"On roule à 90 km/h et les coureurs nous lâchent!" les vélos vont trop vite, le cyclisme a un problème avec son matériel

L’image a fait le tour de la planète vélo : début décembre, le fabricant Colnago, équipementier de Tadej Pogacar et des UAE-Emirates a sorti son nouveau modèle, le Y1RS, au prix évidemment prohibitif de 16.000 euros et au design révolutionnaire avec notamment un guidon très étroit et tordu. Un nouveau vélo qui ferait gagner 20 watts à Pogacar par rapport au modèle précédent, de quoi donner au Slovène une nouvelle arme pour écraser les courses, et aux suiveurs du cyclisme de nouvelles sueurs froides devant les vitesses atteintes.
De quoi renforcer un peu plus les deux tendances fortes de l’année vélo 2024 : une hyper-domination de Tadej Pogacar et les nombreuses chutes qui ont touché les principaux ténors du peloton (Van Aert, Vingegaard, Evenepoel…) et influé largement sur le déroulé des courses (notamment le Tour de France féminin, perdu par Demi Vollering sur une chute bête), jusqu’au terrible drame des championnats du monde avec la mort de Muriel Fuller lors de la course juniors des championnats du monde.
Deux tendances pas forcement décorrélées à y regarder de plus près. Car si le Tour 2024 a été le plus rapide de l’histoire, cela tient beaucoup au talent et à la puissance de Tadej Pogacar, mais aussi à l’évolution technique des machines de plus en plus aérodynamiques, légères, étriquées. Jusqu’où ?
"Je fais ce métier depuis plus de 20 ans. Mon petit garçon vient de décider de prendre une licence de vélo et, honnêtement, je n'ai pas sauté au plafond. On voit toutes ces chutes... on se pose tous la question", explique Julien Jurdie, directeur sportif chez Décathlon-AG2R.
Le parcours et les nombreux aménagements urbains ironiquement destinés souvent à faire ralentir les véhicules pour protéger les vélos sont devenus des pièges lors de courses cyclistes, mais c’est surtout l’évolution du matériel qui est pointée du doigt.
"Je suis beaucoup de courses en voiture derrière le peloton et ça devient infernal. On roule à 90 km/h et les coureurs nous lâchent. On a du mal à escorter les courses. On arrive à un précipice", s'alarme Thierry Gouvenou, le directeur technique du Tour de France qui estime à 10% le gain de vitesse obtenu ces dernières années rien que grâce au matériel.
"On n'est pas foutus de ralentir un vélo"
"Chaque chute est un traumatisme. J'alerte vraiment sur la question. Aujourd'hui, je préconise un retour en arrière. Les sports mécaniques ont mis leurs limites. Il faut que nous aussi on fasse notre révolution", ajoute l'ancien coureur.
Dans le peloton, plusieurs patrons d'équipe font le parallèle avec le sport automobile. "Quand les voitures vont trop vite par rapport au circuit, on les ralentit. Le sport automobile l'a fait. Et nous, on n'est pas foutus de ralentir un vélo", déplore le manager de Groupama-FDJ, Marc Madiot qui appelle à de nouvelles règles sur plusieurs aspects du matériel.
"Aujourd'hui les coureurs utilisent des guidons, je me demande comment ils font pour tourner tellement ils sont étroits. On a des fourches droites. Des jantes hautes. On a du carbone extrêmement rigide. On a des angles de cadre qu'on n'utilisait pas par le passé", énumère-t-il.
Dominique Serieys, directeur de l'équipe Décathlon-AG2R et ancien patron de Mitsubishi Motors Sports, propose de réglementer sur les pneumatiques voire d'imposer une marque unique comme en Formule 1. Car la bataille technologique touche tous les aspects du matériel, et particulièrement les pneumatiques, comme l’expliquait RMC Sport pendant le dernier Tour de France.
Les coureurs ne ralentiront pas d’eux-mêmes
Le vice-champion olympique Valentin Madouas milite, lui, pour limiter les braquets. "Chaque année on prend une dent. Quand je suis passé pro, on était en 52-11. Là on commence à avoir des 55-10. Si on n'a pas ça, on ne peut plus suivre le peloton. C'est devenu du grand n'importe quoi."
Il dit aussi que les coureurs ne ralentiront pas d'eux-mêmes car ils sont payés pour gagner des courses. Pour freiner la course à l'armement, Marc Madiot ne voit qu'une solution: "c'est à l'UCI (Union cycliste internationale) de dire: messieurs les constructeurs de cycles, les jantes hautes, c'est interdit. Les guidons, c'est 40 ou 42 centimètres minimum, etc."
Le directeur du Tour de France, Christian Prudhomme, a insisté mardi qu'il fallait aussi "parler à l'industrie du cycle" pour agir afin "que le cyclisme ne devienne pas encore plus dangereux". Un discours compliqué à tenir dans la mesure où l’industrie du cycle sponsorise et fait vivre un grand nombre d’équipe pro et vend au grand public les innovations utilisées par les pros.
Le patron du Tour salue également l'initiative d'équipes comme DSM d'avoir des maillots renforcés évitant aux coureurs d'être "complètement râpés" en cas de chute. Certains évoquent même un "air-bag" pour protéger les coureurs. « je me souviens d’une équipe pour Chris Froome prenait des coup de soleil a travers son maillot tellement celui-ci était fin, a-t-il expliqué récemment dans un live sur Twitch.
Mais le mieux serait encore d'éviter les chutes tout court et pour cela il n'y a qu'une solution selon Marc Madiot: "il faut qu'on ralentisse".