Pourquoi les Bleus ne dopent pas (trop) le moral des Français

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Il suffit de tendre l’oreille. Dans les bars, sur les terrasses, entre amis ou au milieu d’inconnus. L’attente nerveuse avant. Les cris de joie pendant. Le bonheur serein après. La France vibre en commun comme jamais ces derniers temps. Baisse du chômage ? Pensez plutôt Bleus. Un beau début de parcours au Brésil et le sourire revient illuminer le visage hexagonal. Le ballon tourne enfin rond. Mais comment évaluer l’impact réel de cet élan collectif sportif sur le moral (et les reste) des Français ? Auprès des premiers concernés, d’abord. Les supporters. « Ça met tout le monde de bonne humeur, on a envie de fêter ça et que ça continue », s’enthousiasme Charlotte. « C’est important pour le moral des Français en ce moment », appuie Benoît.
Les considérations restent générales. Pour toucher au concret, il faut ouvrir le chapitre changements d’attitude. « Les gens consomment plus, ils arrivent à se lâcher, à moins réfléchir et à regarder le voisin différemment », juge Séverine Guitard, gérante du bar Le Lakanal dans le 14e arrondissement de Paris. « Les 40% de Français qui s’intéressent au foot sont sans doute dans un meilleur état moral, explique Patrick Mignon, sociologue du sport à l’INSEP. Ils vont travailler avec le sourire, être un peu plus généreux dans leurs dépenses, plus détendus chez eux. Ils ont aussi une plus grande sociabilité. Ils flottent un peu au-dessus du sol. »
« Pas de hausse significative sur la restauration et l'hôtellerie »
Les études plus précises font retomber sur terre. Les Bleus ne changent pas la vie des Français. « La Coupe du monde n’a pas d’effets apparents sur le moral des ménages, avance Laurent Clavel, chef de la synthèse conjoncturelle à l’INSEE. L’indicateur de moral des Français synthétise des questions sur le niveau de vie, les revenus, la capacité à épargner, le pouvoir d’achat et la peur de l’avenir. A l’été 1998, il n’a pas eu de hausse particulière après la victoire. Après celle contre l’Ukraine en novembre, la confiance des ménages a baissé de deux points. C’était lié aux angoisses liées au chômage. »
Quid des habitudes de consommation ? Restauration, bars, téléviseurs, autant de secteurs économiques a priori boostés par la période, toujours ça de pris en temps de crise. « La conjoncture n’est pas facile et ça permet de gagner plus d’argent », reconnaît Séverine Guitard. « Les effets connus touchent des consommations liées à l’événement, confirme Patrick Mignon. Mais quand on parle de l’achat d’une voiture ou de la transformation de sa maison, c’est une autre logique. » Et Laurent Clavel de préciser : « On voit l’effet sur les ventes de téléviseurs mais pas de hausse significative des dépenses sur la restauration et l’hôtellerie. Il y a aussi un effet de substitution : ce sont des achats anticipés ou avec en contrepartie la baisse des achats d’autres produits. »
« Si la France gagne, ça va relancer une vision plus positive du mélange culturel »
Reste la question de l’impact possible d’un éventuel titre mondial. Seize ans plus tard, le recul sur les considérations philosophiques post-1998 (et leurs récupérations politiques) incite à éviter de trop lier le foot aux débats sociétaux. Certains persistent mais dans la nuance. « On connaît l’histoire, insiste Patrick Mignon. C’est la France black-blanc-beur et sa remise en question en 2010. Si jamais la France gagne, ça va relancer une vision plus positive sur le plan du mélange culturel. Mais cela ne suffit pas pour ça. Il faut aussi des politiques urbaines, sportives, etc. »
En 1998, en manque de culture foot, le pays s’était mis à vibrer derrière les Bleus à partir des quarts de finale. En 2014, les klaxons ont retenti dès la victoire contre la Suisse en poule. Ce rêve Bleus ne changera toujours pas la société. Mais on y croit enfin à nouveau et c’est déjà merveilleux. « J’espère que les joueurs sont conscients qu’il y a énormément d’attente autour d’eux », conclut Séverine Guitard. Il leur suffit de tendre l’oreille.
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