Lina Boussaha (Al-Nassr): "Le football féminin est en plein développement en Arabie saoudite"

RMC Sport: Comment se passent les premières semaines à Al-Nassr ?
Lina Boussaha: Super bien! Je me suis bien intégrée à l‘équipe. Le club m’a bien intégrée aussi. Ce n’est pas très facile au niveau de la communication, mais je peux m’exprimer en anglais. Je me sens très bien ici, au niveau du pays, du club. Je suis à l’aise et c’est l’essentiel pour l’instant.
Vous êtes la première joueuse française à évoluer dans le championnat saoudien...
Je ne le savais pas au moment où j’ai signé. C’est une fierté encore une fois d’être la première à découvrir un championnat, cela va peut-être ouvrir à la voie à d’autres profils comme moi, des joueuses qui portent le voile ou pas. Des profils qui se sentent à l’aise dans un pays comme l’Arabie saoudite.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans l’aventure ?
La priorité était de pouvoir rejouer au football avec mon voile. Et donc quitter la France, car on ne peut pas évoluer avec le nijab, le voile (la Fédération française de football l'interdit, ndlr). En soi, mon plan de carrière n’était pas de quitter la France, mais du coup c’était un peu forcé. À ce moment-là, mes conseillers de Rising Partner ont mis en place les démarches pour faciliter mon départ à l’étranger et on a eu cette prise de contact avec le club d’Al-Nassr. On a réussi à trouver un accord. Le projet sportif y est intéressant, ils mettent en avant la section féminine et ils vont continuer dans les prochaines saisons. Concilier religion et foot, c’est la raison de ma venue ici.
"Il y a quand même un niveau, il y a des joueuses internationales"
Vous faites des concessions sportives sur un plan de carrière initial non ?
Mon rêve était d’évoluer en Angleterre, mais ce n’est pas possible. En grandissant, on voit les choses différemment. Avant, je priorisais énormément le foot sur ma famille, la religion, d’autres choses de la vie. Pendant ma blessure, je me suis rendue compte que ma priorité devait être la religion, je me sentais plus apaisée comme cela. J’ai décidé de mettre le voile. Et en le mettant, je savais que des portes se fermeraient, et notamment celle du football, d’évoluer en Europe, de vivre mon rêve en Angleterre ou bien d’autres objectifs. Mais à partir du moment où j’ai priorisé ma religion, le reste m’importait peu… Même si c’est difficile quand même, un choix difficile, un choix que j’accepte et dont je suis fière.
Comment fonctionne le championnat saoudien ?
Le championnat est tout jeune, je crois qu’il a été créé il y a deux ans. Il n’y a que huit équipes. On commence en septembre et on finit en février. C’est vraiment récent et en plein développement. On a le droit à sept contrats professionnels par équipe et en situation de match, seules quatre joueuses professionnelles peuvent jouer. Le niveau n’est pas aussi élevé qu’en Europe ou en France. Les filles ont trois, quatre ou cinq ans d’expérience maximum. Mais il y a quand même un niveau, il y a des joueuses internationales. Les clubs ont les moyens et les mettent pour se développer vite (à Al-Nassr le salaire des contrats professionnels est en moyenne de 3.000 euros). Mais au niveau des infrastructures et l’intensité dans le jeu, il y a vraiment un écart par rapport à l’Europe.
Quel est le niveau ?
De ce que j’ai pu évaluer, je dirais un niveau de milieu de tableau ou bas de tableau D2. Pas haut de tableau, car on a de très bonnes équipes en D2.
Dans quelles conditions vous entrainez-vous ?
On n’est pas au centre d’entrainement avec les garçons à Riyad. On est un peu excentré, on a nos propres infrastructures, notre propre stade, etc. Mais cela reste moins alléchant que d’aller au centre d’entrainement avec les garçons où ils ont tout ce qu’il faut. Il y a beaucoup de choses à améliorer, ce n’est pas aussi bien développé qu’en France. Au Havre, où j’ai pu évoluer, on était au centre de formation. À Lille aussi c’était top. Mais je pense qu’ils mettront rapidement les moyens, avec la présence de Cristiano Ronaldo qui va pousser à développer le football dans les années à venir, je ne m’en fais pas.
"L’arrivée de Cristiano Ronaldo, l’engouement autour du football a explosé"
Quel est le discours de la direction sportive d’Al-Nassr ?
Ils ont pour ambition de conserver le titre national, de rester sur le toit de l’Arabie Saoudite. On a aussi la Ligue des champions d’Asie qui va entrer en vigueur en 2023. L’idée c’est d’aller chercher une place intéressante et pourquoi pas la gagner. Ils ont des objectifs élevés, comme chez les garçons, c’est ce qui m’a plu. Je reste compétitrice dans ma tête, et ce sont objectifs élevés et intéressants. Et après pourquoi pas aller en sélection algérienne (elle possède la double nationalité).
Il y a une vraie volonté de promouvoir le football féminin en Arabie Saoudite ?
C’est quand même mis en avant par le club, par les moyens qu’ils mettent. On a vraiment tout à notre disposition, on n’est pas du tout mis à l’écart. On joue quand même dans des beaux stades en championnat. Je pense qu’ils veulent vraiment développer le football féminin, et c’est quelque chose de bien vu ici. Une fille au foot, ce n'est pas quelque chose de négatif d’après ce que j’ai vu pour l’instant. J’ai pu assister à un match, il n’y avait pas énormément de monde mais il y a du public quand même ! Et le stade était avec une petite tribune et une superbe pelouse, c’était une galette !
Vous avez signé le même jour que Cristiano Ronaldo !
J’ai signé avant lui (rires)! Les gens me disent que je suis à Al-Nassr parce qu’il y a Cristiano, mais j’ai signé avant lui! Si vous m’aviez dit ça il y a deux ou trois ans, j’aurais dit: "Mais qui va aller jouer en Arabie Saoudite ? Cristiano jamais de la vie, moi non plus !" Comme quoi le foot, ça va vite.
Il a dû créer une onde de choc d’engouement incroyable sur place ?
Il y a eu un très grand impact ici. Il est partout, sur toutes les publicités, dans les médias. Cela a explosé. C’est un effet mondial. On l’a vu lors du match de jeudi, le PSG est venu jouer ici. Ce n’est pas que sportif, c’est aussi le plan marketing, la communication, cela a explosé.