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Dunkerque: "C’est la structure qui compte, pas les hommes", confie Demba Ba avant de défier le PSG en Coupe de France

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Demba Ba, directeur du football de Dunkerque, équipe surprise de cette saison de Ligue 2, détaille à RMC Sport le projet qu’il a mis en place, depuis presque deux ans, dans le Nord. Avec la volonté de continuer à développer le club au côté du propriétaire, la société Amissos, et lui donner une vraie identité.

Vous affrontez le PSG en demi-finale de Coupe de France, vous jouez la montée en Ligue 1. Qu’auriez-vous dit si on avait affirmé ça en début de saison?

J’aurais dit: je signe (sourire). C’est vrai qu’on a beaucoup travaillé pour avoir ce qu’on a aujourd’hui. Je ne dis pas que c’était quelque chose de prévu mais on avait planifié une certaine réussite depuis le début de saison dans notre manière de fonctionner. Et je suis content qu’on voie les fruits de cette réussite et cette planification.

Comment on "planifie la réussite"?

La première des choses est d’analyser l’environnement dans lequel on est, les demandes de cet environnement et essayer de mettre un projet en place qui correspond à la ville et aux objectifs qu’on veut se donner. Les gens du coin, il faut qu’ils puissent se reconnaître dans cette équipe, ce club, en termes de valeurs et dans ce qu’on donne tous les jours sur le terrain. C’est quelque chose de très important et après ils suivent. Et c’est important quand une ville te suit.

Cela signifie se renseigner sur l’état d’esprit dans la région?

Oui, j’ai un peu discuté avec les gens du Dunkerquois pour essayer de les comprendre, essayer de comprendre ce qu’ils faisaient, ce qu’ils étaient et quelles étaient leurs attentes. Donc je suis allé vers eux pour essayer de les comprendre. Derrière on se dit: voilà dans quoi ils se reconnaissent. Ils se reconnaissent dans certaines valeurs de combativité, de joie, de plaisir, de solidarité. C’est un peu ce que le président de la communauté urbaine m’a dit: à Dunkerque dans les heures sombres, les gens se sont battus ensemble pour redorer le blason de la ville. Et le carnaval de Dunkerque aussi donne beaucoup d’idées de ce qu’ils aiment: se rejoindre, faire la fête ensemble, prendre du plaisir ensemble. C’est ce qu’on essaie de faire, donner beaucoup de plaisir et on voit une équipe assez soudée.

Vous dites souvent que ce processus, vous l’avez en tête depuis assez longtemps...

C’est un process que j’aurais appliqué partout mais la finalité est toujours différente car la culture de la ville est différente dans le sud, l’ouest ou ailleurs. Il faut s’adapter à l’environnement local.

A quel moment avez-vous développé cette manière de penser?

Beaucoup de choses ont forgé ma pensée. Notamment mon expérience avec Ralf Rangnick (sélectionneur de l’Autriche et ancien architecte du groupe Red Bull), ce qu’il a mis en place en Allemagne et comment il l’a fait, ça a été beaucoup d’apprentissage. Je l’ai eu pendant quatre ans en Allemagne (à Hoffenheim, 2007-2011), il m’avait fait venir de la Belgique à la Bundesliga et ça a été vraiment exceptionnel. Mon diplôme au CDES de Limoges m’a aussi beaucoup appris, j’ai beaucoup échangé avec des gens. C’est mon idée que je me suis formée, j’ai toujours réussi à m’adapter à mes environnements. J’ai fait cinq pays sur trois continents différents dans ma carrière de joueur et j’ai toujours performé. Et quand je regarde pourquoi, c’est aussi que je me suis toujours adapté à l’environnement dans lequel j’étais.

Comment êtes vous entré en contact avec Robert Yuksel Yildirim, repreneur du club en 2023?

Je n’avais pas vraiment de relation avec lui mais je m’étais dit, mon projet, qui va me donner l’opportunité de le mettre en place? C’est très rare qu’une personne comme moi arrive directement à la tête d’une cellule sportive dans un club. Je me suis dit, dans un moment de folie, que venir directement avec quelqu’un qui rachète un club et qui me laisse des responsabilités serait plus facile que de démarcher. J’avais entendu dire qu’il voulait racheter un club, j’ai quand même ma petite image en Turquie. Donc je l’ai eu au téléphone, j’ai appris à le connaître et très rapidement il a perçu tout ce qu’on est en train de mettre en place quand je lui expliquais. On a cherché des clubs et on est tombé sur Dunkerque.

C’est agréable d’arriver dans un club et d’avoir carte blanche?

C’est kiffant, j’adore car mes idées étaient claires. C’est mon premier job comme directeur du football mais j’avais déjà fait un an et demi au Sénégal où j’étais propriétaire d’un club et j’avais mis certaines choses en place. J’avais aussi une franchise aux USA en 2016-2017 avec certaines choses mises en place même si je n’exécutais pas directement. J’avais déjà des idées et des retours. Je ne pars pas de zéro.

Vous avez nommé Luis Castro entraîneur, Romain Decool directeur du recrutement et Pablo Fernandez directeur de la performance. Le quatuor que vous formez est-il la base de la réussite?

C’est une partie de la réussite, c’est clair. Essayer de quantifier la réussite et la personnifier c’est quasiment impossible. Je sais qui a des influences directes mais je ne sais pas qui en a des indirectes. J’essaie de mettre en place ceux qui vont avoir des influences assez directes. Romain dans le recrutement, Luis dans la planification et la mise en place de l’identité et Pablo dans la gestion de la performance. C’est un poste qui n’existait pas à Dunkerque. Je suis très content de la performance de ces trois-là.

Comment avez-vous connu Luis Castro, ancien entraîneur des jeunes à Benfica?

Je ne le connaissais pas, son profil est arrivé sur la table avec un agent qui me l’a envoyé. Ensuite j’ai mis en place une analyse de sa personne et de ses qualités comme coach et manager. Et on a décidé d’avancer.

C’était risqué…

Non car je savais ce qu’il pouvait me donner et ce qu’il devait améliorer. On peut voir ça comme un risque mais à partir du moment où le calcul est bien fait…

Vous vous inspirez donc de Ralf Rangnick. Lui mettait en place une philosophie que devaient respecter tous les entraîneurs du groupe. A Dunkerque, qui décide du style de jeu?

Nos idées sont assez proches footballistiquement parlant avec le coach et c’est d’ailleurs pour ça qu’il est venu. Mais il y a des différences sur certaines choses et jusqu’à aujourd’hui, je l’ai laissé manager avec ses différences à lui. J’ai laissé le projet se mettre en place et sur le petit pourcentage où on est peut-être différents, je lui ai laissé la main car je ne pense pas que le club soit assez structuré pour avoir chaque personne au bon poste pour faire exactement ce que j’imagine. On est similaires peut être à 80% sur l’idée mais les 20% dans la méthodologie et dans le travail sur lesquels ça diffère, je l’ai laissé faire ce qu’il voulait. Car aujourd’hui, je ne pense pas qu’on soit assez staffés pour mettre en place ce que j’imagine.

Qu’est-ce que cela signifie?

C’est en termes de méthodologie d’entraînement. J’aimerais pouvoir doubler les séances d’entraînement mais pour ça, il faut pouvoir doubler les staffs car il faut plus de récupération. Il faut des infrastructures plus grandes car si tu n’as qu’un terrain, tu ne peux pas utiliser deux fois par jour. Et en termes de salle de musculation et autres, le club n’en est pas encore à ce niveau pour mes idées mais il se construit doucement.

Que voulez-vous développer ici?

J’aimerais développer en terme humain, c’est clair, au niveau des infrastructures c’est aussi quasiment une obligation pour continuer à être compétitifs. Les joueurs font le trajet entre le vestiaire et le terrain en van pour l’entraînement. D’ici un an et demi, je pense qu’on aura notre bâtiment directement sur terrain d’entraînement. On a des terrains supplémentaires attendus d’ici la fin de l’année, la structuration avance. Pour moi c’est la structure qui compte, pas les hommes.

Comment avez-vous connu Romain Decool?

Pareil, c’est un profil que je ne connaissais pas qui est arrivé, que j’ai analysé, interviewé, et puis on a avancé. Un scout me l’a envoyé.

Avec tous, ça a vite fonctionné humainement. C’était la clef?

Oui, ce n’est pas évident et j’ai essayé de prendre ça en compte. Et surtout dans mon discours avant de signer quelqu’un, il y a quelque chose d’important: est-on alignés en termes de valeurs? Parce qu’à partir du moment où on a des valeurs similaires, je sais qu’on va pouvoir faire un bout de chemin ensemble, se servir au quotidien.

Vous déléguez beaucoup?

Oui.

Ça ne vous fait pas peur?

Non à partir du moment où j’ai confiance… Je ne signe pas quelqu’un pour faire son travail. C’est comme une boîte dans laquelle tu mets plusieurs étiquettes. La compétence est une chose, les valeurs c’est en une, la confiance aussi, l’éthique de travail… Plusieurs éléments composent la réussite.

Comment procédez-vous pour le recrutement de joueurs? Vous avez expliqué ne pas être hyper axé sur la data par rapport à votre jeu...

C’est parce qu’il va nous falloir encore un peu de temps pour créer notre modèle de jeu à 100% et un modèle de jeu qui appartienne au club. Pour moi c’est le plus important. Et à partir du moment ou tu as le modèle de jeu qui appartient au club, les coachs qui vont passer vont devoir s’adapter à cela. Et ça va donner un style dans lequel chaque personne qui vient sait dans quoi elle vient. Ça nécessite un peu de temps, des finances. Il faudra aussi un data analyste, peut être même quelqu’un de scientifique dans les datas, pour nous créer nos propres algorithmes et derrière trouver les profils de joueurs aussi qui passent dans le style de jeu. Pour le moment, on est plus sur l’œil pour le recrutement, même si on a quelques plateformes maintenant qu’on n’avait pas au début pour analyser tout ça.

Vous êtes-vous fixé un délai pour atteindre vos objectifs?

Non, pas de délai car ça va surtout dépendre de la capacité financière du propriétaire à avancer. Quand on voit ce qu’il se passe au niveau du foot français et des droits TV, c’est compliqué, il va falloir être très stratégique.

A long terme, la priorité est donc de créer quelque chose de pérenne financièrement?

Il faut mettre quelque chose en place de durable car à défaut de savoir où le foot français va aller, on doit être sûr, nous à l’intérieur, d’où on va. Ensuite, les hommes ne sont pas éternels. Ils viennent, ils partent. Il faut mettre quelque chose en place qui ne dépend pas des hommes mais d’un système.

Quel est l’objectif de performance fixé?

Il n’y a pas d’objectif défini en termes de résultat. La pérennité passe par le fait de développer le club et le faire grandir en valeur. Il y a la valeur des joueurs qui s’est développée et je suis content. Il y a aussi la partie commerciale qui doit grandir et va se développer pour que le club prenne plus de valeur. L’idée est qu’il grandisse et que le propriétaire ait des assets (atouts) à valoriser.

Vous a-t-il dit pourquoi il a investi ici?

Je pense qu’il avait une idée de construction d’un outil club avec lequel il voulait développer les qualités football des joueurs, des jeunes joueurs et c’est une de ses idées premières.

Visez-vous la montée, clairement?

J’aimerais bien monter. Est-ce que j’en fais une obsession? Peut être pas non plus. Mais à sept matchs de la fin, dans notre situation, tu ne te dis pas: "boh, ça va." C’est anti-football ça.

Et contre le PSG que visez-vous?

On veut gagner, on ne commence pas un match en se disant l’inverse. On connaît la montagne qui se dresse devant nous. Est-ce qu’on pourra la surmonter? Je ne sais pas. On va essayer de mettre les ingrédients pour nous permettre de performer. Le résultat ne nous appartient pas trop On ne sait jamais. On rentre dans un ring contre un poids lourd, on est un poids plume et on va tout faire pour ressortir vivant et donc gagner.

Valentin Jamin