Antonetti : « C’est la faute du système »

Frédéric Antonetti - -
Frédéric Antonetti, comprenez-vous l’impatience des supporters rennais qui réclament un titre ?
Tout le monde est obsédé par une victoire, par un trophée, mais c’est normal. Depuis le début de l’ère Pinault, le Stade Rennais, à part deux ou trois années difficiles, a toujours tenu son rang, mais sans connaître une troisième place qualificative pour la Ligue des champions ou un trophée à travers les coupes. Donc les gens n’attendent que cela. Les gens oublient que le Stade Rennais n’existait pas avant ou très peu. On me parle de 1965 et 1971 (victoires en Coupe de France, ndlr). Je dis « oui d’accord, mais dans le paysage du football français, vous étiez un club entre la 15e et la 25e place ».
L’arrivée d’un investisseur de poids aurait pu permettre à Rennes de faire partie des meilleures équipes françaises…
La famille Pinault a permis de faire grimper le club de dix places. Je vais prendre deux exemples très simples du football français. Tout d’abord Lyon. Je crois que Jean-Michel Aulas arrive en 1986 ou 1987. Son premier trophée, c’est en 1999. Une place de deuxième entre temps. Avec Bastia, je me souviens qu’on n’était pas très loin de Lyon à cette époque. La différence, c’est que Lyon est une grande ville par rapport à Rennes. Cela joue énormément parce qu’automatiquement, il y a plus de moyens. Le deuxième exemple, c’est Marseille. En 1993, Marseille est champion d’Europe. Et il a fallu qu’ils attendent 2010, donc 17 ans, pour gagner la Coupe de la Ligue. Le football, c’est beaucoup de patience. Il faut construire.
Mais comment expliquez-vous cette disette ?
J’ai eu 55 joueurs en quatre ans ici. Quand on a 55 joueurs à sa disposition, je compte tous les jeunes, cela veut dire qu’il y en a 30 qui sont partis les trois premières années. Le football est un peu instable mais ce n’est pas la faute du Stade Rennais.
A qui la faute alors ?
C’est la faute du système. Je comprends l’impatience des gens. Je la comprends et j’essaye un peu de la tempérer mais ce n’est pas facile. Il y en a qui ont construit petit à petit. Jacques Santini est le premier entraîneur champion de France avec Lyon, mais il y en a qui ont construit cela avant. Cela se construit et chacun apporte sa pierre à l’édifice. Lui plus que les autres, parce qu’il a le mérite de le faire, mais il y a eu tout un travail au niveau de la formation, du recrutement et de l’organisation qui a permis d’en arriver là.
« On ne pourrait pas lutter avec Saint-Etienne sans un actionnaire costaud »
Rennes peut-il un jour gagner un titre majeur ?
Le football va dans les grandes villes. Il y a Montpellier qui l’a fait. C’est très bien ce qu’ils ont fait, c’est même fantastique, parce que c’est l’exception qui confirme la règle.
Et quelle est cette règle ?
La règle, c’est que Paris aujourd’hui s’est détaché parce qu’ils en ont les moyens. La règle aujourd’hui, c’est que pour gagner la Ligue des champions, il faut 500 millions d’euros de budget. La règle veut que si l’on veut jouer les places européennes, pas celles de Ligue des champions, il faut plus de 100 millions d’euros de budget en France. C’est comme ça, c’est la règle ! On peut y arriver autrement, mais de temps en temps. Aujourd’hui, les clubs qui vont gagner la Ligue des champions, c’est 500 millions d’euro de budget. Après, vous allez me prendre un exemple en 20 ans.
Vous avez tout de même largement contribué eu retour de Saint-Etienne au haut-niveau…
Le club était en très grande difficulté. Quand j’ai repris le club, il était aux portes du National. Il y avait l’affaire des faux passeports, mais c’était une aventure humaine extraordinaire. J’ai rencontré des gens extraordinaire à Saint-Etienne. Et puis il a fallu 18 mois pour reconstruire. Au bout de 18 mois, on est reparti. Si ce n’était pas moi, cela aurait été quelqu’un d’autre. J’en garde de bons souvenirs mais le temps est passé et beaucoup de gens ont oublié.
Quels sont les points communs entre le Stade Rennais et l’ASSE ?
C’est différent, chaque club a sa personnalité. C’est différent, déjà, au niveau de la direction. Nous, on a la chance d’avoir un actionnaire costaud (Pinault, ndlr) pour compenser. Si on n’avait pas d’actionnaire costaud, on ne pourrait pas lutter avec Saint-Etienne. Parce qu’ils ont une telle aura médiatique et populaire que c’est difficile de lutter avec eux. Moi ce qui m’interpelle, c’est que par exemple l’année dernière, on finit 6e et ils finissent 7e. Eux, ils ont fait une bonne saison et nous on a fait une saison moyenne. Je n’arrive pas à comprendre cela.
« Et Nancy, ils ont été bons ? »
Les attentes ne sont peut-être pas les mêmes…
Les moyens sont sensiblement les mêmes. Peut-être que cette année, ils en ont un peu plus que nous. Cinq millions d’euros de plus dans le budget, mine de rien, ce sont deux ou trois joueurs. Les deux clubs ont la même marge de manœuvre. Il y en a un qui est un peu plus populaire mais Rennes est assez bien implanté dans sa région. Mais on va toujours dire que Saint-Etienne, c’est mieux. Sur les trois dernières années, ils ont fini derrière nous. Cette année, ils font une très belle saison, ils finiront certainement devant nous.
Les deux clubs sont donc comparables…
Ils ont plus de spectateurs, on a un actionnaire plus costaud. On a tous les deux 50 M€ ! Pourquoi est-ce que l’on va chercher midi à quatorze heures ? Si on en avait 70, donc 20 de plus qu’eux, et qu’ils étaient devant nous, je dirais qu’ils travaillent mieux que nous.
Ce n’est donc pas le cas ?
On va toujours extrapoler. Quand je parle des matches, je parle des faits. Je ne parle pas des impressions, des sentiments. Regardez les faits ! Contre Nancy, c’est simple, on a huit occasions de but. On nous dit qu’on n’est pas bons. Ah bon ? Et Nancy, ils ont été bons ? Ils ont gagné oui, bravo ! Ils ont été efficaces et réalistes mais les faits sont là et on n’en parle pas. Il y en a qui parlent des matches sans les avoir regardés. Parce qu’aujourd’hui, c’est un emballement médiatique, mais pas seulement dans le football. Par exemple, en politique, on voit ce qu’il se passe. Je ne sais pas si la société prend la bonne direction. Je ne pense pas.
Que pensez-vous de l’image des deux équipes ?
Saint-Etienne a eu une bonne image dans les années 70. Une mauvaise image avec la caisse noire, une mauvaise image avec les faux passeports. Les clubs ont tous leurs qualités et leurs défauts. C’est un bon club, je suis content qu’ils soient là où ils sont parce que les gens le méritent. On compare les deux clubs qui sont sensiblement les mêmes. On pourrait aussi mettre Toulouse au milieu. Il y a peut-être plus une part de sympathie pour Saint-Etienne que pour nous. Ils l’ont construite dans les années 70.
« En 1995, c’était mieux pour tout le monde que Paris gagne plutôt que Bastia… »
Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour Rennes de gagner un titre ?
Tout le monde est impatient mais c’est normal. Je vais vous dire pourquoi c’est normal. Je crois que c’est en 2006, à la dernière minute. Fauvergue marque un but et Rennes rate la 3e place. En 2009, Rennes rate sa finale (en Coupe de France). En 2011, on est dans les trois premiers pendant 32 journées et on s’écroule sur les six dernières journées. En 2012, on se fait éliminer par Quevilly alors que les portes de la finale de la Coupe de France étaient ouvertes. La cerise sur le gâteau, c’est qu’on perd la 5e place lors de la dernière journée alors qu’on a été 37 journées devant Bordeaux. Tous ces petits pépins construisent un club. J’espère que cette saison se terminera mieux.
Vous avez déjà perdu une finale de Coupe de la Ligue en 1995 avec Bastia, face au PSG (0-2)…
En 1995, c’était particulier. C’était le lancement de la Coupe de la Ligue. Je dis cela en plaisantant mais c’est vrai que si Paris gagnait, c’était mieux que si c’était Bastia pour le prestige de cette nouvelle compétition. Cela fait partie des choses qu’il faut savoir accepter.
Qu’est-ce qui vous a gêné lors de cette finale ?
Qu’ils jouent chez eux, c’est déjà très gênant. Qu’ils ne fassent pas le tirage au sort des vestiaires parce que c’est un terrain neutre, cela me gêne beaucoup. Et qu’ils changent la date au dernier moment pour arranger Paris… Cela fait beaucoup. Je ne veux pas faire le parano. Et en plus, il y a deux grosses erreurs d’arbitrage. On ne pouvait pas gagner, même si Paris avait une grosse équipe. Mais ce jour-là, on avait quand même rivalisé.
Etes-vous favorable aux préparations mentales avant les matches ?
Si c’est pour marcher dans un vestiaire, aller contre un mur et pousser, cela me fait rire. Si c’est pour faire une préparation mentale, apporter quelque chose aux joueurs individuellement, moi je suis pour que les joueurs aillent voir un psychologue ou un préparateur mental. Mais j’ai quand même trouvé des charlatans. Eteindre les lumières, tourner autour d’une table et taper les crampons… Il y a la moitié de l’effectif qui rigole. On pousse un mur qui n’existe pas tous ensemble… Je me dis qu’il y a peut-être d’autres méthodes. Moi, je n’ai pas les outils. Je suis pour, à condition qu’il y ait des gens spécialisés là-dedans.
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