Comment l’Arabie saoudite va s’offrir la Coupe du monde 2034

Le 9 décembre 2021, Mohammed ben Salmane fait son apparition dans le stade de Lusail, au nord de Doha, à ses côtés l'émir du Qatar tout sourire. Les deux hommes déambulent dans les longs couloirs de l'enceinte qui accueillera quelques mois plus tard la finale de la Coupe du Monde 2022. Un an après la fin du blocus de l'Arabie saoudite contre son pays, Tamim ben Hamad Al Thani savoure ce moment.
Le petit état qatari, qui avait obtenu l'organisation du Mondial en 2010 à la stupéfaction générale, montre les muscles face à la grande puissance régionale. "Dans un coin de sa tête, 'MBS' doit se dire si eux (le Qatar, NDLR) ont réussi à construire ça en 12 ans, moi je dois faire encore mieux en 10 ans", explique un proche de la candidature saoudienne. Le message est passé.
Quelques mois plus tard, fin 2022, l'Argentine remporte la Coupe du monde face à la France et met fin à une compétition de très haute qualité. Les sujets sensibles font toujours la Une de l’actualité, notamment sur les droits humains, mais dans le petit milieu des dirigeants sportifs on reconnaît que le Qatar a impressionné le monde. Désormais, ils se bousculent pour organiser des compétitions dans le petit émirat. Le Qatar profite du moment. Mais très rapidement l'Arabie saoudite va pointer le bout de son nez.
En quelques mois, les Saoudiens se sont rapprochés de plusieurs cadres de la Fifa. Ils avaient un message à faire passer, un message de la plus haute importance: "On veut organiser notre Mondial". Après le rachat de Newcastle, la signature de Cristiano Ronaldo fin décembre 2022 lance les hostilités. Un processus de montée en puissance pour aboutir à l'officialisation le 4 octobre 2023 de la candidature pour l’obtention de la Coupe du monde 2034.
Des investissements partout, tout le temps!
L'obtention de ce Mondial 2034 est une consécration pour les dirigeants saoudiens. Mais est-ce une surprise? La réponse est non. Depuis quelques années, l'Arabie saoudite a investi massivement dans de nombreux domaines liés au sport. Souvent de manière invisible pour les fans. "Ils se disent très clairement, et sans se cacher, que pour obtenir des événements il faut de l’argent et surtout un lobbying intense au sein des instances", concède un cadre de l’UEFA.
Début décembre, un rapport d’une ONG danoise a révélé l'influence du Royaume dans le sport mondial. "Le PIF représente à lui seul 346 parrainages dans tous les sports - un nombre qui dépasse le nombre total de parrainages que les chercheurs de Play the Game ont identifiés dans l'ensemble de données de 2023", écrit l'ONG dans son document. Au total, 'Play the Game' met en lumière une liste détaillée de "910 sponsors saoudiens" dans le sport mondial. Des chiffres qui illustrent parfaitement le "sportwashing" de l'Arabie saoudite.
Les dirigeants saoudiens n'éludent pas ce sujet, au contraire ‘MBS’ veut en profiter. "Si le sportwashing doit augmenter mon PIB de 1%, alors nous continuerons à pratiquer le sportwashing. J’ai 1% de croissance du PIB grâce au sport et je vise 1,5% supplémentaire. Appelez ça comme vous voulez, mais nous allons obtenir ces 1,5%", avait prévenu Mohammed ben Salmane sur Fox News. Le football, sport le plus pratiqué et populaire de la planète, est une cible prioritaire pour le royaume, avec 194 sponsors directs.
En dehors des investissements dans plusieurs compétitions (boxe, golf, tennis…), l’Arabie saoudite essaye de placer plusieurs de ses dirigeants au sein des organes décisionnels de différentes fédérations sportives. "Il y a ce que les passionnés de sport peuvent voir, Cristiano, Newcastle ou encore le tournoi WTA à Riyadh, précise une petite main de la fédération de football saoudienne. Et puis, l’ensemble des partenariats ainsi que l’influence que les gens ne voient pas." Comme pour le Qatar, ce dernier point est la clé du succès.
La Fifa sous le charme
L’édition 2034 "se veut à l’image de la dimension véritablement mondiale du football", concède Mattias Grafstrom, secrétaire général de la Fifa, dans le dernier rapport sur l’organisation de la Coupe du monde. L’Arabie saoudite "s’applique depuis plusieurs années à transformer son paysage socio-économique en saisissant des opportunités de croissance et en œuvrant à son intégration dans le concert des nations", poursuit le dirigeant qui qualifie de "superbe" la dernière Coupe du monde des clubs de la Fifa en 2023.
Les entreprises saoudiennes se montrent aussi très généreuses au moment de signer les chèques de sponsoring pour ce Mondial 2034. Selon plusieurs médias, la compagnie pétrolière saoudienne Aramco a signé un contrat pour un montant de 100 millions de dollars par an. Plusieurs sources confient que ce Mondial "sera très profitable" pour l'instance.
En plaçant l’ensemble de ses jetons sur l’Arabie saoudite, Gianni Infantino peut savourer une réussite, notamment financière. L’Arabie saoudite a une influence "importante et grandissante" au sein de la Fifa, confie un ancien cadre français de l’instance. Certains comparent cette situation à l’omniprésence du Qatar dans les années qui ont précédé le Mondial 2022. "Après avoir été le meilleur ami du Qatar, Infantino est aujourd'hui le meilleur copain des saoudiens", résume un employé basé à Zurich.
Dans toutes les décisions récentes, comme pour le diffuseur du Mondial des clubs 2025, l’ombre du royaume se fait ressentir. Le patron de la Fifa a joué sa carte la plus stratégique sur l’organisation de la compétition 2034 en permettant seulement aux pays d’Asie et d’Océanie de faire acte de candidature. Le projet australien est rapidement devenu hors-jeu.
Avec les Saoudiens, la Fifa est aux anges. Plusieurs sources affirment que "jamais" un rapport d’évaluation pour l’organisation d’un Mondial avait été aussi "positif" sur une candidature. Sur le papier le projet est qualifié de "dingue" par plusieurs interlocuteurs. Cinq ville hôtes (Neom, Khobar, Riyad, Djeddah et Abha) ont été proposées à la Fifa avec un total de 15 stades et de 72 camps de base.
"À côté, le Mondial au Qatar c’était un hôtel quatre étoiles, là on parle d’un palace", poursuit l'employé de l’instance mondiale. Le montant total de cet investissement ne sera jamais connu (plusieurs centaines de milliards de dollars?). Les proches de la Fédération saoudienne de football estiment que cette "Coupe du monde entre dans le projet global de modernisation de l’Etat saoudien", avec notamment le projet de ‘vision 2030’.
Les critiques fusent déjà!
De nombreuses questions (et critiques), comme au Qatar, sont déjà posées par plusieurs ONG, dont Amnesty International. Les rapports sont déjà nombreux sur les droits de l’homme dans le Royaume, ils devraient s’intensifier avec l’organisation de plusieurs compétitions. Qui va construire, en moins de dix ans, les stades, les infrastructures et les réseaux de transports nécessaires pour permettre l’existence de cette Coupe du monde 2034? Les problèmes liés aux droits de l’homme et aux droits du travail vont une nouvelle fois se poser du côté de la Fifa.
Dans son rapport d’évaluation, l’instance considère que le tournoi présente un risque "moyen" pour les droits de l'homme. Cette évaluation a entraîné de nombreuses critiques de différentes ONG. "Comme prévu, l’évaluation de la Fifa sur la candidature de l’Arabie saoudite à l’organisation de la Coupe du monde est une démonstration stupéfiante du bilan atroce du pays en matière de droits de l’homme. Il n’y a aucun engagement significatif qui empêchera l’exploitation des travailleurs, l’expulsion des habitants ou l’arrestation des militants", estime Steve Cockburn, responsable du droit du travail et des sports à Amnesty International.
De son côté, la Fifa signale que "sur le plan des droits humains, dans l’ensemble, les engagements pris pour l’application des différentes mesures détaillées dans la stratégie en matière de droits humains supposent un effort significatif en temps et en énergie, notamment dans certains domaines. L’évaluation du niveau de risques reflète ces considérations. Cela étant, la Fifa reconnaît les efforts considérables consentis dans le cadre de la préparation des propositions liées aux droits humains dans le cadre de la candidature, ainsi que les engagements concrets de la part de l’équipe chargée de la candidature et de l’ensemble des parties prenantes nationales".
Une communication… et la peur du retard
Comme le Qatar, depuis plusieurs mois, l’Arabie saoudite enchaîne les campagnes de communication. Ces derniers jours, c’est le Français Karim Benzema qui a pris la pose pour une grande publicité diffusée sur les réseaux sociaux. "Je pense que le football saoudien est en train de changer. Je crois que dans 10 ans, (l’Arabie saoudite, NDLR) sera prête", estime l’attaquant d'Al-Ittihad dans cette vidéo. Une grande campagne de communication largement financée par le Royaume et souvent soutenue par ‘Visit Saudi’, l’agence de tourisme nationale.
Enfin, un dernier point sera très scruté par les services de la FIFA: le calendrier des constructions. Plusieurs retards ont été signalés dans de nombreux projets menés par l’Arabie saoudite ces dernières années. La crise au Proche-Orient n’arrange pas la situation et pour construire les 230.000 nouvelles chambres d’hôtel dans les villes hôtes de la Coupe du monde, le Royaume aura besoin d’un afflux de main-d’œuvre ainsi que des matériaux disponibles en permanence. Le pays a un peu moins de 10 ans pour y arriver. Dans son dossier, la Fifa promet que ce Mondial "laissera une marque durable sur le monde du football". L’Arabie saoudite n’a pas le droit à l’erreur, le Royaume voit déjà plus loin que 2034 et fait de l’obtention des Jeux olympiques d’été, un des nouveaux objectifs.