espagnol a pris un petit ascendant psychologique en vue de leurs prochaines batailles sportives, notamment sur le Tour 2015. « Alberto a inversé la tendance, s’enthousiasme Mauduit. Entre le match qu’on a connu en 2013 et celui de cette année, les rôles se sont inversés. Chris a complétement dominé en 2013. Cette année, chaque fois qu’ils se sont alignés sur la même épreuve, Alberto l’a dominé. Pour 2015, Alberto est donc forcément plus en confiance que Chris qui va devoir aller à la pêche à la victoire et attaquer très tôt, sinon il va se retrouver à être dominé. Et peut-être que le dominé du début de saison est ensuite dominé toute l’année. » A bon entendeur, salut.