Coupe de France: à presque 50 ans, Nassim Akrour court toujours à Chambéry

Nassim Akrour avec le maillot de Grenoble en 2015 - ICON Sport
Il court encore… Certes, ce début janvier ressemble à un printemps naissant : les sommets aux alentours respirent la fin de saison avec la neige qui n’apparait, seulement qu’à partir de 2000 mètres d’altitude. Certes, le thermomètre affiche un petit 11° au moment de l’entame (18h15) de cette séance de préparation de ce 32ème de finale de Coupe de France que le club savoyard disputera à Aubagne (N2), ce dimanche à 17h. Certes, l’hiver savoyard 2023 n’a rien à voir avec la carte postale habituelle, matinée de gel et de flocons à gogo, qui flèche vos soirées devant la cheminée plutôt que sur un terrain de football. Bref, les conditions météos exceptionnellement douces n’empêchent pas un footballeur de sortir.
"Je conserve ce plaisir du jeu et de m’amuser"
Mais quand même : Cédric Rullier, l’entraîneur du Chambéry Savoie Foot n’en revient pas : "Comment il fait avec les tonnes d’entraînement qu’il a derrière lui, pour rester le même, enthousiaste, chambreur et surtout avec toujours cette haine de la défaite dans les petits jeux ?" "C’est parce qu’il n’y a que trois séances par semaine, coach", répond du tac au tac Nassim Akrour, en passant devant le bureau de son entraîneur, à peine sorti de sa voiture qu’il l’amène de Grenoble, à une petite heure du stade d’entraînement chambérien.
Energique, souriant, dynamique, le sac sur l’épaule, Nassim Akrour savoure l’instant, l’œil malicieux et gourmand, surtout quand on se trompe sur son âge au moment de l’interroger : "Même si cela m’arrange, ne me rajeunit pas, j’ai bien 48 ans, pas 47 !" Il aura même 49 ans, le 10 juillet prochain : "Comment je fonctionne ? En fait je ne sais pas vraiment, interroge-t-il. Chaque début de saison, je regarde si mon corps va bien. Après, je ne sais comment dire … Je conserve ce plaisir du jeu et de m’amuser. Cela a toujours été en moi. Il y a le groupe aussi qui me porte. Et puis cela me permet de garder la forme : le foot, c’est cela. C’est comme ceux qui se lancent dans un marathon, mais moi, je le fais en courant après un ballon, avec les amis, un vestiaire, de la tactique et du jeu."
"C’est plus la tête qui fonctionnent que les jambes"
Et avec très peu de trous dans le tableau des assiduités. "En 78 séances depuis le début de la saison, il a six absences, détaille Cédric Rullier. Lui, il apprend aussi à dépasser ses limites, et le staff, nous apprenons à gérer son temps de récupération, forcément au-dessus des autres. Quand il joue plus des 2/3 d’un match le week-end, le suivant, il est remplaçant et la semaine, il se ménage un peu."
Les ischio-jambiers d’un presque quinquagénaire grincent plus facilement que ceux d’un jeune coéquipier : "Je n’ai plus les jambes qui vont comme avant, je n’ai plus cette vitesse, concède-t-il. Mais j’ai les déplacements, j’ai mes analyses du mouvement des uns et des autres, avant de recevoir le ballon. Mes jambes tiennent encore. Je peux encore accélérer aussi. C’est plus la tête qui fonctionnent que les jambes. Et heureusement d’ailleurs car dans le foot, c’est la tête qui doit être fonctionnelle."
Mais les jambes tiennent encore le coup :"Il les a encore, remarque son entraîneur. Il reste parmi les premiers quand on fait de l’endurance. Et il est dans les premiers encore dans la préparation invisible, notamment dans la diététique. Je l’appelle "l’orfèvre" : le lundi, il mange la même chose que le mardi, le mercredi et le jeudi. Et les autres jours aussi. Il est d’une rigueur !"
A presque 50 ans, il commence juste à se lâcher
Au temps où il était encore "jeune" lors de ses dernières piges en professionnel (39 ans à Grenoble en 2013 et 42 ans à Annecy en 2016), la légende rapportait qu’il n’avait jamais bu de boisson sucrée, et encore moins accumulé les excès alimentaires. A presque 50 ans, il confirme non sans glisser un bémol : "Je fais quand même moins attention..." Et oui, car désormais, il se "lâche" : "Si je suis avec des amis dans une soirée, je vais moins être strict dans mon heure de retour. Je vais rester un peu plus longtemps. Je desserre l’étreinte. Je l’ai bien serrée jusque-là, donc je me permets de me relâcher aussi." Beaucoup aimerait se "lâcher" comme lui et rester toujours aussi affuté …
Et aussi frais malgré 537 rencontres officielles recensées pour 178 buts de Sutton United à Chambéry en passant par Istres, Troyes, Le Havre, Grenoble et Annecy : "Moi, ma chance, c’est que je n’ai pas fait de centre de formation, dit-il. Mon premier vrai contrat, je l’ai signé à 26 ans à mon retour d’Angleterre quand je suis arrivé à Istres. Je n’ai pas cette fatigue et cette usure physique et mentale. Le foot, cela reste un super métier. J’ai cette chance de le pratiquer encore."
Il met en garde ses équipiers avec les réseaux sociaux
Et avec des coéquipiers d’une autre génération à qui, pour certains, il rend presque 30 ans. "Je reste naturel, détaille ce buteur né. Ils m’ont vu à la TV et au stade des Alpes. Et cela "match" très bien. Quant à la différence d’âge ? Alors, oui, ils sont plus sur les portables que moi, mais j’essaie de m’intégrer comme eux le sont avec moi." Et entre deux gentilles remarques sur l’abus des réseaux sociaux – "moi, je n’en ai pas" - notamment à l’approche de cet "historique" 32eme de finale – il les guide aussi en amoureux du collectif : "Quand je sens qu’il y a un changement de comportement dans le match ou dans l’avant, je recadre tranquillement. Les réseaux sociaux, je leur dis de faire attention aussi. C’est trop clivant. Il faut garder cette énergie pour le terrain et le jour J."
Quid des adversaires : "Je sens qu’ils ont une marque de respect. Certains me disent : "on t’a vu à la télé et maintenant, on joue contre toi." Il y a des éloges, des félicitations souvent, mais une fois sur le terrain, il y a des contacts aussi, c’est une forme de respect que j’aime car je ne demande aucun cadeau sur le terrain."
Nassim Akrour, un atout à deux faces complémentaires pour l’entraîneur, à l’origine de sa venue en Savoie après une (semi) retraite, pardon un "break" d’une fin d’été et début d’automne en 2019 : "Je l’avais connu à Annecy en National 2 en 2017, rembobine Cédric Rullier. Et quand son contrat s’est arrêté, on s’est parlé. Il est venu pour se remettre en forme en décembre 2019. Juste pour cela."
Déjà 6 buts en 11 matchs cette saison
Et puis un peu plus quand il a ressenti la forme revenir : le 8 janvier 2020, il signe au Chambéry Savoie Foot et en quelques matches, il marque les buts qui permettent au club de sauver sa place en National 3, juste avant l’interruption de la saison en mars 2020 à cause du Covid. : "Il inspire de la peur chez l’adversaire, par son statut et son charisme, constate Cédric Rullier, son coach. Et dans le vestiaire, Il apporte de la sérénité quand il y a des émotions négatives. Il apaise, il tempère la colère de certains."
Et sur ce nouvel exercice, en 11 matches, il a marqué déjà 6 buts : "Il apporte aussi des solutions tactiques qui ne sont pas négligeables à notre niveau, ajoute le technicien savoyard. Nous avons joué à Hauts Lyonnais et dans ses déplacements et dos au jeu, ils ont eu du mal à le prendre." Et après l’ombre des terrains d’Auvergne Rhône Alpes qu’il arpente pour le championnat de National 3, place à la lumière nationale d’un retour en Coupe de France, son 1er 32ème en tant qu’amateur. Un match qu’il "banalise" : "C’est beau pour ce club tout neuf, il faut prendre du plaisir et on verra la suite, c’est ce que je dis aux gamins…" Mais derrière son œil malicieux et un appétit débordant, pointe quand même une envie et quel que soit sa place ce dimanche : à travers son histoire "canonique", réécrire celle du Chambéry Savoie Football dont, en habitué des terrains rhônalpins, il connait par cœur le passé "local", fait de très hauts puis d’une descente aux enfers.
Car avant le CSF, il y avait le… SOC football, institution de la préfecture de Savoie, qui en 2011 a mis un pied dans la légende la Coupe de France en épinglant trois Ligue 1 (Monaco, Brest et Sochaux) avant de perdre finalement en quart de finale face à Angers. De quoi faire perdre la tête à beaucoup de dirigeants, suite au départ du technicien à l’origine de cette belle odyssée, David Guion.
Douze ans plus tard après cet hiver de légende qu’il avait suivi en spectateur, Nassim Akrour entend vivre l’instant, lancer, pourquoi pas une nouvelle belle aventure pour profiter encore d’un nouveau joli voyage en ballon : "J’ai toujours chevillée en moi cette envie même s’il n’y a plus la même pression de mes années en professionnel. Je m’adapte et cela me va bien." Et pour l’avenir à plus long terme ? Il fera le point en fin de saison comme à chaque fois depuis qu’il a allègrement passé la barre des 40 printemps : "Je testerai mon envie, mes jambes, ma motivation et ensuite, j’aviserai." A le voir gambader en ce soir d’hiver 2023 pour sa 79ème séance d’entraînement de la saison, il semblerait qu’il coche d’ores et déjà toutes les cases de l’année supplémentaire de carrière, histoire de franchir la barre des 50 ans… rugissants !