Tour de France Femmes: d’anciennes coureuses racontent leurs souvenirs de la Grande Boucle dans les années 80

Trente-trois ans après, il est de retour. Le Tour de France Femmes débute ce dimanche à Paris, avec une première étape entre la Tour Eiffel et les Champs-Elysées. Les 144 coureuses au départ vont toutes découvrir l’épreuve. Pourtant, le Tour de France féminin est né il y a bien longtemps.
Une première édition en 1955, mais l’expérience n’est pas renouvelée, dans une société où il est dur de se faire une place dans le sport si l’on n’est pas un homme. L’épreuve fait son retour en 1984 et va durer six ans, avant de changer de format pour des raisons économiques, puis de disparaître en 1993. D’autres Tours “officieux” auront lieu plus tard. La “Course By le Tour”, sur un jour, apparaît ensuite, en 2014.
"C'était l'inconnu total"
Mais le “vrai” Tour pour les femmes se déroule donc de 1984 à 1989. Les coureuses évoluent avant les garçons et empruntent la fin de leur parcours sur les trois semaines de course. “Le premier en 1984 était magique, extraordinaire. Nous, on ne savait pas comment on allait tenir ces trois semaines. J’avais pris une licence l’année d’avant. L’objectif était de terminer le Tour, se rappelle Marie-Françoise Potereau, qui a participé à cinq éditions. C’était l’inconnu total, dans l’inconnu il y a des choses extrêmement bonnes. On ne savait pas où on pouvait aller en termes de capacités physiques et mentales”.
À l'époque, pour la plupart des filles, le cyclisme ne permet pas de vivre. Il est une passion, pratiquée en plus d’un métier. “J’étais secrétaire médicale, raconte Marie-François Potereau. J'ai eu la chance d'avoir des patrons qui m’ont laissé y aller alors que je n’avais quasiment plus de congés. Pour eux, c’était incroyable de voir une de leurs employées disputer un Tour. Au retour, j’ai eu une réception, etc.” Dany Bonnoront a également participé à cinq Tour de France, de 1985 à 1989 : “Moi je travaillais à côté et je posais des congés sans solde. Je prenais mes congés pour être sélectionnée. Ce n’était pas très bien compris par mon employeur mais au bout d’un moment, il a compris que ça m'occupait bien l'esprit et le temps”, sourit-elle.
Cécile Odin, elle, roule toujours. Elle a terminé 3e du Tour 1985, à 20 ans, alors qu’elle se considérait quasiment comme professionnelle avec l’équipe de France. “On enchaînait les courses à étapes très fréquemment, explique-t-elle. Tour de la Drôme, de Vendée, en Norvège... Notre corps était habitué, on courait tous les dimanches, l’organisme était préparé à faire tous ces efforts.”
"On sentait cette ferveur et l’effet de surprise"
Mais quand même. Chaque jour, le peloton féminin parcours environ 100km, souvent un peu moins, sur les routes que les garçons empruntent quelques heures plus tard. ”On avait les motards de la garde républicaine qui ouvraient la route, ça c’était incroyable et tous les motards bénévoles avec qui on avait sympathisé”, dit Dany Bonnoront. Au menu : les cols les plus difficiles du pays. “On découvrait qu’on était capables de le faire : monter l’Alpe d’Huez, monter le Granon, dont on a beaucoup parlé cette année. On l’a monté, pas avec les mêmes préparations et moyens. Il y avait cette liberté”, se souvient Potereau.
Les grimpeuses, comme Dany Bonnoront, se régalent : "C'était fabuleux. Nous aussi on passait dans des cols à travers des foules qui s’écartaient, ça me donnait la chair de poule. Pour moi, les arrivées en haut des cols, en tant que grimpeuse j’adorais… Avec la foule qui s’écarte, et puis sentir qu’en fin d'étape, on gagne 1km/heure par les cris des gens, les encouragements, je n'avais jamais ressenti ça avant.” Toutes le disent : le public qui, au départ, attendait les hommes, s’est pris au jeu. “Au fur et à mesure des étapes, on sentait cette ferveur et l’effet de surprise. On entendait : 'vous avez vu, c’est des femmes'. On avait l'impression d'être des extraterrestres qui arrivaient. Je me souviens, certains disaient 'mais non ce ne sont pas des femmes, ce sont des hommes. Mais si, c’est des femmes !'”, sourit encore Potereau aujourd’hui. Cécile Odin abonde : “Une ambiance de fou, des rigolades avec le staff, plein de choses sont encore dans ma tête. Mon nom sur la route dans le Tourmalet où mon oncle et ma tante avaient écrit sur 3 kilomètres “Odin, Odin…” ça y est resté longtemps d’ailleurs!”
"Je suis sur le podium, il y a Chirac, Hinault, tous les champions, on se dit wahou"
A l’époque, les coureuses sont divisées par équipes nationales. Les tricolores et leur “maillot en laine, avec des fibres très épaisses” (Bonnoront), courent pour leur leader Jeannie Longo, trois fois vainqueure. Mais elles ont aussi carte blanche sur certaines étapes. Marie-Françoise Poterau: “Le Tour 1984 je fais deuxième sur les Champs, j'étais échappée. Le monde qu’il y avait… C'était grandiose. Ça voulait dire que j'étais allée au bout des trois semaines, que c’était fini. J'étais avec une Néerlandaise. J'étais déjà très surprise d'être échappée…” Pas de victoire mais des souvenirs gravés à jamais, le fait d’y arriver. Bonnoront garde en mémoire “une étape du Puy de Dôme, où je fais 50km d’échappée, je me retrouve devant avec une Italienne. Je la lache dans le Puy de Dôme et je me fais reprendre… C'était une grosse déception, je termine 5e. J’ai essayé et ça reste un très bon souvenir.”
Et puis il y a le Graal : la victoire, qu’a connue Cécile Odin. “J’ai eu la chance de gagner sur le Tour en 1987. Une étape qui arrivait à Saint-Girons, une première victoire sur le tour et mon premier podium sur le tour en 1985 à 20 ans. Je suis sur le podium, il y a Chirac, Hinault, tous les champions, on se dit wahou. Et puis les Champs Elysées… Il y a beaucoup de choses qui vous marquent quand vous avez 20 ans.” Les primes sont bien inférieures à celles des hommes, la médiatisation aussi. Mais les conditions sont bonnes, les hôtels de qualités, des kinés, des mécaniciens.
"Des femmes, physiquement et psychologiquement, peuvent tenir trois semaines"
Aujourd’hui, ces anciennes coureuses sont ravies de voir le Tour de France Femmes revenir. Même si la formule les interroge… “Je pense que des femmes, physiquement et psychologiquement, peuvent tenir trois semaines”, souffle Marie-Françoise Potereau. Le plus gros écueil selon elles : le public. “Avoir les mêmes spectateurs sur le bord des routes, c'était fabuleux”, appuie Bonnoront. Cécile Odin réfléchit : “Pourquoi ne pas faire des étapes sur des routes parallèles et prendre les mêmes 20 derniers kilomètres ? Je cherche des solutions pour qu'elles vivent ça, ce ne sera pas pareil…”
“Ce que j’attends, c’est qu’on puisse en parler beaucoup. Que ça puisse être une belle vitrine du cyclisme et du sport feminin en général et que ça inspire des jeunes filles à faire du vélo, conclut Marie-Françoise Potereau. Je veux que ce soit des femmes inspirantes pour nos nouvelles générations.”