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"Du grand n'importe quoi": Nacer Bouhanni dénonce la gestion des commotions cérébrales dans le peloton

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Nacer Bouhanni a vécu plusieurs chutes traumatisantes lors de sa carrière dans les pelotons. Après les révélations de Marc Sarreau dans Le Parisien, l'ancien sprinteur, passé par la FDJ, Cofidis et Arkéa-Samsic, se confie à RMC Sport. Et le Français de 35 ans, retraité depuis 2023, dénonce la manière dont ses commotions cérébrales ont été gérées à l'époque par ses dirigeants.

Nacer Bouhanni, vous avez eu des commotions cérébrales par le passé. Les récents propos de Marc Sarreau dans Le Parisien ne vous surprennent sans doute pas...

Non, j'ai eu trois grosses chutes avec trois commotions cérébrales. Ce n'est pas quelque chose d'anodin. C'est quelque chose qu'il faut surveiller de près, notamment sur la reprise en compétition. Je ne connais pas les circonstances pour Marc Sarreau, mais c'est sûr qu'une commotion cérébrale, il faut un délai pour revenir en compétition. Et c'est quelque chose qu'on ne peut pas prendre à la légère.

Quelles ont été les conséquences de vos chutes?

Ma première commotion cérébrale, c'est ma chute sur le tour du Yorkshire. J'ai eu le nerf optique touché. C'était quand même quelque chose de très sérieux. J'ai quand même fait le Tour de France deux mois après. J'avais un décalage de ma vision, un dédoublement même, selon l'angle de vue. J'ai repris la compétition. Je n'avais pas une vue qui était nette. C'était du grand n'importe quoi. Après coup, c'est quelque chose que je n'aurais jamais fait. J'étais jeune à l'époque, j'étais tout feu, tout flamme. Je suis quand même allé sur le Tour de France 2017 avec une commotion cérébrale que j'ai eue au mois d'avril. Le Tour de France, c'était trois mois après. J'étais chez Cofidis, leader de l'équipe. Il y avait de l'attente autour de moi. C'était aussi ma décision, mais l'équipe ne m'a pas freiné pour aller faire le Tour de France.

Les médecins auraient dû vous dire stop?

Oui, c'est sûr. Mais même moi aujourd'hui, avec le recul que j'ai et la vigilance avec les années, c'était de la folie de se lancer sur un Tour de France. J'ai quand même fait aussi deuxième du championnat de France derrière Arnaud Démare dans des conditions comme ça. J'ai repris très rapidement. Je pense dix ou douze jours après. J'ai commencé à reprendre les entraînements à vélo avec des problèmes de vision. J'avais des lunettes. Ça aurait pu être dramatique si j'étais retombé dans les deux ou trois mois. Le professeur qui m'avait vu m'avait dit que si le nerf optique se coupait, c'était fini. Mais ça, j'en ai conscience aujourd'hui. Quand j'étais jeune, tous ces dangers-là, je ne me focalisais pas là-dessus. J'étais focalisé sur la compétition. J'étais très compétiteur. Je pensais qu'à une chose: remonter sur un vélo après une chute.

Vous étiez leader d'équipe. Il y avait une pression pour que vous soyez au départ d'un Tour de France quelle que soit votre santé ?

C'est logique. L'équipe est même articulée autour de moi avec beaucoup d'attentes. Ce n'est pas évident.

C’est à la fin de votre carrière que vous avez eu conscience des conséquences de ces commotions?

Je n'avais plus la même vision des choses sur la fin de ma carrière. Le déclic, ça a été ma grosse chute sur le Tour de Turquie, où j'ai eu une commotion cérébrale avec une fracture de la C1, la cervicale. J'ai été en arrêt pendant de longs mois. Je n'avais pas le choix d'être en arrêt puisque j'étais immobilisé pendant trois mois sur un lit, sans pouvoir faire le moindre sport. C'était un arrêt obligatoire et j'ai repris petit à petit. Suite à ça, je n'ai plus jamais été le même. Sur la photo de ma chute, on voit très bien que je tiens ma tête parce que c'était une douleur que je ne connaissais pas. Je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à me relever sans me tenir la tête. J'étais obligé de la tenir, ça me faisait comme un coup de couteau. J'ai immobilisé ma tête avec mes mains, naturellement.

Est-ce que les médecins d'équipe étaient suffisamment formés autour de ce problème particulier des commotions cérébrales?

Je ne sais pas. Je ne vais pas commencer à critiquer les médecins. Je parle me concernant. Les médecins sont tous différents, je pense.

Le port du casque a bien amélioré les choses, mais est-ce vraiment suffisant?

En boxe, quand il y a un KO, le protocole est plus surveillé que dans certains sports. Un boxeur, quand il prend un KO ou une commotion, il est interdit de combattre pendant de longues semaines. Les coups sont focalisés sur la tête, donc c'est déjà beaucoup plus surveillé que dans certains sports. Mais le cyclisme, c'est sûr que la tête, quand elle heurte le sol...

Avec des arrêts de longue durée, les coureurs peuvent se retrouver dans des situations très difficiles s'ils arrivent en fin de contrat...

Après, ça dépend aussi sur le plan sportif, de ce qu'on a fait avant ça, il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte. Si vous avez été performant avant la chute, généralement, vous trouvez une équipe et l'employeur vous fait confiance. Les chutes, ce n'est jamais bon. Ça ne peut faire que ralentir une carrière. J'en ai souffert aussi.

Comment peut-on améliorer les choses à ce niveau-là?

Ça doit être au médecin d'équipe d'avoir un protocole exact et des démarches à suivre en cas de commotion cérébrale. Les médecins ont la pression des équipes et des sponsors. Il ne faut pas croire que le médecin est celui qui prend… Il sait très bien que s'il y a un leader dans son équipe, l'objectif, c'est que le leader se remette sur pied le plus rapidement possible pour avoir des résultats pour l'équipe. Donc même le médecin, finalement, est sous pression indirecte. Il est engagé par l'équipe et par les sponsors.

Propos recueillis par Pierre-Yves Leroux