“Mon oreillette et mon capteur de puissance ne marchaient pas!" Folie du Tour de France 2024, ambitions pour 2025, Evita Muzic raconte tout

Evita, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore très bien, parlez-nous un peu de vous. Vous avez 25 ans, vous êtes pro depuis 8 ans au sein de cette équipe FDJ-Suez que vous n’avez jamais quitté. Vous avez assisté en direct au développement du cyclisme féminin...
C'est sûr que par rapport à quand je suis arrivée, l'équipe a vraiment énormément progressé. On est parti de presque de rien pour arriver maintenant à l'une des meilleures équipes au monde, avec maintenant un très gros transfert aussi cet hiver (Demi Vollering, NDLR) et de très grandes ambitions pour l'année qui arrive.
Qu'est-ce qui a changé concrètement dans votre quotidien de professionnelle dans une équipe cycliste depuis votre arrivée dans le milieu ?
Et bien déjà de pouvoir vivre de ma passion et au final que ça soit mon vrai métier. Mes deux premières années au sein de l'équipe, je me considérais quand même comme professionnelle parce que j'étais au sein d'une équipe professionnelle et je faisais des courses internationales, mais je n'avais pas de salaire. A partir de 2020, l'UCI a imposé un salaire minimum pour les équipes en World Tour et c'est là où voilà j'ai eu vraiment mon premier salaire et j'ai dû arrêter mes études. Je me suis dit "voilà, maintenant, c'est mon métier, je vais faire les choses à 100% et je vais voir jusqu'où cela va me mener." Et depuis, les salaires ont aussi très vite évolué et on a eu du staff aussi qui est devenu employé, ce qui n'était pas le cas avant. Au niveau du matériel aussi, on a eu des bus et on a vraiment progressé très, très vite. Et on se rapproche petit à petit des garçons aussi.
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Vous avez aussi beaucoup de courses qui sont maintenant retransmises à la télévision. Est-ce que ça a changé quelque chose pour vous de pouvoir faire votre sport devant le plus grand nombre?
Oui, clairement. La reconnaissance a vraiment évolué, surtout depuis l'arrivée du Tour de France féminin. Maintenant, dès que je suis en vélo, la plupart du temps on me reconnaît quand même, et même des fois aussi en dehors, donc c'est vrai que ça a fait bizarre au début. Cette année, il y a aussi eu une très belle bataille pour le Tour et je pense que tout le monde prend plaisir à regarder le cyclisme féminin. Toute la saison il y a eu des super belles courses avec vraiment beaucoup de suspense. Maintenant, presque la totalité des courses masculines ont leur versant féminin donc c'est vraiment super. Le Tour de France a vraiment fait du bien à ce niveau-là.
C'est vrai Jérôme, comme le disait Evita, la saison dernière, il y a presque eu plus de suspense dans les courses féminines que dans les courses masculines, on s'est plus régalé à regarder les filles que les garçons presque….
Jérôme Coppel: Bien sûr, en tout cas ceux sur le Tour de France, comme vient de le dire Evita, ça s'est quand même joué à quelques secondes sur la dernière étape et puis c'est vrai qu'il y a quelques années et c'était à mon avis lié au fait qu'elles, comme vient de le dire Evita, elles n'étaient pas forcément payées au début donc certaines avaient un job à côté, etc. Il y a quelques années il y avait tellement d'écarts de niveau que finalement, ça pétait un peu par l'arrière, etc. Et depuis quelques années, il y a vraiment de la vraie stratégie de course, des grosses bagarres et du suspense à tous les échelons. Pour l'instant, il y a beaucoup de filles qui sont très fortes. Alors bien sûr, Evita en fait partie, Demi Vollering, Lotte Kopecky, Longo Borghini, etc. Mais il y a toujours du suspense, contrairement aux hommes où on a un Pogacar qui écrasent un petit peu tout. Et franchement, les courses féminines à suivre, c'est un vrai régal. Il se passe toujours quelque chose. Il y a toujours de la bagarre et ça joue généralement à coups de secondes à la fin, même sur des courses très longues comme les Grands Tours.
Jérôme, dans ton centre d'entraînement, est-ce que toi aussi, tu as vu un changement? Est-ce qu'aujourd'hui, les jeunes femmes sont aussi nombreuses que les garçons à venir s'entraîner?
Jérôme Coppel: Je n'ai bien sûr pas des personnes du niveau d'Evita ou de haut niveau en amateurs, mais depuis 2-3 ans, est-ce que c'est l'effet Tour de France qui est revenu, il y a de plus en plus de femmes qui se mettent au vélo pour le plaisir ou même pour aller faire des grandes cyclo-sportives. Je pense que toute cette partie médiatisation, plus le côté de plus en plus professionnel des équipes féminines de vélo, ça joue aussi sur les femmes au niveau amateur.
Evita, en tennis, les filles ont obtenu des organisateurs des grands tournois, les mêmes prize money que les garçons. Est-ce que vous en êtes au même niveau chez les filles ?Je crois que sur le tour, on a un rapport de 1 à 10 quand même. Donc on n'est pas encore tout à fait au même niveau.
Non, il y a encore une petite marge. Après, c'est difficile de comparer sur le Tour de France parce que c'est vrai que les garçons, pour l'instant, ont quand même une course qui fait trois semaines, alors que nous, c'est plus sur 8-9 jours .Donc on ne peut pas demander non plus les mêmes primes sur une course qui est quand même un peu différente. Mais c'est vrai que sur des courses d'un jour qui sont pratiquement les mêmes, on a quand même énormément évolué. Je me rappelle qu'il y a quelques années, j'avais gagné une étape sur le Giro ‘en 2020), la gagne c'était 600 euros alors que la gagne d'une étape chez les garçons c'est beaucoup plus. Mais là mine de rien déjà les primes qu'ils ont mis sur le Tour de France, sur des courses comme la Flèche Wallonne c'est déjà énorme par rapport à ce qu'on avait avant donc il ne faut pas se plaindre et pas griller les étapes. C'est déjà très bien comme cela a évolué. Bien sûr il y aura toujours des petits points d'amélioration mais on a déjà bien évolué.

Le signe que le Tour de France Féminin et que le cyclisme féminin se porte bien, c'est qu'on a ajouté une étape supplémentaire pour l'été prochain, le Tour se disputera sur 9 étapes, c'est un signe positif, à quand les trois semaines chez les filles Evita?
Je pense que les trois semaines pas tout de suite, il va falloir prendre son temps et ne pas vouloir précipiter les choses par peur au final de griller des équipes. C'est difficile de comparer vraiment avec les garçons parce qu'ils ont des effectifs de 30, par exemple, au sein des équipes, alors que nous, l'année dernière, on était une quinzaine. Donc, c'est aussi compliqué d'en arriver direct à une course de trois semaines niveau organisationnel, même avec le staff et tout ça, mais je pense que oui, c'est une très bonne chose qu'il y ait une journée de plus cette année et on peut-être pouvoir continuer et arriver à deux semaines. En tout cas, physiquement, on est largement capable de le faire.
C’est la question que j'allais vous poser. Est-ce que physiquement vous pouvez tenir trois semaines ?
J'ai commencé mon premier Giro en sortant quand même des rangs juniors et c'était dix jours, sans jours de repos, donc c'est le maximum qu'on peut faire sans imposer une journée de repos et je suis ressortie vivante et ça allait très, très bien. Physiquement, on est largement capable de faire deux semaines, surtout si en plus on met un jour de récup, mais c'est juste que je pense que voilà, comme on disait, là Maintenant, la plupart des filles commencent à être vraiment professionnelles, mais il y a quelques temps, ce n'était pas le cas. Donc, quand on met quelqu'un sur le Tour de France qui a aussi un travail à côté, forcément, le niveau est hétérogène et c'est difficile de mettre tout le monde à ce niveau-là. Mais là, maintenant, les équipes se structurent de plus en plus. Donc, je pense qu'on va pouvoir ajouter des jours au fur et à mesure, mais il ne faut pas griller les étapes non plus.
Evita, comme le niveau devient un peu plus homogène, est-ce que vous voyez une différence au niveau des chutes et de la sécurité ? Parce que c'est vrai que quand t'as des filles qui ont un niveau un peu moindre, des fois, en voulant s'accrocher, elles peuvent faire des erreurs et ça peut emmener plusieurs filles au tapis et provoquer quelques fautes. Est-ce que vous avez l'impression que comme le niveau est de plus en plus compact, ça roule un peu plus propre?
Alors je dirais que oui, mais c'est vrai que sur le Tour, c'est particulier parce que comme on le voit aussi chez les hommes, il y a vraiment une pression supplémentaire par rapport aux autres courses, ce qui fait que dans tous les cas, les premières étapes, c'est vraiment tendu, surtout l'année dernière, c'était aux Pays-Bas. Il y avait énormément d'aménagements urbains, donc ça frottait et il y a souvent quelques chutes en début de tour. Et ça se voit aussi, d'ailleurs, chez les garçons, même si tout le monde a un niveau énorme, ça tombe toujours les premiers jours. Mais je pense que oui, par rapport, si on compare le premier tour et le tour de cette année, il n'y a pas forcément eu de chute.
Il y a eu une chute sur le Tour de France, c'est celle de Demi Vollering justement, qui lui a un peu couté le Tour, mais pour le coup, elle a eu lieu plutôt devant et en fin d'étape…
Oui, c'est sûr ça arrive toujours des chutes. Malheureusement maintenant, tout le monde veut arriver au même endroit devant. il n'y a pas la place pour tout le monde, et ça c'est exactement pareil chez les garçons. Et voilà, ça entraîne des fois des chutes.
Evita, le Tour de France, vous avez terminé à une très belle quatrième place, à un peu plus d’une minute du podium, votre meilleur classement même si on vous avait senti un peu en août dernier au soir de l'arrivée à l'Alpe d'Huez. Ce podium, vous pensiez pouvoir l'atteindre?
Oui c'était vraiment l'objectif. Je savais que la première place allait être difficile mais après ce que j'avais fait sur la Vuelta, je savais qu'en montagne, j'avais largement le podium dans les jambes et qu'après ça allait se jouer sur un chrono, sur des étapes un peu de transition notamment aussi les premières étapes et c'est vrai qu'au final il n'a pas manqué grand chose mais en même temps un peu plus que les trois premières qui se sont jouées les places à, quelques secondes. C'est vrai que j'étais déçue. Je savais aussi que Demi arrivait cette année et que dans ma tête voilà j'étais leader à 100% pour la première fois aussi sur un Tour de France et c'était énormément de pression et je pense que quand la pression est redescendue, c'était dur un peu à appréhender parce que j'espérais faire troisième et c'était la pire place, au final quatrième, mais je n'ai pas de regrets, j'ai donné mon maximum, ça s'est pas joué à une poignée de secondes, donc après coup je pense que je suis quand même satisfaite.
Et comment vous avez vécu ce scénario un peu fou dans le final ? Pour rappel, il y a Vollering et Rooijakers qui sont toutes les deux parties devant et avec Kasia Niewiadoma, qui essaie de sauver son maillot jaune derrière, vous êtes avec elle… Comment l’avez-vous vécu, ce qui est peut-être le scénario le plus fou de l'année cycliste 2024 ?
C'est vrai que c'était particulier parce que pour être honnête mon oreillette ne marchait pas et mon capteur de puissance ne marchait pas trop non plus ! L'oreillette a marché jusqu'en haut du Glandon (l’avant-dernier col) et après je pense qu'avec les écarts et tout ça, et peut-être la météo je ne sais pas, mais ça n’a pas marché et donc j'avais l'ardoise mais on ne l'avait pas non plus tout le temps et j'étais un peu, pour pas dire, un peu le cul entre deux chaises en me disant oui, là je vois que le podium s'en va… Je ne sentais bien, mais quand je regardais mon capteur ça n'allait pas forcément bien. En fait, c'est parce qu'il marchait pas! Je pense qu'avec une oreillette, j'aurais attaqué plus tôt. Mais est-ce que j’aurais repris une minute à Kasia Niewiadoma ? Je ne pense pas parce qu'elle était vraiment très très forte. On a fait la dernière montée exactement au même rythme que Demi et Rooijakers donc je me dis que c'est plus sur la montée du Glandon que je pourrais avoir des regrets. J'ai fait une petite erreur de faire une pause naturelle avant cette montée et c'est vrai que les commissaires n'ont pas été vraiment indulgents et du coup on a été en chasse-patate pendant 20 bornes avec Grace Brown. On est finalement rentrées, mais je l'avais encore un peu en travers dans le Glandon et c'est là où au final je ne me suis pas sentie super bien alors que dans l'Alpe j'étais vraiment bien. Mais c'était fou de faire toute la montée accompagnée du maillot jaune et en étant première Française. Il y avait vraiment un public en folie et ça aussi, ça m'a aussi poussé.
Oui ça doit être un moment énorme, on a l'impression que sans capteur de puissance aujourd'hui est-ce qu'on est complètement paumé, Evita ?
Oui et non, parce que la preuve, j'ai fait ma montée… Je l'ai fait aux sensations, je sentais que ça allait bien, mais c'est vrai que comme dans Glandon, j'avais eu un petit coup de moins bien, c'était compliqué. On a l'habitude, surtout dans les longs cols, de se gérer avec les capteurs de puissance. Mais au final, je n'étais pas toute seule, donc je n'en avais pas tant besoin que ça, je suivais le rythme des autres. En plus, Kasia roulait par à-coups, donc c'était pas facile aussi, du coup, au niveau des sensations de savoir : Parfois j'étais très très bien, et après, comme elle remettait un petit à coup, je me disais « finalement, je vais peut-être attendre un peu pour attaquer » et je pense qu'il m'a manqué un peu de confiance en moi parce que finalement physiquement j'étais vraiment très très bien. Mais c'est largement possible à faire sans capteur. Et d'ailleurs pour être honnête la plupart des courses où j'ai bien réussi, souvent le capteur ne marchait pas. J'arrive quand même à bien me connaître et à faire aux sensations.
Jérôme Coppel: Le capteur de puissance, il faut le faut savoir, il sert énormément à l'entraînement pour calibrer la charge d'entraînement, les intensités etc mais en course finalement pour les coureurs et les coureuses, il sert surtout à confirmer un petit peu nos sensations et à nous rassurer. C'est un peu ce que dit Evita. Elle était un peu dans le flou et si son capteur avait marché, elle aurait pu voir, ça aurait pu confirmer que ses sensations étaient bonnes et peut-être elle aurait pu prendre plus de risques. Mais sinon, aux sensations, tu sais très bien si tu es au seuil, si tu vas dépasser la ligne rouge… Donc finalement, c'est plus un soutien mental, une confirmation de nos sensations, bonnes ou mauvaises d'ailleurs, mais c'est plus mentalement que ça nous aide que dire on fait vraiment tout au cardio, oui en début de course on va forcément gérer un petit peu ses efforts et garder un oeil un peu plus précis sur le capteur de puissance ou le cardio fréquencemètre mais après une fois qu'on est à fond on est à fond avec les sensations, ça suffit en général.
Oui et puis surtout en course, je sais que moi je ne suis pas une pro de l'entraînement et j'arrive toujours à être vraiment beaucoup mieux en course.
Comment ça, vous n'êtes pas une pro de l'entraînement?
Il y en a qui arrivent à faire des watts encore mieux à l'entraînement qu'en course. Pour le coup, moi, c'est vraiment l'inverse. Tous mes records sont en course. Et du coup, j'aurais pu aussi, ce qui était le cas, avoir des très bons watts. Et il ne faut pas se freiner non plus à se dire, là, en temps normal, je ne tiens pas une heure à ce rythme, je n'arriverai pas jusqu'en haut. Mais en fait, non, en course, avec l'adrénaline et tout ça, on arrive à faire beaucoup plus de watts qu'à l'entraînement.
Alors 2025, ça va être une année très importante pour ta formation, FDJ Suez, qui est de plus en plus ambitieuse, qui a donc enregistré l'arrivée de deux athlètes de très haut niveau, la Française Juliette Labous, qui fait partie de la même génération que toi, avec laquelle vous vous tirez la bourre depuis longtemps, et puis surtout la néerlandaise Demi Vollering, qui est l'équivalent féminin d'un Pogacar ou d'un Vingegaard, qui a quasiment tout gagné durant sa carrière et qui va donc devenir le leader de votre formation. Avez-vous été surprise de cette annonce ?
Je l’ai appris assez tôt, pendant les Ardennaises. Surprise, non, pas forcément, parce que d'un côté je pense que ça montre que notre équipe a grandi et c'est bien qu'elle donne envie. Si la meilleure mondiale veut venir c'est qu'on est une très bonne équipe donc ça c'est déjà bien et après on progresse forcément avec les meilleurs éléments autour de soi donc je pense que je vais pouvoir beaucoup apprendre d'elle et on va se tirer vers le haut forcément. Juliette, je savais que ça faisait un petit moment que c'était en pourparlers aussi pour venir dans l'équipe et je m'entends très bien avec elle, ça fait des années qu'on se connaît et qu'on s'est aussi toujours mutuellement tiré vers le haut.
Vous auriez pu postuler au rang de leader de la formation cette année, comme en 2024. Quel sera votre rôle auprès de Vollering ?
Il y a énormément de courses déjà tout au long de l'année sur le calendrier, donc je pense que ça va aussi pouvoir beaucoup tourner. Oui, je serai un peu son bodyguard en haute montagne sur le Tour de France, il n'y a pas photo, on le sait très bien depuis le début que sur le Tour de France ça sera Demi la leader. Elle a déjà gagné une fois et terminé deux fois deuxième donc il n'y a vraiment pas photo là-dessus mais pour le coup j'aurai aussi un peu moins de pression. En 2024, je me suis retrouvée leader un peu par défaut parce que les deux autres leaders se sont blessées et au final j'ai prouvé que je pouvais très bien réussir aussi moi-même, mais c'était aussi énormément de pression. Surtout sur le Tour de France. Et je pense que c'est bien de l'avoir de temps en temps, de partager ce rôle de leader, d'apprendre des autres et que ça tourne clairement, je serais plus libérée pour pouvoir jouer des étapes. Et c'est vrai que la seule qui manque sur les grands tours, c'est le Tour. Donc j'aimerais bien aller la chercher.
On a vu que l'année 2024, c'était un peu tout le monde contre les SDWorks, l’équipe de Demi Vollering et Lotte Kopecky, Marlène Reusser… enfin à peu près la crème de la crème. Est-ce que pour vous, ça promet une saison un peu plus sympa, d'avoir des équipes un peu plus équilibrées où le danger peut venir de partout.
Oui, clairement ! Pendant cette intersaison un peu tout le monde s'est dispatché dans les équipes et forcément tout le monde parle beaucoup de nous parce qu'on a fait le recrutement star de Demi, mais dans pas mal d'équipes, ça a recruté. Je pense qu'il y aura vraiment un beau spectacle et du suspense l'année prochaine, parce qu'il y a aussi des beaux retours, d'Anna van der Breggen, de Pauline Ferrand-Prévôt... Tout le monde se pose la question, qui est-ce que ça va donner ?
Deux retours-là de coureuses un peu vétérans, voire même un peu plus pour Anna Van der Breggen, vous en pensez quoi ?Vous pensez qu'elles ont une chance de bien figurer dans le peloton ?
Oui, je pense qu'Anna a toujours eu le niveau. Elle a aussi gagné toutes les courses. Quand je suis arrivée au sein du peloton professionnel, c'était vraiment elle et Annemiek van Vleuten aussi qui a maintenant arrêtée. Mais elle a toujours continué de rouler entre-temps et si elle revient, c'est qu'elle sait très bien qu'elle est capable de performer .Sinon, elle ne le ferait pas et c'est exactement la même chose pour Pauline. Pauline a toujours su arriver en très grande forme pour les grands rendez-vous. Elle revient avec des gros objectifs. Donc elle sera au niveau, même si c'est sûr que le cyclisme féminin a énormément évolué dans tousles domaines. Je pense que maintenant, il y a peut-être plus de spécialistes dans un domaine qu'avant.
En terme de médiatisation, le retour de Pauline Ferrand-Prevot sur la route, c’est une bonne chose, non ?
Oui, c’est sûr, on a vu ça au Mondial avec tous les journalistes qui sont venus pour la voir. Elle a un palmarès énorme et c'est sûr que je pense que tout le monde aimerait être à sa place et elle a une image et une aura pour les Français donc ça va forcément faire parler et du coup faire parler du cyclisme féminin.
Alors Juliette Labous et Evita Muzic aux côtés de Vollering, c'est un peu comme si on avait mis Pinot et Bardet aux côtés de Pogacar non ?
Jérôme Coppel : Ramené au cycliste féminin, c'est un peu ça, c'est un peu ça. Alors, après, je ne sais pas comment les cyclistes féminines s'entendent entre elles. Evita a l'air de dire que ça va bien. Est-ce que Pinot et Bardet c’était aussi bien ? On sait qu’il y avait deux, trois frictions… Est-ce que ça aurait fonctionné? On ne sait pas, mais oui, c'est vrai que c'est un peu ça. Moi, ma question, c'était plus, on sait, Evita, là, que tu es actuellement en stage en Espagne. Est-ce que tu vois déjà des changements avec l'arrivée de Demi Vollering ? Pas au niveau, bien sûr, médiatique, etc. Mais est-ce qu'elle, elle a déjà apporté des choses ? Est-ce que tu vois dans sa manière de travailler des choses différentes ? Je sais que moi j'ai fait pas mal d'équipes avec des étrangers, notamment des Hollandais. Ils sont très portés sur tout ce qui est étirement, renforcement musculaire, récupération, etc. Donc est-ce qu'elle, elle est un peu dans ce moule-là ? Est-ce que du coup, bien sûr, elle va vous tirer vers le haut ? On sait qu'elle est venue notamment avec la marque de vélo Specialized. Donc ça, c'est aussi un gros changement pour toi et toute l'équipe FDJ. Voilà, qu'est-ce qu'elle a déjà apporté avant même les premières courses ?
Alors, juste pour préciser, on avait signé avec Specialized avant que Demi signe avec l'équipe. Donc on aurait été en Specialized dans tous les cas, mais je pense que ça a aidé à son recrutement. Mais non, pour revenir à la question, c'est vrai qu'en plus, je suis souvent en chambre avec elle. Et là, je suis actuellement en chambre avec elle et c'est vrai qu'elle est vachement tournée la-dessus. Elle fait pas mal de yoga, d'étirements. Après, je sais que moi, j'étais beaucoup aux étirements aussi. Donc, en tout cas, c'est une personne très simple, ouverte et qui, je pense, a envie de partager son expérience et de faire apprendre vraiment tout le monde. Elle se donne toujours vraiment aussi à 100% dans les exercices de groupe et elle est à l'écoute. Donc, pour l'instant, ça se passe vraiment très bien et à voir forcément sur les courses aussi. Mais en tout cas, la mayonnaise a bien pris. C'est vrai qu'on avait déjà quelques Hollandais sur l'équipe. Donc, on voyait déjà un peu leur vision, mais c'est vrai que là, c'est un autre level. C'est quelqu'un de très sérieux et je pense qu’on pourra apprendre tout au long de l'année avec elle.
Chez les garçons, les managers néerlandais se moquent souvent des Français.On rappelle ce qui s'est passé avec la Française des Jeux. Les fameuses bières, là, on ne peut pas boire un petit coup. C'est fini avec les Hollandaises. Maintenant, Evita, non ?Non, en vrai, elles sont. C'est vraiment quelqu'un de simple. C'est vrai qu'en plus, c'est bizarre, à chaque fois qu'on roule, encore aujourd'hui, j'ai déjà vu des personnes faire demi-tour alors qu'elle était en exo pour faire des photos avec elle, et elle prend vraiment pas la grosse tête, toujours souriante et vraiment prête à partager son expérience, donc pour le moment en tout cas, ça se passe très bien. Et elle progresse en français !
Vous communiquez en anglais j'imagine ?
Oui, on communique en anglais, elle vient d'arriver donc c'est compliqué d'apprendre le français du jour au lendemain, c'est une langue compliquée mais elle est pour apprendre, elle essaie d'apprendre quelques mots, mais je pense qu’elle ne sera pas non plus bilingue en français de toute façon, c'est aussi nous dans l'équipe on est vraiment un peu obligé de tout le temps parler anglais parce qu’on a aussi d'autres nationalités.
Demi Vollering que tu avais battu à l'arrivée, je crois, au sommet, c'était lors de la Vuelta, c'est ça ?
Oui, tout à fait. C’est vrai que c'est ce que tout le monde a retenu. Au final, ce n’est pas que j'ai gagné sur la Vuelta, c'est que j'ai gagné à la pédale devant Vollering, en haut d'un col. Et ça c'est vrai que tout le monde n'a pas arrêté de me le rappeler et ça m'a énormément donné confiance en moi, clairement. Et c'est vrai que c'est aussi pour ça que j'avais énormément d'attentes sur le Tour de France, après la Vuelta. Ce n’est peut-être pas un très bon souvenir à chaque fois qu'elle revoit les photos, mais c'est sûr que moi ça reste le plus beau souvenir de ma saison.
A 25 ans, vous êtes encore une jeune athlète qui continue de progresser saison après saison. Quels sont vos objectifs personnels ? Est-ce que vous pensez pouvoir un jour suiccéder à Jeannie Longo, dernière vainqueur française du Tour de France en 89 ?
C'est marrant parce que je n'habite pas très loin d'elle maintenant, je l'ai déjà croisée à l'entraînement. C’est le plus grand palmarès du vélo. Quand on parle de Jeannie Longo, ça parle à tout le monde, même à ceux qui ne connaissent pas le vélo. Jeannie Longo, c'est Jeannie Longo. On a ensuite beaucoup parlé aussi de Pauline Ferrand-Prévot par la suite. Ce sont les deux références. Jeannie Longo a vraiment un palmarès énorme et j'aimerais lui succéder un jour, remporter le Tour de France. Du moins, c'est vraiment l'objectif que je me suis fixé. Avant, c'était d'être championne du monde, j'aimerais toujours, mais il n'y avait pas encore de Tour de France. Donc, c'était compliqué de dire je veux gagner un Tour de France. Maintenant qu'il y en a un, c'est vraiment un objectif dans un coin de ma tête. Ça peut être réalisable. J'ai terminé quatrième, il n'y a que, entre guillemets, trois places à aller chercher.
Vous disiez que vous préféreriez être championne du monde que championne olympique, c'est parce que l'expérience de l'été dernier vous est restée en travers de la gorge ?
Même avant ça, les JO, en vélo, ce n'est pas là où c'est vraiment le plus reconnu. Pour le coup, le Tour de France parle vraiment beaucoup plus à tout le monde. Pour moi, les JO, c'est plus pour les sports qui sont un peu moins médiatisés. Et les sports collectifs, l'athlétisme, la natation, c'est vraiment JO à fond. Et j'adore regarder les JO. J'aurais aimé les faire. Mais pour moi, le vélo, quand on parle de vélo, la première chose qu'on me dit, c'est le Tour de France. Et championne du monde, il y a le maillot arc-en-ciel. C'est quand même une course particulière, les JO. Il n'y a que quatre filles au sein des sélections au maximum, et ce n’était même pas le cas pour nous. C'est un tout petit peloton, c'est une course particulière. Alors Dieu sait que j'aurais aimé le faire et peut-être que je le ferai un jour, mais oui si je devais choisir, j'aimerais gagner le Tour de France.
Vous aviez très mal vécu le fait de ne pas être sélectionnée l'été dernier. Vous aviez exprimé votre amertume sur les réseaux sociaux. Est-ce que vous avez pu en parler avec le sélectionneur ?
Non, on en a parlé au téléphone quand il m'a annoncé la sélection et c'est vrai que j'ai eu un peu de mal à le digérer. C'était dur de regarder la course à la télévision, mais j'ai essayé de trouver les points positifs et je pense que pour la préparation du Tour deFrance, c'était mieux de ne pas faire les Jeux olympiques, de ne pas rester une semaine sur Paris avec la sollicitation médiatique et pour le coup énormément de Covid qui tournait. Juliette en est la preuve, puisqu'elle a été malade après les JO et finalement a eu un peu de mal après pendant le Tour de France. J'ai vraiment essayé de voir ce côté positif, surtout en plus vu le déroulement de la course qui n'aurait peut-être pas été forcément à mon avantage. ça s'est joué un peu sur une chute et du placement… J’ai tourné la page, le Tour n’y a aidé.
Justement, Demi Vollering va être leader sur le Tour de France, mais est-ce que ça va vous aider à progresser ?
De toute façon, ça ne peut que m'aider, c'est mieux de l'avoir avec soi que contre soi, clairement, c'est plus facile. Et oui, de toute manière, en plus, rien n'empêche, si elle gagne le Tour de France, de déjà terminer deuxième. C’est déjà arrivé avec elle (en 2023, Demi Vollering avait gagné le Tour devant sa céoquipière de l’époque Lotte Kopecky). J'aime cette ambition. On aimerait vraiment ramener ce maillot jaune au sein de l'équipe, ça doit être fou aussi de ramener le maillot jaune en tant qu'équipière, ça peut que m'aider et même si ce ne sera pas cette année pourquoi pas aussi sinon aller chercher des victoires d'étapes, je pense que lever les bras c'est aussi quelque chose d'incroyable.
Vous êtes en chambre avec Demi Vollering et que ça s'était mal fini quand même la saison dernière avec Lotte Kopecky, il y a eu beaucoup de frictions et puis après ça a un peu parlé dans la presse, elle vous a un peu chauffé pour la battre au cours de l'année?
Non, non, non, même pas. Après j'avoue que c'est peut-être un sujet délicat, je n'ose pas trop en parler tout le temps non plus. Mais non, elle ne nous en a pas parlé personnellement et je pense que ce n'est pas le but de vouloir battre absolument une fille, le but, c'est de gagner le Tour et en gagnant le tour on sera forcément devant.