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Razvan Lucescu :« On va poser des problèmes aux Français »

Pour le sélectionneur de la Roumanie, Karim Benzema, critiqué en Bleu, finira par devenir un élément incontournable de l'équipe de France

Pour le sélectionneur de la Roumanie, Karim Benzema, critiqué en Bleu, finira par devenir un élément incontournable de l'équipe de France - -

Le jeune et nouveau sélectionneur roumain (40 ans) se confie en exclusivité française pour RMC Sport avant le choc de Saint-Denis : sa vision du jeu, son ambition, ses principes, ce qu’il prépare face aux Bleus… Discussions à bâtons rompus.

Quel souvenir gardez-vous du 11 octobre 2008 et du match nul (2-2) entre la Roumanie et la France ?
C’était un match étrange, que la Roumanie avait entamé de très belle façon, très agressive. Elle menait 2-0 après seulement un quart d’heure. Après quoi elle a reculé. Peut-être a-t-elle eu peur de la situation, peut-être a-t-elle voulu préserver le score… Toujours est-il que la France est devenue maîtresse du match, a égalisé et aurait même pu l’emporter sur le fil.

Beaucoup de choses ont changé depuis, à commencer par votre arrivée à la tête de l’équipe nationale roumaine…
Je n’y aurais pas cru à l’époque, pas une seconde. Chaque entraineur qui se lance dans ce boulot rêve d’entrainer un jour son équipe nationale. Et cette chance, elle s’est présentée à moi. Il n’était pas question, même si je suis un jeune entraineur, que je rate ce train. Même si c’était pour quitter un bon club et éventuellement ne plus retrouver le même confort par la suite. Tu ne sais jamais si tu retrouveras une occasion pareille.

Votre père Mircea, qui entraîne le Chakhtar Donetsk, est connu des amoureux de foot en France. Vous, pas encore. Quels sont vos principes de jeu ?
Je dirais que le football d’aujourd’hui est total. Tout le monde doit participer à la récupération du ballon, tout le monde doit être concerné quand on l’a récupéré. Je mets vraiment l’accent là-dessus. L’autre principe, c’est la phase de transition juste après la récupération : il faut aller le plus vite possible vers l’avant, sans laisser le temps à l’adversaire de se réorganiser, et vice-versa quand tu as perdu le ballon. C’est fondamental.

C’est un travail plus facile à mettre en œuvre en club qu’en sélection…
C’est vrai, en club, avec des contacts au quotidien, c’est plus facile. L’équipe nationale, c’est trois ou quatre jours par mois. Ce qui est important pour moi, c’est l’attitude des joueurs, leur motivation. Quand tu viens en sélection avec plaisir, avec enthousiasme, que tu es concentré, là tu peux progresser très vite, et te baser sur des joueurs « top », intelligents, qui comprennent vite ce que tu leur demandes. L’équipe de France est homogène, les joueurs se connaissent. Elle possède le même sélectionneur depuis plusieurs années, Raymond Domenech, qui la fait jouer en 4-2-3-1. De notre côté, nous n’en sommes qu’au début du chemin. Les premières étapes ont été bien et vite franchies avec deux victoires en Lituanie (1-0) et en Hongrie (1-0), mais ce n’est que mon troisième match à la tête de la sélection…

« L’atmosphère autour de l’équipe de France ne doit pas nous influencer »

Vous dites que ce match face à la France est un « bonheur ». Etonnant pour un match de cette importance...
Au classement, nos chances sont minimes. Il ne faut pas le regarder, mais arriver sur chaque match restant avec le maximum de désir de vaincre pour qu’au final, il y ait peut-être une grosse surprise. Ensuite, notre objectif, ce n’est pas la Coupe du monde 2010, mais la qualification pour l’Euro 2012. Nous n’avons aucune pression. Enfin, nous avons tout à gagner de ce type de match. Le plaisir dont je parle, c’est celui d’un grand stade plein, face à des joueurs de classe mondiale, l’expérience qu’on peut tirer de ce genre de rendez-vous… La confiance peut venir d’un bon match ici. On a tout à gagner. Je soutiens que c’est un plaisir, pour moi, et pour tous les joueurs. Ce n’est pas tous les jours qu’on joue un tel match !

L’atmosphère autour des Bleus n’est pas très sereine. Est-ce le meilleur moment pour les affronter ?
J’ai vu la France, je l’ai analysée. C’est une équipe très forte, bien organisée, compacte, homogène, avec des automatismes. L’atmosphère autour de l’équipe de France ne doit pas nous influencer. L’important dans une équipe, c’est ce qui se passe à l’intérieur, le fait que l’ambiance soit bonne entre les joueurs et le staff. Ce qui se passe à l’extérieur compte peu, finalement.

Le « bonheur » dont vous parlez, ce serait un solide 0-0 ou un festival offensif ?
Avant tout, je veux qu’on entre dans les matchs avec l’idée de gagner. Et ce sera la même chose à Paris. C’est une bonne mentalité, je pense, pour une équipe qui veut progresser. Et c’est ce que je veux sentir chez les garçons. Après, le terrain, l’adversaire, le hasard… L’important, c’est d’abord l’idée de gagner.

Vous n’êtes pas sans savoir la faiblesse française dans le jeu aérien…
Un match ne ressemble jamais à un autre. On ne doit pas se baser là-dessus. La France est forte sur les « phases fixes » en attaque. C’est vrai qu’elle a déjà pris pas mal de buts sur coups de pied arrêtés. Mais on doit se concentrer sur tous les détails de ce match, pas seulement ceux-là.

La clef du match ? « Notre force intérieure »

Quelle sera la clé du match ?
Je veux croire que c’est notre force intérieure, la conviction qu’on peut faire un grand résultat ici. Si on y croit, on posera à la France de vraies difficultés. Sinon, on lui facilitera la tâche.

Concevez-vous ce type de rencontres comme des guerres sportives ?
En aucun cas ! Les joueurs peuvent être motivés autrement que par les mots de guerre, mort, vie… On a le bonheur de faire le métier que l’on veut, avec passion. Je crois qu’avec ce simple principe, on motive d’autant plus et mieux les joueurs, on parvient à leur faire donner le meilleur d’eux-mêmes. L’important, c’est l’atmosphère, que le groupe soit uni, que chacun croit en l’autre. L’attitude est fondamentale, la disponibilité, l’effort, le sacrifice pour son coéquipier. Ce sont des choses qui amènent de grands résultats, la capacité de se réorganiser… Je ne veux pas dire qu’on va passer tout le match sur le but français. Il y aura des moments de grande pression, où l’on va subir, où il faudra faire preuve de lucidité, de patience. C’est sûr, on va poser des problèmes aux Français. Mais à la perte du ballon, nous devrons nous réorganiser très vite, car l’une de leurs grandes armes, c’est la contre-attaque.

Même forfait, Adrian Mutu est ici avec vous. Sa présence est-elle importante ?
On a joué les deux derniers matchs sans lui, et on a gagné à chaque fois. Même si sa présence aurait donné une valeur ajoutée, évidemment. En quelque sorte, on est déjà habitué à jouer sans lui. Il faut faire avec.

Si on vous dit que vous incarnez la nouvelle vague du foot roumain, ça vous plait ? Souhaitez-vous changer les mentalités ?
(Il réfléchit) Oui, bien sûr. Notre problème à nous les Roumains, c’est qu’on a toujours en nous -parce qu’on a grandi avec- une certaine méfiance, un sentiment d’insécurité, de crainte. Et c’est incompatible avec le football de haut niveau, où tu dois avoir confiance en toi, te fixer des objectifs élevés, te battre encore et toujours avec toute la conviction possible…

La rédaction - Jean-François Peres (RMC Sport)