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Dopage : Dr Ferrari, la réalité plus forte que le mythe

Le Dr Ferrari (au centre)

Le Dr Ferrari (au centre) - -

ENQUETE. L’USADA, dans le cadre de l’affaire Armstrong, et surtout la justice italienne, via une enquête pour dopage organisé, évasion fiscale et blanchiment d'argent, tentent de faire enfin chuter le sulfureux Dr Ferrari.

1994, sur la terrible pente du Mur de Huy. Trois coureurs de l’équipe Gewiss écrasent la Flèche wallonne et finissent aux trois premières places. Derrière le triomphe de Moreno Argentin, Giorgio Furlan et Evgueni Berzin, se cache un médecin italien. Son nom ? Michele Ferrari. Il n’a pas encore 40 ans et c’est son acte de naissance, sa meilleure publicité. « L’EPO n’est pas plus dangereuse que 10 litres de jus d’orange », explique-t-il alors. Une petite phrase qui lui vaudra d’être licencié par Gewiss. Dix-huit ans plus tard, il est surnommé « le mythe » ou « le diable ». C’est selon. Son influence sur les sombres années 1990-2000 n’ayant rien d’une légende, c’est bien le seigneur des enfers que s’attachent à faire tomber la justice italienne et l’USADA, l’agence antidopage américaine. La première enquête depuis deux ans pour dopage organisé, évasion fiscale et blanchiment d'argent. La seconde cite 489 fois le nom du Dr Ferrari dans son rapport à charge contre Lance Armstrong !

Au cœur du système de dopage de l’US Postal et de son leader texan, Michele Ferrari conseillait aussi d’autres coureurs. Environ 70 sportifs ont figuré parmi ses clients. En quête de performance, d’argent et de gloire, ils recevaient le manuel du parfait dopé seulement si « le diable » jugeait les candidats suffisamment intéressants pour le développement de sa propre réputation. Filippo Simeoni, l’une des victimes les plus connues du dictateur du peloton qu’était Lance Armstrong, a écouté et suivi la méthode Ferrari pendant un an, en 1996. « Il faisait lui-même une sélection d’athlètes avec lesquels il voulait bien travailler, explique l’Italien. Il organisait des rencontres pour réaliser des tests avec certains. Au bout de deux ou trois jours, il décidait s’il voulait continuer ou non de travailler avec la personne. Il ne voulait préparer que des athlètes qui avaient un gros potentiel. Pas question pour lui de perdre son temps avec des athlètes moyens… »

« Ferrari, c’est un peu la Camorra »

Michele Ferrari veut gagner. Il gagne. Même devant la justice. En 2004, il est condamné dans son pays pour exercice illégal de la profession de pharmacien. Il est blanchi en 2006… Si les juges italiens retentent aujourd’hui leur chance, c’est avec une extrême prudence. Car le Dr Ferrari, que Lance Armstrong appelait « Schumi », a construit un réseau, s’est protégé. « C’est quelqu’un qui a encore beaucoup de pouvoir, indique une source interne au Coni (le comité national olympique italien). Vous savez, il est ami avec des personnes qui sont amies avec des politiques comme Romano Prodi ou Silvio Berlusconi. Il connaît des gens dans la justice… » « C’est pire que la mafia, poursuit un ancien membre du Coni. Heureusement que nous sommes dans le monde du sport parce que sinon, Ferrari serait capable de tuer. C’est un peu la Camorra. Il est encore extrêmement puissant aujourd’hui. S’il m’attaque en justice, c’est presque lui qui pourrait décider de mon sort. On ne rigole pas avec Ferrari. »

Même le peloton tremble encore. « Je peux vous parler de tout ce qui concerne le dopage, de toutes mes pratiques dopantes, mais pas de Michele Ferrari, confie un cycliste français qui a été l’un de ses adeptes. Vous ne pouvez pas imaginer le pouvoir de nuisance qu’il a encore aujourd’hui. Il peut vous détruire. » Et vous attirer des ennuis… « Tu es fou de me parler comme ça de Ferrari, nous dit un agent italien au téléphone après pris soin de raccrocher une première fois et de rappeler avec un autre numéro. On pourrait être sur écoute ! En Italie, il est persona non grata. Il faut faire attention à ce que l’on dit. » « Je me suis rendu compte que j’avais été le seul coureur à dénoncer le Dr Ferrari (en 2001, ndlr), ajoute Filippo Simeoni. Tous les autres sont restés muets et ils ont continué à courir. Moi, j’ai payé pour avoir parlé ! J’ai vécu beaucoup d’humiliations après mes aveux. » Dont celle d’être puni en pleine étape du Tour de France 2004 par Lance Armstrong. Le « boss » au secours du « diable ». Un parrain qui en défend un autre… Une association de malfaiteurs en passe de s’écrouler. Enfin.

LP, GQ, MBo