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France-Allemagne 1982, leur blessure éternelle

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Le 8 juillet 1982 à Séville (Espagne), la France perdait une demi-finale de Coupe du monde contre l’Allemagne après avoir mené 3-1 en prolongation. Un match resté légendaire. Trente-deux ans plus tard, ses acteurs se souviennent.

Même les moins de trente ans ne peuvent pas connaître ce temps. Pour les jeunes, seul le souvenir reste. Quelques images d’un autre siècle. Pour les anciens, la blessure n’a jamais vraiment guéri, gravée dans la mémoire collective. 8 juillet 1982. Séville, en Espagne. France-RFA (Allemagne de l’Ouest) en demi-finale du Mondial. L’agression de Schumacher sur Battiston. La frappe de Manu Amoros sur la transversale en fin de match. Le but de Trésor pour ouvrir la prolongation. Celui de Giresse et sa joie exaltée qui fleurait bon le KO. Le retour allemand, Rummenigge puis Fischer. Six et Bossis qui flanchent aux tirs au but. L’Allemagne gagne à la fin (3-3, 5 t.ab. à 4).

Quatre ans plus tard, rebelote contre les Bleus, toujours en demie (2-0). Mais Séville reste la blessure éternelle. LE traumatisme. Plaie encore à vif. « J’en garde un très mauvais souvenir », glisse Marius Trésor. « Même avec le temps, on n’arrive pas à éliminer ce qui s’est passé, avoue Michel Hidalgo, le sélectionneur de l’époque. Après le match, en France, tous les Allemands étaient des Schumacher. C’était comme si la guerre revenait. » Bernard Lacombe conclut : « Tous ceux qui ont vécu Séville ont été meurtris. On a marqué l’histoire en perdant une demie que l’on n’aurait jamais dû perdre. »

Battiston-Schumacher, symbole de la détresse

L’image ne s’oublie pas. La violence du choc, surtout. 57e minute à Séville. Harald Schumacher sort aux devants de Patrick Battiston qu’il percute de plein fouet. Terrible. Le Français sort sur civière. Mais aucune sanction de l’arbitre. Pour beaucoup, le tournant de la rencontre. Tous se plaignent du rouge et du penalty oubliés. Pour une faute qui méritait bien les deux.

« Si la faute avait été suivie du penalty qu’elle méritait, je n’aurais pas marqué mais au moins, j’aurais participé à une finale de Coupe du monde », se plaint Trésor. « Ça a déstabilisé le match, analyse Hidalgo. On a perdu notre joueur et eux n’ont pas du tout été sanctionnés. S’il y avait eu penalty et carton rouge pour le gardien, ça changeait tout. On avait le droit d’être en colère contre l’arbitre et certains joueurs allemands. Leur gardien n’a rien fait pour le joueur blessé à terre. Il est reparti comme s’il n’avait rien fait. L’arbitre nous a dit qu’il n’avait pas vu le choc car il avait été masqué. Ce n’est pas croyable. Il est tombé inanimé, plein de sang. Comment peut-il ne pas voir ça ? »

Tristesse, douche habillés et Allemands virés du vestiaire

Ambiance morose dans le vestiaire de Séville. Le scénario du match pousse à la détresse. Comme si tout venait de s’écrouler dans une immense injustice. « Avant le match, j’avais des hommes. Et après le match, j’avais des enfants, raconte Hidalgo. Ils pleuraient comme des gosses à qui on avait fait du mal et il n’y avait rien à faire pour leur remonter le moral. Deux joueurs étaient encore habillés une heure après et on a été obligé de les mettre comme ça sous la douche car on avait un avion à prendre. C’était une tristesse très grande d’avoir été volés. Les joueurs ont été sanctionnés comme s’ils avaient fait quelque chose de grave. Et malheureusement, l’arbitre n’a jamais été sanctionné. »

Une tristesse qui ne va les quitter de sitôt. « Entre nous, les Bordelais, on en a parlé pendant pas mal d’années, explique Lacombe. Les images resteront à jamais en nous. A la fin du match, quand je suis descendu au vestiaire, Marius Trésor pleurait dans un coin. Voir un garçon comme lui pleurer, c’est rare. Quand les Allemands sont rentrés au vestiaire pour échanger les maillots, Michel Hidalgo les a mis dehors et il a fermé la porte. On était assez remontés à cause de ce qui s’était passé et de l’arbitrage. On aurait dû pouvoir garder notre avance mais on avait peut-être trop de confiance. A 3-1, on pensait mettre le quatrième mais il faut toujours se méfier avec l’Allemagne. »

La vengeance est-elle un plat qui se mange froid ?

Les situations sont incomparables. Mais tout de même. Une victoire des Bleus 2014 sur l’Allemagne en quart du Mondial permettrait-elle de panser un peu plus les maux de Séville pour la génération 1982 ? Les intéressés refusent de lier les deux. « J’avais 14 ans et mes premiers vrais souvenirs de l’équipe de France commencent là, indique Didier Deschamps. C’était un dénouement cruel dont on parle encore. Ça a marqué l’histoire du foot français. Mais c’était il y a plus de trente ans, on ne va pas parler de revanche ! »

Le temps n’a rien effacé. Mais il a aussi fait son œuvre. « Le football n’est jamais une vengeance. Pour les joueurs actuels, on doit même parler un peu comme des vieux », s’amuse Lacombe. « Ce sont surtout les journalistes qui en parlent, remarque Trésor. Les joueurs de l’équipe de France actuelle n’étaient pas nés. Ils ont une page d’histoire à écrire, la leur. » Seuls Patrice Evra (1981) et Mickaël Landreau (1979) étaient nés au moment de Séville. Et aucun n’avait l’âge pour avoir été marqué. « Ils ont dû en entendre parler mais peut-être trop », lance Battiston. Et ce dernier de livrer un nom pour lequel 2014 pourrait rimer avec revanche : « Pour un Bossis, qui avait raté le dernier tir au but, on peut parler de vengeance. » Aux Bleus d’apaiser enfin sa peine.

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Alexandre Herbinet avec RMC Sport