Darrigade : « Je me débrouillais tout seul »

André Darrigade - -
Vous avez gagné 22 étapes mais quel est votre souvenir le plus marquant dans le Tour de France ?
J’ai beaucoup de bons souvenirs. J’ai ramené deux fois le maillot vert à Paris, en 1959 et 1961. J’ai porté le Maillot Jaune à 19 reprises. J’ai gagné cinq fois la première étape du Tour et j’ai remporté 22 victoires d’étape en tout. Le souvenir le plus marquant ? En 1958, j’ai gagné cinq étapes et j’allais remporter la dernière au Parc des Princes. Mais on s’est percuté tête contre tête avec le chef jardinier du Parc des Princes. Il est décédé onze jours après et moi, j’ai passé la nuit à l’hôpital en observation. Cette année-là, j’aurais dû gagner six étapes en tout, ce qui n’était quand même pas mal sur un seul Tour, surtout après avoir été un équipier français. Car j’étais sélectionné dans cette équipe de France d’abord pour travailler pour Louison Bobet, puis Jacques Anquetil et Roger Rivière, et j’allais chercher les étapes quand j’avais la voie libre.
Vous étiez un sprinteur mais vous n’étiez pas allergique à la montagne…
Je n’aimais pas trop la haute montagne mais je ne passais pas trop mal dans la moyenne montagne et ça m’a permis de gagner une étape Bagnères-de-Bigorre – St-Gaudens, dans les Pyrénées, en 1959.
Y a-t-il un coureur qui vous a marqué plus que les autres dans l’histoire du Tour de France ?
A mon époque, bien sûr, Louison Bobet puis Jacques Anquetil. Sur l’ensemble des Tours de France, je pense qu’Eddy Merckx a été le coureur le plus marquant du Tour. Avec aussi Bernard Hinault. Ils en ont gagné cinq chacun, ils ont aussi été champions du monde, ils ont gagné plein de classiques et des Tours d’Italie. Ce sont deux très grands champions.
Quel regard portez-vous sur le cyclisme moderne ?
Beaucoup de choses ont changé en 50 ans, les vélos, l’alimentation, la façon de courir. De mon temps, par exemple, les sprinteurs n’étaient pas amenés au sprint comme maintenant. Je n’ai jamais eu des équipiers français pour faire ça, je me débrouillais tout seul. Aujourd’hui, des coureurs comme Cavendish ont toute une équipe pour les placer dans les meilleures conditions à 200 mètres de la ligne.
Certains coureurs de la génération actuelle vous font-ils rêver ?
Bien sûr. Cavendish me fait rêver. Il m’a déjà battu en gagnant 23 étapes du Tour alors que j’en ai 22. Et il va encore en gagner quelques-unes. Je pense qu’il peut devenir le recordman des victoires d’étape sur le Tour de France.
Cette année, les deux favoris semblent être Christopher Froome et Alberto Contador…
Contador est un très bon coureur. Cette année, il va faire quelque chose, on devrait assister à un duel avec Froome. Il y aura aussi Cadel Evans, peut-être un ton en-dessous. J’aurais aimé voir Nibali, qui vient de gagner le Tour d’Italie et qui aurait été un concurrent redoutable.
Que pensez-vous des coureurs français ?
Il y a des jeunes qui risquent de bien se défendre. On a Thibaut Pinot, qui a gagné une très belle étape l’an dernier et qui marche bien dans les cols. Il y a aussi Voeckler, qui est en forme en ce moment, et Pierre Rolland. Pas mal de Français peuvent tirer leur épingle du jeu. Peut-être pas pour gagner le Tour mais pour gagner des étapes et bien figurer au classement général.
Voyez-vous un Français capable de succéder à Bernard Hinault, dernier vainqueur tricolore en 1985 ?
Pour le moment, je n’en vois pas beaucoup. Gagner un grand Tour me semble compliqué. Des jeunes risquent d’arriver mais il va encore falloir attendre trois ou quatre ans pour les voir au top niveau.
Ressentez-vous toujours de l’émotion au départ de chaque Tour de France ?
Bien sûr. Je regarde toutes les étapes du Tour. J’en ai couru quatorze consécutifs, j’en ai terminé treize et abandonné une fois. Pour moi, le Tour de France est la plus belle course au monde.
Vous rendez-vous sur le Tour chaque été, comme une tradition ?
A une époque, j’ai beaucoup suivi le Tour dans les Pyrénées. Maintenant, je reste devant ma télévision. C’est tellement bien filmé. On voit tous dans les cols, c’est formidable. Mais cette année, je serai à l’arrivée à Paris. Je suis invité par les organisateurs pour fêter la centième édition du Tour.
Que pensez-vous du parcours de cette 100e édition ?
C’est dommage qu’il ne passe pas plus dans les Pyrénées mais il est assez relevé. Il y a moins de contre-la-montre que l’an dernier donc ce parcours est plus ouvert.
Ces derniers mois ont été marqués par les aveux de Lance Armstrong. Comment avez-vous vécu cet épisode ?
Toutes ces histoires de dopage, c’est terrible. Mais tout cela a fait que c’est désormais très bien contrôlé. Et les jeunes Français qui n’avaient pas de place, on les voit maintenant se rapprocher sur les classiques et les grands Tours. C’est dû aux contrôles antidopage.
Armstrong a vu ses sept victoires dans le Tour retirées. Quel regard portez-vous sur cette décision ?
C’est très difficile de juger cette situation. Bien sûr, il y a Armstrong. Mais si on le déclasse, on met qui à sa place ? Ullrich ? Un autre ? Ils étaient aussi dopés qu’Armstrong.
Vous avez beaucoup trophées partout dans votre bureau, à Biarritz. Connaissez-vous votre nombre exact de victoires en carrière ?
Je ne m’en rappelle pas exactement. Je crois avoir lu dans les journaux que j’ai gagné environ 150 courses mais je n’ai pas compté.
Vous êtes passionné vélo mais d’autres sports vous font-ils vibrer ?
J’habite à Biarritz depuis 42 ans et je suis un fidèle supporter du Biarritz Olympique. Ils n’ont pas fait une très belle saison cette année et c’est dommage.
Faites-vous toujours du vélo ?
Non, ça fait deux-trois ans que je n’en fais plus. J’arrive à un âge où c’est dangereux, je n’ai plus les mêmes réflexes qu’il y a 35-40 ans. Mais j’ai toujours un ou deux vélos dans mon garage.
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