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Arbitrage vidéo : comment les autres sports fonctionnent

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Pour amorcer sa campagne de réélection à la tête de la FIFA, Sepp Blatter s’est choisi un nouveau cheval de bataille. Et, roulements de tambour, son destrier électoral sera, semble-t-il, la mise en place de la vidéo dans le football et son utilisation par les arbitres et les entraîneurs. Pas rien. D’autant qu’en quelques années, la vidéo s’est déjà installée dans les réglementations de nombreux sports collectifs, parmi lesquels on retrouve le rugby à XIII et à XV, le football américain et canadien, le baseball ainsi que le hockey sur glace et sur gazon (escrime, squash, tennis et judo pour les sports individuels). L’occasion d’un gros plan de ces disciplines qui connaissent des fortunes diverses avec leurs ralentis.

I) Le Rugby :

Quand : 2001 pour les compétitions internationales, 2006 pour le Top 14 (un règlement amendé à l’époque et plusieurs fois depuis)

Qui : L’arbitre vidéo est un officiel (généralement un arbitre en activité), appelé TMO (television match official)

Où : Le TMO est confiné dans un local technique, à l’abri des supporters et des médias. Il communique avec l’arbitre principal par oreillette.

Comment : l’arbitre vidéo utilise, forcément, les images du diffuseur télé.

L’utilisation : Instaurée pour les compétitions internationales en 2001, la vidéo fait désormais partie du paysage rugbystique français et mondial, au même titre que les fourchettes, les mêlées et autres joyeusetés ovales. D’abord strictement réduite à une utilisation dans l’en-but (y-a-t-il essai ou pas ?), elle a, peu à peu, étendu sa sphère d’influence ces dernières années (le contrôle du jeu déloyal a permis de diminuer significativement le nombre de blessures graves.) En gros, sa genèse dans le rugby est comparable à l’apparition de la Goal Line Technology dans le football lors de la dernière Coupe du monde au Brésil. C’est la suite qui change et dérange certains. Car l’IRB a vite vu son règlement amendé par les fédérations nationales, dont la FFR qui permet désormais à l’arbitre vidéo de remonter sur deux temps de jeu lorsqu’il tente de vérifier la validité d’un essai litigieux. Plus poussé encore, le monitoring des passes en avant est également sujet aux images.

Y-a-t-il des polémiques ? Oui

Au rayon des critiques lancées au visage de Madame Vidéo, on retrouve, entre autres :

- la durée des matches trop longue (trop de révisions vidéos peuvent allonger les rencontres jusqu’à plus de dix minutes supplémentaires). Certaines révisions vidéo durent plus de deux minutes.

- Le manque de clarté, même après révision, de certaines actions (la vidéo demeure une image subjective)

- l’analyse des passes en avant : un phénomène appelé « vitesse relative » empêche quiconque de juger correctement la direction d’une passe à la vidéo, puisque la caméra avance en même temps que le joueur. 90% des passes semblent donc être en avant à la vidéo. Solution de l’IRB ? Juger de l’intention de la passe, soit la direction des bras.

- La dépendance aux diffuseurs : un réalisateur d’une nationalité X, peut couvrir la finale d’une compétition organisée dans son pays avec son équipe nationale en tête affiche. Il peut choisir de ne pas repasser une certaine séquence et ainsi avoir une influence, volontaire ou pas, sur l’arbitrage.

II) Le foot US :

Quand : De 1986 à 1992, puis de 1999 à aujourd’hui

Qui : Les coaches des deux équipes qui s’affrontent peuvent demander l’arbitrage vidéo. L’arbitre a ensuite 1 min 30 pour revoir l’action.

Où : Les arbitres revoient l’action sur un moniteur puis, équipés de micro connectés au système de son du stade, rendent leur décision publiquement.

L’utilisation : Les head coaches peuvent demander deux révisions vidéos dans le match. Si un challenge est validé (c’est-à-dire si l’arbitre se déjuge), le coach conserve le temps mort dépensé pour contester la décision. Si le challenge est refusé (c’est-à-dire que l’arbitre maintient sa décision), la demande de révision coûte un temps mort au head coach demandeur. Dans les deux dernières minutes d'une mi-temps et en prolongation, seul l'arbitre peut demander une révision vidéo.

Y-a-t-il des polémiques ? Quasiment plus du tout

L’explication : La NFL est une incomprise. Systématiquement citée en exemple par les défenseurs de la vidéo, l’histoire d’amour entre le Foot US et l’instant replay est, en réalité, bien plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Voté en 1986 et lancé durant les playoffs cette même année, l’arbitrage vidéo des 80’s est à des années lumières de celui que les fans de NFL voient utilisé aujourd’hui (la NFL a repris ce week-end aux Etats-Unis si vous voulez vérifier). Et ce qui est (un peu) inquiétant pour le rugby, c’est que la version qu’il utilise ressemble beaucoup à celle abandonnée par la NFL. Les arbitres eux-mêmes décidaient en effet de revoir, ou pas, certaines actions litigieuses. Le public, ayant droit aux mêmes images, réalisa alors que les décisions des directeurs de jeu n’étaient pas toujours bonnes, même après révision. Pire, certaines rencontres furent marquées du sceau de l’injustice, de manière encore plus prononcée à cause de la vidéo. Tellement qu’en 1992, George Young, manager des Giants de New York réussit enfin à assembler assez de votes pour faire annuler la règle.

Pendant huit ans, l’instant replay disparu donc des écrans, avant de revenir en 1999, plus fort que jamais. Cette fois-ci, les coaches furent ajoutés à l’équation vidéo alors que les arbitres, eux, revoient systématiquement les actions de jeu engendrant des points (touchdowns) ou des turn-overs (une équipe perd la balle au profit d’une autre, action lourde de conséquences en Foot US). Résultat, « c’est parfois un peu long admet Alain Mattei, rédacteur en chef du site internet spécialisé touchdownactu.com. Mais pas long au point de nourrir assez de frustration pour que la règle puisse à nouveau être changée. « C’est même devenu évident précise Mattei au sujet de l’arbitrage vidéo. Cela fait sept ans que je couvre la NFL et je n’ai assisté qu’à une seule polémique importante, en 2012 explique-t-il. A tel point que lorsque je regardais du football durant la Coupe du monde cet été, je ne comprenais pas que ce sport ne soit pas venu avant à la Goal-line Technology. La NFL fait très bien en sorte qu’on parle des matches et pas des arbitres après les rencontres ».

Conclusion : Avec, comme le suggère Blatter, des révisions vidéos demandées par les entraîneurs aux arbitres, le football (le nôtre, le soccer) semble donc prendre le chemin de son cousin d’Amérique. A la différence près que la version US est, et demeure, un sport de phases (offensives, défensives, équipes spéciales) quand le ballon rond se joue sur la durée sans que ses changements de phases ne soient sanctionnés par l’arbitrage (on passe naturellement de l’attaque à la défense). Le président de la FIFA se retrouve donc face à un défi de taille : ajouter la vidéo, sans nuire à la fluidité. Allez, magnéto Sepp.

Raphael Cosimano