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"Je pouvais devenir un légume", Marc Sarreau se livre sur le tabou des commotions cérébrales dans le cyclisme

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L’ancien sprinteur de Groupama-FDJ et Decathlon AG2R La Mondiale, Marc Sarreau, a tiré sa révérence à seulement 31 ans la saison dernière. Usé, non pas par les jambes, mais par les commotions cérébrales à répétition.

Marc Sarreau aurait aimé mettre un terme sa carrière autrement. Vainqueur de la Coupe de France en 2019, le sprinteur originaire de Vierzon s’était imposé comme un solide homme de classique et bon sprinteur. Mais ces dernières saisons, les chutes ont pris le pas sur les sprints. Trop nombreuses, trop violentes, trop rapides à être oubliées, il se livre lors d'un interview avec Le Parisien sur le tabou des commotions cérébrales dans le cyclisme.

Une au Tour de Pologne 2020 lors du gravissime accident de Fabio Jakobsen. Une autre, terrible, un an plus tard sur le Tour du Limousin, où il avait, malgré lui, failli percuter mortellement une spectatrice. Et puis d’autres, moins spectaculaires mais insidieuses, qui ont fini par fragiliser son cerveau.

"Fin septembre 2024, c’est Marc Madiot, le patron de l’équipe, qui m’a appelé pour m’annoncer qu’avec les problèmes que j’avais à la tête depuis juin, qui ne guérissaient pas, ils préféraient me mettre en sécurité", raconte Sarreau. "Ils craignaient qu’une nouvelle chute provoque quelque chose de pire. Et donc que ma prolongation de deux ans était annulée."

"Je pouvais devenir un légume ou pire encore"

Marc Sarreau n’a pas seulement dû quitter le peloton. Il a dû apprendre à vivre avec les séquelles d’un mal invisible. "Tous les jours des maux de tête, un manque d’attention et de la fatigue. Je n’arrivais plus à m’entraîner ou à aller sur les courses convenablement", confie-t-il.

"Les symptômes se sont aggravés avec le temps, jusqu’à devenir alarmants. Plus j’accumulais de la fatigue, c’était de pire en pire. Il y avait des fois où je me disais qu’à tout moment, je pouvais tomber tout seul. Je ne me sentais pas réactif. Il n’y avait rien qui allait. Après quelques courses, j’ai quand même dit que je ne pouvais plus revenir."

Le diagnostic, lui, a été sans appel. Après des tests neurologiques, la vérité s’est imposée, le cerveau ne se remettait plus. "D’abord, il a regardé mes résultats et n’a rien trouvé d’inquiétant, mais les tests se sont révélés très mauvais. Et l’idée était de voir si je progressais. Sauf qu’en fait, il n’y avait aucune amélioration. Là, j’ai compris que c’était grave."

Le spécialiste a fini par lui dire ce qu’aucun athlète ne veut entendre. "Il m’a dit: 'Il y a vraiment un problème. Tu as subi trop de chocs à la tête. Maintenant, tu as une fragilité qui est là. Plus tu tomberas, plus cela s’aggravera.' J’ai compris qu’en cas de nouvelle chute, je pouvais devenir un légume ou pire encore."

Le cyclisme face à son tabou

Le cas Sarreau soulève une question: le cyclisme protège-t-il vraiment ses coureurs des traumatismes crâniens? Les commotions, souvent minimisées, sont encore traitées comme de simples incidents de course.

"J’étais tombé au GP de Denain en mars. J’avais une fragilité pas détectée. À la fin de la course, je me suis trompé de voiture. Et à l’hôpital, un médecin m’a dit que j’étais tombé sur la tête, alors que je pensais que j’avais juste chuté mais sans me cogner le crâne", se souvient-il.

Ces signes avant-coureurs sont trop souvent négligés. Dans un sport où la reprise rapide est valorisée, la prudence passe souvent au second plan. Dans le cyclisme, il n'existe pas de protocoles commotions comme au rugby, où la santé du joueur prime sur l'intêret sportif.

"Le cerveau, c’est comme le permis à points"

Aujourd’hui, Marc Sarreau parle avec la franchise de ceux qui ont frôlé la limite. "Avant, je n’oubliais rien. Maintenant, ma compagne doit me rappeler plein de choses. J’ai compris que le cerveau, c’est comme le permis à points. Moi, j’ai lentement mangé peu à peu les points de mon cerveau. Et je n’étais pas loin de ne plus en avoir…"

Ce constat brutal devrait alerter un milieu encore trop silencieux. Ces dernières années, les drames se sont multipliés. Gino Mäder ou Muriel Furrer, disparus après des chutes sur la tête, rappelent que le danger n’est pas toujours visible.

Maxence Mullié