Pourquoi le Tour est éternel

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C’est la France des clochers et des églises au milieu des villages. Celle des écoles communales et des fermes d'élevage. La France qui mûrit ses fromages et les étale sur le pain. Celle des monuments, des fleuves qui font leur lit, des vacances en famille. La France des petites reines qui fondent les grands rois. Celle des terroirs et de ses beautés, visuelles, gustatives. Le Tour de France n’est plus une épreuve cycliste. Plus un simple voyage au plus près de l’âme des forçats de la route. La Grande Boucle donne, reçoit, pleure, sourit. Elle vit sa farandole, survit ses cabrioles et ses apôtres en redemandent. On l’aime le matin, elle nous agace l’après-midi, on la déteste le soir. On ne peut s’empêcher de recommencer, encore, et encore.
Les montagnes ont toujours entouré son pays de leurs cimes bras de parents. Elle a gravé leurs noms en lettres de noblesse. En juillet, la France visite ses tontons cols et raffole de leurs histoires contées au coin du feu. Elle se réveille avec Madeleine. Elle déjeune avec Galibier. Elle prend le thé sur la terrasse de Tourmalet. Elle dîne chez Ventoux. Elle finit sa nuit grisée de virages sur le matelas de l’Alpe. On danse autour de son corps, amante féerique. La mariée a pourtant quitté son blanc. Dans son reflet, les relents du dégoût. Le ballet des seringues et des forces policières a anesthésié les rêves d’enfance. Sous les ponts de la probité à guidon, l’eau claire depuis longtemps s’est tarie. L’ogre au nom de jazzman sur la Lune a recraché le Tour après longue mastication. Il n’avait plus que la peau sur les os. Il s’est requinqué, il le fera à nouveau, s’il le faut.
Anquetil ou Poulidor
Lance Armstrong n’a pas enterré la Grande Boucle. Il lui a ouvert les portes du grand monde, mondovision dans la besace. L’a muée en foire internationale, privée d’une partie de ce rapport si intime avec son public, bardée de marketing publicitaire. Elle a su garder sa majesté. Il l’a aussi ancrée dans la réalité. Sa réalité. On ne fera plus jamais fi du dopage. Son oeil pervers surveille le peloton en coin, caché dans les cyprès. Il faut, peut-être, s'en accommoder du mieux possible. Vivre avec autant que dans son ombre. Deviner, supputer, ne rien laisser passer. Mais se régaler, toujours.
La souffrance d’un démarrage hors catégorie, les défaillances, les grands duels, la comédie humaine. Le théâtre devenu des illusions sait encore jouer des pièces délicieuses. Le long des routes des grands départs, les arrivées au sommet écrivent la légende. C'est la France carte postale, notre patrimoine et notre meilleure agence de voyage. Celle des caravanes et des glacières, des pavés et des ornières, des villes et des campagnes, des passages à niveau et des ronds-points. La fourche brisée d'Eugène Christophe et les jambes coton tiges de Chris Froome. Le drame Tom Simpson et les 60% de Bjarne Riis. Anquetil ou Poulidor. C’est la France du Tour. Centenaire et éternelle.
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