Tour de France: "Rockstar", "anticonformiste", "adorable"... Quelle image va laisser Peter Sagan?

La scène se répète tous les matins. Lorsqu’il sort du car de TotalEnergies pour monter sur sa machine et se rendre à la présentation des équipes, les yeux cachés sous d’épaisses lunettes rouges, l’applaudimètre explose. Le genre de standing ovation qui pourrait (presque) rendre jaloux Thibaut Pinot, Julian Alaphilippe et les autres chouchous du public. On ne parle pas de Mathieu Burgaudeau, même si la cote d’amour du baroudeur ne cesse de grimper depuis sa deuxième place décrochée sur les routes du Beaujolais, mais évidemment de Peter Sagan. Du haut de ses 33 ans, et bien qu’il donne l’impression de traverser son dernier Tour de France comme une ombre, la popularité du Slovaque reste au plus haut. Avant, pendant et après les étapes, son fan club l'accompagne partout.

"On aime le coureur et le personnage", témoigne Patrick, retraité de 67 ans, qui a eu droit à son autographe vendredi au départ de Châtillon-Sur-Chalaronne, dans l’Ain. "C’est un immense champion mais il n’est pas sophistiqué, poursuit-il. Je suis bluffé par sa simplicité. Il a un charisme fou et c’est facile de l’aborder. Il est très accessible. Je l’avais déjà vu en 2019 quand le Tour était venu à Mâcon. On avait pu parler tranquillement avec lui, ça reste un grand souvenir." "Avec son CV, il pourrait avoir le melon, mais pas du tout", renchérit Thierry, informaticien de 45 ans, qui n’a pas laissé le choix à son patron en prenant "trois journées de RTT pour voir le Tour et surtout Sagan". "Je l’adore parce qu’il ne fait pas partie de ce cyclisme trop robotisé, il sort du cadre, souligne-t-il. Il faudrait plus de coureurs comme lui. Il va manquer à tout le monde."
Un dernier Tour de piste
Au bout d'une carrière commencée en 2010 sous les couleurs de la Liquigas, Sagan prendra sa retraite sur route en fin de saison. Avec l’idée de se consacrer à sa famille et… au VTT en vue des Jeux olympiques de Paris 2024. Une annonce surprise faite en début d’année. Les mauvaises langues diront qu’il était temps et rappelleront que l’homme aux 121 victoires professionnelles, triple champion du monde et septuple maillot vert du Tour, n’a plus gagné depuis juin 2022 et un titre de champion de Slovaquie qu’il n’a pas réussi à conserver cette année. Sur cette Grande Boucle, il s’est glissé deux fois dans le top 15 mais n’a pas fait mieux qu’une huitième place, à Moulins. Un déclin sportif évident qui n’a pas égratigné son statut de star du peloton.
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"C’est l’une des très belles rencontres de ma vie, confie Jean-René Bernaudeau, manager général de TotalEnergies, qui l’a recruté à la fin de son contrat chez Bora-Hansgrohe en 2022. Peter, c’est un grand cœur, un immense champion et un anticonformiste qui a voulu changer les choses. C’est un gentil qui sait fédérer autour de lui. Le vélo d’aujourd’hui lui plaît sans doute moins. Depuis sa première saison où il a explosé, il est systématiquement attendu, il a une petite usure. Mais il prend ça à la légère tout en étant concentré et professionnel. Il a une belle insouciance, celle qui permet d’avoir des ambitions élevées. Il va laisser une trace pour longtemps. Pour moi, il est dans une case unique. Il n’est pas dans la catégorie d’un Bernard Hinault, mais on se rappellera longtemps de Peter Sagan. Il vit ce dernier Tour avec beaucoup de détachement mais il reste excité et je le vois bien faire plaisir à tous ses fans."
Des fans toujours sous le charme
Des supporters tombés amoureux dans les années 2010 de ce pur attaquant, léger et punchy sur son vélo comme dans ses mots. Un showman porteur d’un vent de fraîcheur, un habile communicant et un coureur polyvalent plus à l’aise pour placer des cartouches, sur le plat ou en bosse, que pour courir à l’économie. "Il a fait tellement de belles choses, il a eu tellement de victoires. Savoir que c'est son dernier Tour, c'est triste, c'est assez dur à entendre. C'est dommage de se dire qu'on ne le verra plus. Mais il a eu une incroyable carrière et il fait toujours le show. Lui il va voir les fans", sourit Mark, un Australien de 35 ans rencontré jeudi lors de la 12e étape avec son étonnant chapeau couleur peau de vache et sa pancarte à l’effigie de Sagan.

"En fait, on l'a trouvé dans une station essence Total, se marre-t-il. Ils nous l'ont donnée. Bon, elle n'est pas totalement en taille réelle. On va essayer de la ramener, je vais la mettre dans ma chambre." Michel, lui, est encore sur un petit nuage. Mercredi, ce Normand de 75 ans qui suit le Tour en camping-car a eu droit à un joli cadeau de son coureur préféré : "Je collectionne les musettes et Peter m’a donné la sienne, dans mes mains, juste après un ravitaillement. Il avait déjà offert une musette à ma femme il y a deux ans. Tous les coureurs ne sont pas comme ça. Il est super disponible avec le public. Il n’a pas la grosse tête alors que c’est un génie." Un cador au palmarès gargantuesque, vainqueur entre autres du Tour des Flandres (2016) et de Paris-Roubaix (2018), décrit comme "discret" par son équipier Mathieu Burgaudeau.
Burgaudeau: "Ce n'est pas une grande gueule"
"Mais quand il parle, ce n’est pas pour dire des choses inutiles, on a envie de l’écouter, insiste le Français. Quand on a su qu’il arrivait dans l’équipe, on était tous un peu ébahis. Il nous a apporté beaucoup de professionnalisme, un élan d’euphorie en plus. C’est un gros point positif de l’avoir avec nous. Je pourrais dire à la fin de ma carrière que j’ai eu Peter Sagan dans mon bus ! C’est un souvenir que je garderais toute la vie. C’est quelqu’un de normal, pas forcément une grande gueule. Il aime les choses simples de la vie. Son nom restera gravé dans l’histoire du cyclisme. Et au-delà de ses victoires, on se souviendra de son style assez atypique. Il se démarque des autres, c’est aussi pour ça que les gens l’aiment. Qu’importe le lieu, la course, il est toujours autant applaudi par le public. C’est là qu’on se rend compte de son ampleur."

L'Italien Daniel Oss, qui côtoie Sagan depuis plus de dix ans, décrit lui aussi son ami comme "l’un des meilleurs coureurs et l’une des meilleures personnes au monde". "Je l’ai vu remporter son remporter son premier maillot vert (en 2012) et on s’est battu pour son dernier maillot vert (en 2019), ce sont des bons souvenirs, dit-il dans un grand sourire. C’est un leader, ce n’est pas simplement une star. Il est purement instinctif dans sa façon de courir, il a toujours cherché à innover. C’est une chance de l’avoir à nos côtés." Le sprinteur belge Jordi Meeus, qui a évolué avec Sagan au sein de la formation allemande Bora-Hansgrohe, ne dit pas autre chose : "Il est sans conteste l'un des plus grands noms du cyclisme que j'ai connus. Trois fois champion du monde, sept fois maillot vert... ce fut un privilège pour moi de courir avec lui. J'ai été son coéquipier une année et on se parle toujours quand on se croise."
Pour Vasseur, "il a changé l'image du cyclisme"
Et de prolonger l'éloge : "C'est un type adorable, je pense qu'il va laisser un vide. C'est un coureur atypique, encore plus de nos jours. Quand il a commencé le vélo, les choses étaient très différentes. Je pense que ce qu'on appelle le cyclisme à l'ancienne avait du mieux par rapport au cyclisme actuel, c'est sans doute une des raisons pour lesquelles il a un peu perdu sa joie. Mais quand vous voyez la carrière qu'il a eue, c'est incroyable. Je pense que n'importe quel coureur rêverait d'avoir la même carrière. On ne peut que rêver d'avoir un palmarès comme le sien." A l’image d’un Mark Cavendish, qui a reçu des messages de soutien d’une grande partie du peloton après son abandon pour son probable dernier Tour, Sagan est un nom que l’on respecte au sein du peloton.
"Il avait un formidable sens du placement dans ses meilleures années, il frottait beaucoup, c’était un adversaire redoutable, appuie Bryan Coquard, pas rancunier malgré un petit accrochage avec le Slovaque lors d’un sprint tumultueux à Valence sur le Tour 2015. C’est un prodige du vélo. Il a rendu son sport plus fun et attractif, il a inspiré beaucoup de jeunes cyclistes." Manager chez Cofidis, Cédric Vasseur salue également "un grand monsieur". "C’est un phénomène, un coureur qui dépasse le cadre purement sportif, explique-t-il. C’est une rock star. Il a émerveillé tout un public, il a donné envie à des jeunes de faire du vélo. Il a le mérite d’être encore présent sur le Tour de France. Evidemment, c’est sa fin de carrière et on sent qu’il n’a plus la même vigueur, mais c’est un vrai bonheur de l’avoir vu évoluer. Il a changé l’image du cyclisme. Aujourd’hui, une nouvelle phase de sa vie va commencer. Je lui souhaite de bien terminer ce Tour et d’essayer peut-être sur une étape de frapper une dernière fois sur la table."
Ça tombe bien, Michel, le collectionneur de musettes, a une date en tête : "Moi, je vous l’annonce, il va gagner sur les Champs le 23 juillet." Rendez-vous est pris.