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"Il ne faut pas que ça devienne l'espoir du désespoir": comment Arkéa-B&B Hotels vit sa situation quasi désespérée

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Didier Rous, directeur sportif de l’équipe Arkéa-B&B Hotels depuis janvier 2024, vit dans l’attente des annonces de sa direction alors que le collectif breton connaît peut-être ses dernières heures. Une situation que l’ancien coureur professionnel a déjà vécu il y a trois ans quand la jeune équipe B&B Hotels avait mis la clé sous la porte.

Comment vivez-vous ces journées d’attente?

Je suis occupé. Il y a encore des courses. On a quand même un programme à respecter jusqu'à la fin, avec le Tour de Guangxi (14 au 19/10), la dernière course World Tour, où on est donc obligé de participer.

Vous avez connu cette situation il y a trois ans avec Jérôme Pineau manager de l’équipe B&B Hotels. À l’époque, beaucoup lui avaient reproché de ne pas avoir dit assez vite que c’était fini. Emmanuel Hubert l’admet aussi, "il y a peut-être ce déni de l’arrêt"...

Il y a de ça. C'est une déception, parce qu'il y a beaucoup de choses qui avaient été mises en place. On parle toujours de la World Tour, mais derrière, il y a quand même une équipe Continentale pour la formation, et celle des filles. On commençait à récolter un petit peu les fruits de tout ce travail sur la World Tour. Et puis, là, quelque part, c'est une forme de déni, parce qu'on se dit que ça ne peut pas s'arrêter. On a bossé, on a fait tout ça, on commence à récolter les fruits, et puis ça s'arrête.

Il faut toujours avoir espoir, mais il ne faut pas que ça devienne l'espoir du désespoir. Manu (Hubert), c'est le patron de la structure. Il y a environ 150 salariés. Il a quand même de grosses responsabilités. Je comprends que pour lui, ce soit compliqué. C’est le cas pour tout le monde, chacun a son niveau, chacun a son échelle. Je ne minimise pas les choses. Maintenant, c'est sûr que c'est quand même le grand patron de la structure.

Vous parlez d’espoir mais il est mince car il fallait fournir des garanties bancaires à l’UCI aujourd’hui, le 2 octobre, une condition qui n’est pas remplie. Comment y croire encore?

Bien sûr, cette condition-là n'est pas remplie, puisqu'il n'y a rien de signé avec un partenaire. Maintenant, l'UCI est aussi capable d'entendre qu'elle ne peut pas tirer le rideau aussi vite du jour au lendemain. Quelque part, il y a une forme d'attente. C'est sûr que quand on va arriver au 15 octobre, le couperet va tomber, s'il n'y a rien du tout. Manu disait il y a quelques temps, 'je voyais le verre à moitié plein, aujourd'hui, je le vois à moitié vide'. C'est une situation qui n'est pas facile. On parle souvent des coureurs. Il y a quand même beaucoup de gens qui travaillent autour, dans l'ombre. Aujourd'hui, ça s'arrête. Et Manu c'est un petit peu tout ça je pense qui l'attriste. Quand on arrive à créer quelque chose qui commence à fonctionner et que ça s'arrête, c'est toujours désolant.

Combien de coureurs n’ont pour l’instant pas de portes de sortie pour la saison prochaine si l’équipe ne repartait pas après l’hiver?

Dans la Conti, je pense qu'il y en a six-sept sur douze. Mais il y a beaucoup d'équipes qui attendent aussi d’éventuelles annonces. Dans la World Tour, je dirais qu'il y en a 70%, 20 sur 27, qui ont retrouvé et sur les douze filles qui composent l’équipe, il y en a au moins la moitié. Maintenant, il y a encore des négos, des discussions qui se sont enclenchées. Après, est-ce que ça ira au bout? Ça, c'est encore une autre question.

Après l’arrêt de B&B Hotels il y a trois ans, la fusion de deux équipes en Belgique, les portes de sorties diminuent… sans compter l’annonce du sponsor TotalEnergies qui se désengagera de l’équipe vendéenne en 2026. L’avenir du cyclisme n’est pas très réjouissant?

Quand on voit les grosses armadas, on ne se bat pas à armes égales. On sait tous aujourd'hui que des équipes comme UAE… intéressent tout le monde. Ils ont énormément d'argent. Ils prennent des jeunes à des sommes qui sont déjà énormes, sans avoir la certitude de les faire passer pro. Donc nous, derrière, qu'est-ce qu'on fait? On essaie de trouver des jeunes à droite à gauche, qui passent un petit peu au travers des radars. On avait réussi à faire quelque chose de bien, et puis là, ça s'arrête. Mais aujourd'hui, c'est le cyclisme, mais c'est aussi les équipes de jeunes, parce que dans les DN1 ça devient aussi très compliqué. Il y a trois ans en Bretagne, il y avait cinq DN1. Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une.

Il faut changer le modèle économique?

Que B&B il y a trois ans et Arkea arrêtent, ça, c'est une chose. On arrive au terme d'un contrat. On ne peut pas leur en vouloir. Ils ont été au bout. Ils ont fait vivre la structure pendant des années. Merci à eux. Mais on est sur un modèle économique qui est très fragile. Et attention, si les choses ne changent pas, ça va devenir compliqué pour tout le monde. C'est une certitude. Et c'est déjà compliqué pour beaucoup. On voit les résultats au plus haut niveau. Il y a cinq équipes qui existent. Et après, les autres, on essaye de cibler des courses où nos coureurs ont le potentiel de pouvoir faire un résultat.

Aujourd'hui, en France, même avec 40 millions, je ne suis pas sûr que ce soit suffisant pour jouer avec les autres équipes. Pourquoi? Parce qu'en France toutes les personnes d'une structure sont salariées. Là où à l'étranger ils sont tous prestataires. Ils sont travailleurs indépendants. Dans une équipe étrangère, on leur donne 100. Si nous on leur donne 100, ça nous coûte 150 à peu près avec les charges sociales. Il faut changer le modèle économique. Maintenant, comment le faire évoluer, comment le faire changer? Je pense que ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Mais c'est sûr qu'à un moment donné, il va falloir qu'il change.

Propos recueillis par Pierre-Yves Leroux