Guimard : « Sa défaite de 1989 l’a rendu plus attachant »

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Cyrille Guimard, quelle a été votre première réaction en apprenant la mort de Laurent Fignon ?
Ça été un gros choc, même si on savait que Laurent n’allait pas très bien et même s’il se battait avec beaucoup d’énergie. Cette montagne était infranchissable. Si on sait que le dénouement est de plus en plus proche, on espère toujours quelque chose. Mais quand le verdict est donné, on se fait tout petit. On est abattu, empreint d’une grande tristesse et on se dit que c’est finalement peut-être mieux ainsi. Il ne souffre plus.
Que représentait pour vous Laurent Fignon ?
On a partagé beaucoup de choses. Plusieurs coureurs ont été très importants pour moi. Il fait partie de ceux là au même titre que Bernard Hinault. On a partagé de grandes victoires mais aussi de grandes défaites qui n'étaient pas toujours logiques. Il y avait parfois un peu d'arnaque. C'est quelqu'un d'une grande fidélité. En 1985, quand la Régie Renault décide de nous abandonner il est resté fidèle et s'est battu avec moi pour trouver un nouveau partenaire. C’était un homme de défi. Il a une place à part sur le plan sportif et sur le plan humain. C’est difficile pour moi d’en parler. Il y a beaucoup d'émotion !
Comment définiriez-vous sa carrière ?
C’est une carrière tronquée. Son palmarès n’est pas celui qu’il aurait dû avoir. Je parlais d’arnaque… On l’a privé d’une victoire sur le Tour d’Italie remporté par Moser (ndlr : en 1985) où on supprime des étapes de montagne et où les coureurs italiens roulent pour Moser. Ça a été difficile à vivre, mais on l’a assumé. Si on ajoute Paris-Tours et un pédalier cassé et un Tour de France perdu avec un problème de selle le dernier jour avec ces huit secondes… En 1985, il était parti pour une carrière à la Hinault, Merckx ou Anquetil, mais le sort ne l’a pas épargné.
« Il se protégeait derrière une forme d'arrogance »
Quel homme était-il ?
C'était un homme d'une grande sensibilité, très timide, un peu complexé. Il se protégeait derrière une forme d'arrogance qui le rendait impopulaire. Il était direct, tranchant, sans concession dans l'expression de sa pensée, de sa philosophie et de son opinion. Il tranche sur ce plan là par rapport à d'autres champions. En 1989, sa défaite l'a rendu beaucoup plus populaire et attachant. On savait qu’on pouvait compter sur lui. Aujourd'hui, pour moi, cela n'a plus d'importance car il n'est plus là.
Tout n’a pourtant pas été facile avec lui…
Quand vous êtes directeurs sportifs de champions comme je l’ai été, vous faites face à des gens de caractère et du charisme. On n’est pas toujours d’accord et sur la même longueur d’onde, mais l’importance était d’aller au bout du chemin. On ne réussit qu’avec ceux capables d’avoir de vraies opinions et de vraies idées et avec qui on peut s’opposer.