Obilalé : « Je sais que je vais rejouer au foot »

Le portier togolais est revenu sur la fusillade dont a été victime sa sélection avant le début de la CAN - -
Kodjovi Obilalé, comment vous sentez-vous ?
Ça va de mieux en mieux. Ça fait du bien de revoir le soleil. J’étais enfermé là-bas (en Afrique du Sud, à Johannesburg, ndlr). Là, je suis de retour en Bretagne, parmi mes amis, ma famille. Je suis soulagé aujourd’hui. Même si je suis toujours cloué sur un lit d’hôpital.
Et sur un plan strictement physique ?
J’ai reçu deux balles. L’une est encore dans mon corps, on ne peut pas l’enlever mais elle ne me gênera pas pour vivre. Mon seul petit problème se situe à la jambe droite. Elle n’est pas paralysée mais je dois faire de la rééducation. Ça va revenir petit à petit. J’ai 99 % de chances…
99 % de remarcher, de rejouer ?
Oui. Il n’y a rien, pour le moment, qui puisse m’handicaper à vie. Mais je ne sais pas ce que ça va donner. Je n’ai pas eu une petite blessure. Je n’ai pas peur. Je sais que je vais rejouer. Les médecins me l’ont dit, notamment celui qui m’a opéré. Il m’a dit que les nerfs du pied n’étaient pas touchés. Seul le ventre posait problème. Mes intestins étaient emmêlés entre eux. Mais bon, quand j’avais cinq ans, j’avais eu un accident de voiture au Togo. J’avais eu les os broyés. On voulait m’amputer du bras et on m’avait dit que je ne jouerais jamais au foot. Et je suis devenu gardien de but… preuve qu’il y a de l’espoir.
Pendant votre transport à l’hôpital, vous étiez conscient…
J’ai tout vu. Jusqu’à la table d’opération, j’ai tout vu. On me parlait, je répondais. C’est en Angola que j’ai souffert. On m’a lancé une heure sans soins. J’ai crié, j’ai dû parler toutes les langues du monde entier sans que l’on s’occupe de moi.
« J’ai vu le journaliste mourir devant moi »
La fusillade, vous vous en rappelez ?
Tout s’est passé très vite. J’ai reçu la balle avant d’entendre le bruit du canon. J’étais penché au milieu du bus. J’ai vu les vitres éclater, les balles partir, les militaires riposter, j’ai entendu les cris de mes coéquipiers. J’ai assisté à tout ça. J’ai prié et je n’ai cessé de répéter que je voulais revoir mes enfants. Sans les militaires, on aurait tous été morts. C’est un drame terrible. J’ai vu le journaliste (l'attaché de presse, ndlr) mourir devant moi. Il avait pris une vingtaine de balles dans le corps. Il m’a demandé de l’aide mais je ne pouvais pas l’aider. Le fait que je sois encore en vie, c’est le plus beau cadeau que Dieu ait pu me faire.
Vous y repensez souvent ?
Les premiers jours, je sursautais. C’est un peu comme si je revivais encore cette scène. Puis ça s’est estompé. Je n’ai plus peur de rien. Mais oublier, non, je ne peux pas oublier. Psychologue ou pas, ça ne va rien changer. J’espère juste que cette histoire ne va pas me rendre méchant car je ne le suis pas.
Qu’est-ce qui vous agace le plus aujourd’hui ?
Le fait d’être coincé ici. Et mon rapatriement également. J’ai dû appeler des journalistes pour accélérer des choses. C’est comme s’ils ne s’étaient pas rendus compte de la gravité de ce que j’ai eu. Pour eux, ça ne changeait rien. Ils avaient leur petite vie tranquille. Ils pouvaient bouger. Moi non.
« Le Togo a été naïf dans cette affaire »
Qui sont les responsables selon vous du drame de Cabinda ?
Les responsables, c’est le pays organisateur et la confédération africaine de football. Le Togo a été naïf, c’est tout. Ils n’auraient pas dû accepter de prendre le bus. La route était dangereuse, c’est pour cela qu’ils nous ont collé une escorte. Et maintenant, la CAF nous donne une sanction de quatre ans. Qu’est-ce qui lui prend ? On a eu des victimes, deux morts et il aurait fallu que l’on aille jouer !
L’objectif, c’est de refouler les terrains en janvier 2011.
Oui. Mais s’il le faut, je me laisserais encore un peu de temps supplémentaire. Je verrais en janvier 2011 ce qu’il en sera. Cela fera pile un an. Peut-être que dans six mois, je me remettrais à courir. On verra. L’endroit par où la balle est passée a vite cicatrisé. Mais je ne suis pas pressé de reprendre le foot.
La Coupe d’Afrique des Nations a eu lieu malgré ce drame. Cela vous a choqué ?
Non. D’ailleurs, ça ne les a pas empêchés de continuer la compétition. Mais je n’ai pas regardé la CAN. Je pensais à ma santé. Je n’avais pas envie de la regarder. Il y avait la télévision dans ma chambre. J’ai demandé à ce qui l’enlève.
« Je n’ai pas regardé la CAN »
Vous comptez porter plainte ?
C’est possible. Contre qui ? Je ne sais pas. Je demanderais conseil.
Vous avez pu compter sur un soutien de poids en la personne de votre capitaine en sélection, Emmanuel Adebayor.
Il a toujours été là pour moi. On se connaissait depuis le Togo. Il m’a encore appelé aujourd’hui. Il me taquine. Quand on est sur le terrain, il joue le rôle de capitaine avec moi. En dehors, nous sommes des amis. Nous sommes toujours ensemble en sélection.
Quand on y regarde bien, vous êtes un miraculé en fait…
J’ai tout connu dans ma vie. Accident de vélo, voiture, moto... J’ai toujours vécu des trucs comme ça. Il n’y a que l’accident d’avion finalement que je n’ai pas eu.