Des heures au soleil souvent sans crème solaire: comment les coureurs du Tour de France se protègent du cancer de la peau

Le témoignage avait ému bien au-delà de la simple sphère cycliste. Fin 2017, Luis Alberto Herrera - dit Lucho Herrera - révélait être touché par un cancer de la peau en raison d'une exposition prolongée au soleil durant sa carrière. "Le dermatologue a trouvé des parties cancéreuses. Le moral est bon, je vais bien, mais je fais très attention aux bras et au visage", témoignait la légende du cyclisme colombien, triple vainqueur d'étape sur le Tour dans les années 1980 et ancien rival de Bernard Hinault. "On ne faisait pas attention à mettre de la crème solaire à mon époque. Et puis nous n'avions pas le temps", avait-il ajouté, mettant en évidence une réelle problématique: comment les coureurs, comme ceux du Tour de France, font-ils pour se protéger alors qu'ils passent parfois cinq heures par jour sous un soleil de plomb?
Une protection avant l'étape... mais rien pendant
Cette année, après avoir eu droit à un départ dans la grisaille du Nord, le peloton a vite retrouvé une belle fournaise et plus de 30°C à l'heure de rejoindre la Bretagne, la Mayenne ou l'Indre-et-Loire. Et ce n'est pas la parenthèse toulousaine de mercredi qui fera redescendre la température. Des conditions qui obligent les coureurs et les équipes à s'adapter, avec des gilets réfrigérants à porter au départ et à l'arrivée des étapes, des staffs renforcés sur le bord des routes pour fournir des bidons, et une alimentation ajustée. "Pendant l'étape, ils s'arrosent au maximum avec de l'eau et ils ont des petites poches de glaçons qu'ils mettent au niveau de la nuque pour se rafraîchir. Sur des journées où il fait extrêmement chaud, on fait en sorte d'avoir plus d'assistants sur les ravitos", rappelle Paul Verhaeghe, médecin pour TotalEnergies.
Mais quid du soleil qui maltraite la peau? "La crème solaire, ils en mettent au maximum avant le départ, l'indice le plus élevé. Après, c'est trop compliqué..." Là est tout le problème. Pour le commun des mortels, dermatos et pharmaciens conseillent d'éviter le soleil entre 12h et 16h, en cas de fortes chaleurs, et d'appliquer de la crème au moins toutes les deux heures. Mission simplement impossible pour un cycliste sur le Tour. "On sait que l'exposition aux UV est un sujet important, surtout que les coureurs ont des maillots très fins. Mais on ne peut pas faire beaucoup mieux que ce qu'on fait pour l'instant… Peut-être qu'un jour on aura des textiles qui empêcheront de faire passer les UV?", ose espérer Paul Verhaeghe.
Le souci n'est évidemment pas nouveau. En 2014, l'image de Christopher Froome le dos recouvert d'un violent coup de soleil avait fait le tour des réseaux sociaux. Un peu plus que la prise de parole pourtant alarmante de Kimberley Conte, directrice de course du Tour Down Under féminin, qui avait alerté en 2022 dans les colonnes de Cycling Weekly sur les dangers d'une surexposition au soleil pour les cyclistes. En 2010, un cancer de la peau lui avait été diagnostiqué.
"J'ai subi des dizaines d'interventions chirurgicales au cours des dix dernières années, dont une greffe et une reconstruction complète du tissu entre mon nez et ma lèvre supérieure. Elles sont toutes liées au temps que j'ai passé au soleil. Je n'y ai pas cru au début. Personne dans ma famille n'avait eu ce genre d'antécédent, je pensais donc que j'étais à l'abri. C'est un problème que nous devons tous prendre au sérieux. Amis cyclistes, sans être paranoïaque, si vous découvrez une tache inhabituelle ou un nouveau grain de beauté, même minuscule, soyez prudent et faites-vous examiner, il pourrait s'agir d'un mélanome", prévenait-elle dans un témoignage faisant écho au cas d'Amber Neben, double championne du monde du contre-la-montre.
Des coureurs mieux sensibilisés
En 2007, on lui trouvait un mélanome. "J'étais jeune et en forme, je pensais tout faire correctement. Mais je n'avais jamais pensé à mettre de la crème solaire dans mon dos. Je pensais que mon maillot suffisait", avait expliqué la star américaine. Prise en charge à temps, elle avait rapidement pu reprendre le fil de sa carrière.
"Je pense qu'il y a une grande différence avec l'époque que j'ai pu connaître il y a vingt ans quand j'ai débuté dans ce milieu. Avant, les coureurs ne faisaient pas du tout attention au soleil. Et même si je n'ai encore jamais vu un coureur mettre de la crème solaire en course, je sais qu'ils sont beaucoup plus vigilants et sensibilisés aujourd'hui", relève Piet Daneels, médecin pour Cofidis sur le Tour.
"Une vieille croyance dans le peloton..."
Un constat partagé par notre consultant RMC Jérôme Coppel, qui a lui aussi noté une évolution entre ses débuts en pro en 2008 et la fin de sa carrière en 2016. "Il y a longtemps eu une vieille croyance dans le peloton qui voulait faire croire que si on mettait de la crème solaire, les pores de la peau allaient aussitôt se boucher, avec des conséquences sur la transpiration et sur la performance. C'était idiot. Maintenant, tout le monde ou presque met de la crème quand ça tape fort, même si elle part vite avec la sueur et la chaleur", dit-il, des souvenirs en tête de "coups de soleil terribles". Comme ceux relayés en 2018 par le Sud-Africain Louis Meintjes et en 2020 par l'Espagnol Enric Mas.
"Quand j'ai commencé, on ne pensait pas à protéger certains endroits comme le dos ou le ventre. C'était terrible, il m'arrivait d'avoir la marque de la ceinture cardio et c'était un enfer pour dormir. Tu pensais aussi au réveil en te disant: 'Purée, là je vais tellement morfler! Ça va être horrible de remettre le maillot demain.' Aujourd'hui, je ne vois pas trop ce que les coureurs peuvent faire de plus. Ils ne vont pas s'arrêter en pleine étape pour ouvrir leur maillot et prendre le temps de remettre de la crème solaire…", poursuit Coppel.
"Le principal problème à court terme, c'est que c'est douloureux et ça peut perturber le sommeil et la récupération. Plus grave, on s'expose à un basaliome (la forme la plus courante de cancer de la peau non-mélanome) ou un mélanome (cancer de la peau très agressif)", complète Piet Daneels. "C'est pourquoi il ne faut pas prendre ça à la légère."