Dopage-Simeoni : « Armstrong a essayé de me détruire »

Lance Armstrong et Filippo Simeoni, ennemis à vie - -
Filippo, qu’avez-vous pensé du travail de l’Agence antidopage américaine ?
Je retiens que c’est un moment historique pour le cyclisme et le monde du sport en général. L’Usada a effectué un travail minutieux. Il y a des preuves accablantes, notamment en ce qui concerne les liens entre Lance Armstrong et le docteur Michele Ferrari. Cela apporte un tout nouvel éclairage sur l’ensemble de sa carrière. Certains journalistes et observateurs vont enfin pouvoir ouvrir les yeux. A mon sens, c’est surtout un message important envoyé à la nouvelle génération, à tous ces jeunes qui veulent devenir un jour coureurs cyclistes. Cela prouve qu’il ne faut pas tricher car à la fin, on est toujours rattrapé.
Vous faites partie des 26 personnes à avoir témoigné contre Lance Armstrong dans cette enquête. Comment s’est déroulée votre audition par l’Usada ?
Les avocats de l’agence américaine sont venus en Italie pour m’interroger. Je leur ai surtout raconté en détails l’épisode de l’intimidation de Lance Armstrong lors du Tour de France 2004. J’ai répété tout ce que j’avais pu dire sur les pratiques sulfureuses du docteur Michele Ferrari lors de son procès en 2002. Il m’avait conseillé de me doper pour améliorer mes performances. A l’époque, le dopage faisait partie du jeu. J’ai raconté toutes mes rencontres avec lui à l’Usada. Je me disais que mon témoignage pouvait forcément leur apporter quelque chose pour l’enquête.
« Armstrong était brutal et dans l’intimidation »
Près de dix ans après les faits, il est toujours difficile de témoigner contre Armstrong et le docteur Ferrari ?
Je crois très honnêtement que oui. Si j’ai accepté de parler à nouveau, c’est parce que je voulais faire partie de ceux qui allaient briser la loi du silence et inciter les autres à parler. C’est là tout l’importance de mon témoignage. Il fallait dénoncer ce système. On était véritablement face un dopage généralisé ultrasophistiqué. Il y avait des personnes pour les protéger à tel point qu’ils avaient l’impression de pouvoir se doper en toute impunité. Cela fait du mal de voir ça. Aujourd’hui, avec tous les contrôles, ce serait plus compliqué à mon sens.
Vous pensez que l’UCI a protégé Armstrong ?
Je ne sais pas si je peux dire cela comme ça. Mais je suis convaincu que des personnes haut placées l’ont aidé. Je ne veux pas forcément pointer du doigt l’UCI. Mais vous savez, le monde du cyclisme n’est pas si grand que ça. C’est un petit monde… (Il hésite et change de sujet). Je veux surtout saluer le travail de l’Usada.
Racontez-nous l’épisode qui vous a opposé à Armstrong lors du Tour de France 2004…
J’étais parti avec quelques coureurs dans une échappée. Mais après quelques minutes, j’ai vu arriver dans mon groupe le maillot jaune Armstrong en personne. Il m’a insulté et menacé parce que j’avais témoigné contre son ami, le docteur Michele Ferrari. Lui et certains de ces coéquipiers, dont Viatcheslav Ekimov, m’ont également mis la pression. J’ai dû me relever. Mais ce jour-là, le monde entier a pu voir en direct à la télévision qui était vraiment Armstrong. Le plus grave, c’est qu’à l’époque, cela n’avait gêné personne. Que ce soient les coureurs, les instances ou même les organisateurs. Il était brutal dans sa façon de fonctionner. Il était dans l’intimidation. Tout ce qu’il a fait doit être puni. Il y a eu beaucoup de silence autour de tout cela. Le rapport de l’Usada a au moins eu le mérite de remettre tout cela sur la table. A la fin, c’est la vérité qui gagne. Toujours.
« Armstrong commandait le cyclisme mondial »
Cet incident a-t-il changé votre vie de coureur ?
Cet épisode a été très difficile à vivre pour moi. Je suis convaincu que cela a pénalisé ma carrière. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un coureur cycliste comme Armstrong, qui a marqué le monde du cyclisme, vienne s’immiscer dans la carrière d’un coureur aussi peu important que moi. Armstrong, qui commandait le cyclisme mondial, m’avait dans le nez. C’était donc difficile pour moi de trouver une bonne équipe ensuite. Je suis sûr que mes rapports avec Lance ont pénalisé la suite ma carrière.
Une fin de carrière plombée par Armstrong, en quelque sorte…
Mon meilleur moment restera quand même mon titre national à Bergame en 2008. C’était une belle façon de tirer ma révérence. Mais je resterai marqué par le fait que je n’ai pas été invité sur le Tour d’Italie cette année-là parce qu’Armstrong était présent au départ. C’est la chose qui m’a le plus touché. Un champion d’Italie empêché de participer au Giro ! Imaginez un champion de France qui ne peut pas faire le Tour France parce qu’Armstrong y participe et qu’il ne le supporte pas. C’est une honte.
Comment pourriez-vous décrire Armstrong ?
Je ne veux pas et ne peux pas le définir. Sans jamais me nommer, il m’a attaqué. Il a essayé de me détruire, de me gêner pendant toute ma carrière. Avant de le connaître, j’avais beaucoup d’estime pour le champion cycliste et pour l’homme qui avait survécu au cancer. Mais après tous les épisodes avec lui, je ne l’ai plus aimé du tout.
Le titre de l'encadré ici
Simeoni, l’ennemi n°1 d’Armstrong|||
Filippo Simeoni est plus connu pour ses positions contre le dopage que pour ses exploits sportifs. Hormis un titre de champion d’Italie en 2008, l’Italien s’est distingué par ses démêlés avec la justice sportive et… sa rivalité avec Lance Armstrong. Passé aux aveux en 2002, le coureur a dénoncé les liens entre le Texan et le docteur Michele Ferrari. Une franchise qui lui a valu l’ire du boss de l’US Postal. Lors de la 18e étape du Tour de France 2004 remporté par Armstrong, le maillot jaune en personne empêchera Simeoni de remporter l’étape pourtant sans enjeu pour lui. « Ce jour-là, le monde entier a pu voir en direct à la télévision qui était vraiment Armstrong », lance l’Italien. Quatre ans plus tard, Simeoni devient champion national à Bergame. Une joie de courte durée. En 2009, son équipe, Ceramica Flaminia, n’est pas retenue sur le Giro… A 38 ans, le coureur raccroche, mais n’oublie pas. Pour la seconde fois, il saisit l’occasion de briser l’omerta. Il fait partie des 26 témoins qui ont étayé le dossier à charge de l’Usada contre l’ancien sheriff du cyclisme mondial. L.C.