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Tour de France : Nibali, au nom de l’histoire

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Passionné de cyclisme, le vainqueur du Tour de France 2014 a rejoint les géants de la petite reine en se construisant sur les notions familiales de sacrifice et d’effort et sur les fantômes du passé. Portrait d’un homme simple au destin de champion.

L’entrée de Vincenzo Nibali dans le cénacle des vainqueurs des trois grands Tours épouse une logique. Celle d’un destin harnaché à l’histoire de son sport. Entre l’Italien et le cyclisme, une véritable histoire d’amour. Une relation née sur les routes de sa Sicile natale, à Messine, où le jeune « Enzo » va faire sienne la passion de papa Salvatore pour la petite reine. Ensemble, ils vont suivre des courses, regardent des vidéos sur les grands champions du passé, se tirent la bourre dans des sorties collectives de cyclotouristes. Un peu foufou et pas fan des bancs de l’école, le futur lauréat de la Grande Boucle doit souvent passer par la case hôpital. Il demandera à un chirurgien venu intervenir sur sa cuisse gauche blessée de bien s’en occuper car il « va être coureur cycliste ».

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A l’époque, un ami de son père le surnomme « la puce des Pyrénées » pour ses qualités de grimpeur. Son premier mentor, Eddy Lanzo, l’affublera du sobriquet « le Requin du détroit » (de Messine). Question de style. Nibali, un coureur « à l’ancienne ». Attaquant, généreux, romantique, élégant, décontracté, humble, respectueux des adversaires, presque idéaliste d’une certaine vision du cyclisme. « J’ai toujours aimé attaquer et profiter de la moindre occasion », explique l’intéressé. Les favoris des grands Tours se concentrent sur les courses de trois semaines ? Il aime aller se frotter aux courses d’un jour et aux classiques légendaires. Le Tour se joue sur deux-trois rendez-vous programmés à l’avance ? Il trouve des terrains pour grappiller du temps partout, sur une côte à Sheffield, dans les pavés d’Arenberg, et domine la course de bout en bout.

Il succède à Pantani, son idole

« Il court très intelligemment, analyse Cyrille Guimard. Il fait les efforts et les écarts quand il doit les faire. » Le tout toujours dans cette filiation des ombres du passé. Son idole se nomme Marco Pantani. Jeune, il portait un bandana sur son vélo pour émuler le « Pirate ». Qui l’accompagne toujours. La veille de l’arrivée à Hautacam, Giuseppe Martinelli (son directeur sportif chez Astana où il l’a fait venir) lui a raconté la place de cette montée dans la légende du Tour sans omettre de lui rappeler… l’attaque de Pantani au pied de ce col il y a vingt ans. Les fourmis dans les jambes l’ont un peu plus démangé, forcément. Ce dimanche, Nibali va succéder à Pantani, dernier Italien vainqueur du Tour avant lui (en 1998). Comme un clin d’œil.

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« Sa mère m’a remis l’un des maillots jaunes de Marco, confie Vincenzo. Je lui ai promis que je lui donnerai l’un des miens si tout se passe bien. » La promesse va être tenue. Nibali voulait « laisser (s)on empreinte » sur le Tour. Avec quatre victoires d’étape, une première pour un maillot jaune depuis Laurent Fignon en 1984 (hors Lance Armstrong), il l’a écrite au fer rouge. Sur tous les terrains, son excellence a parlé. Avec un triptyque montagneux extraordinaire : une étape dans les Vosges, une dans les Alpes, une dans les Pyrénées. Un rappel de ce panache qui ne le quitte jamais et dont il avait fait une preuve éclatante sur le Giro 2013 en s’imposant en rose dans le brouillard glacé des Trois Cimes de Lavaredo. On avait alors évoqué le souvenir de son compatriote Felice Gimondi, dont il partage le style et le goût de l’effort.

« Un artiste du cyclisme moderne »

Le rapprochement va plus loin : le vainqueur du Tour 1965, qui se reconnaît en lui, a appelé Nibali pendant la Grande Boucle pour lui donner des conseils. Dresser le portrait de Vincenzo revient, finalement, à comprendre combien les origines peuvent influencer un destin. Fils de commerçants, petit-fils d’un ancien maçon émigré à Perth (Australie) en 1958 (famille très religieuse où son petit frère Antonio a également basculé dans la carrière cycliste), obligé de s’exiler en Toscane à 16 ans pour rejoindre l’équipe Mastromarco et vivre son rêve, Nibali s’est construit sur les notions de sacrifice, de courage, d’effort et de chemin à parcourir pour atteindre son but. Il s’en sert aussi sur son vélo. « Il est complet, peut changer de stratégie car il n’en a pas qu’une, indique Martinelli. C’est avec sa tête que Vincenzo gagne, pas seulement avec les jambes. C’est un peu un artiste dans le cyclisme moderne. »

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Le coureur est instinctif, aérien, spontané, superstitieux mais jamais stressé. L’homme reste simple. Fidèle, aussi. Alessandro Vanotti, qui partage les chambres d’hôtels de ce couche-tard depuis sept ans et le connaît « comme son ombre », peut témoigner. S’il habite désormais une luxueuse villa de Lugano, en Suisse, il admet qu’il ne pourra « jamais se passer » de Messine. Ses parents disent que l’argent (plus de trois millions d’euros par an chez Astana) ne l’a pas changé. « Ce n’est pas encore une star en Italie mais il va le devenir après le Tour », estime Silvio Martinelli, journaliste à la Rai. La célébrité ne devrait pas trop faire tourner la tête de cet homme discret. Qui a toujours mis son éducation en avant dans sa quête d’un cyclisme éthique et moral. Le dopage, Nibali l’a toujours combattu. Son paternel l’a prévenu : s’il était contrôlé positif un jour, il ne pourrait plus remettre les pieds en Sicile. Difficile d’imaginer « Enzo », qui rend Mama Giovanna si « fière », prendre le risque.

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Alexandre Herbinet