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Hooligans, et bras droit levé

Les hooligans ultranationalistes serbes ont mis le chaos le 12 octobre dans le stade de Gênes lors d'Italie-Serbie

Les hooligans ultranationalistes serbes ont mis le chaos le 12 octobre dans le stade de Gênes lors d'Italie-Serbie - -

Avec la reprise du procès des assassins de Brice Taton, la Serbie affronte les démons du supportérisme d’extrême-droite. Une mouvance ultranationaliste qui dépasse les frontières de l’ex-Yougoslavie. La France n’est pas épargnée. Enquête au cœur du hooliganisme politisé.

La face obscure du football serbe fait encore la Une de l’actualité. Depuis lundi, le procès des quatorze personnes inculpées dans le meurtre de Brice Taton a repris à Belgrade. Les témoins racontent, visage caché derrière une vitre teintée et voix déformée par peur des représailles, comment le 17 septembre 2009, ce supporter toulousain de 28 ans a été roué de coups par des hooligans du Partizan Belgrade, avant de succomber douze jours plus tard. Ce n’est que le dernier épisode d’une longue liste. Le 12 octobre, plusieurs centaines de supporteurs de l’équipe de Serbie saccageaient le stade de Gênes lors d’un match comptant pour les éliminatoires de l’Euro 2012, provoquant l’arrêt définitif de la rencontre. L’avant-veille, des exactions ont eu lieu à Belgrade à l’occasion de la Gay Pride. A chaque fois, les ultranationalistes du ballon rond se sont illustrés par leur haine de l’Occident, le racisme et l’homophobie.

Pour autant les hooligans serbes n’agissent pas seuls. S’il existe une internationale orthodoxe entre Belgrade, Saint-Pétersbourg et Athènes, ils n’hésitent pas à recevoir un coup de main de leurs « frères » adeptes de la cause fasciste. Avant qu’Ivan Bogdanov et son groupe de l’Armée yougoslave de la patrie, en référence aux milices paramilitaires tchetniks qui combattaient les forces de l’Axe pendant le Seconde guerre mondiale, ne sèment le chaos au stade Luigi Ferraris, ils avaient reçu l’appui de ressortissants de la communauté serbe du nord-est de l’Italie, et de sympathisants italiens à Varese, Vérone, Vicenza et même à l’Inter Milan. En Italie, l’allégeance aux idéaux d’extrême-droite n’est plus le seul fait du bras levé de Paolo Di Canio et des Irréductibles de la Lazio de Rome, même si l’hommage rendu par le virage nord du Stadio Olimpico lors de la mort en 2000 du leader serbe Zeljko Raznatovic, dit Arkan, a fait le tour du monde. Une étude du ministère de l’Intérieur italien recensait à la fin de la décennie, 15 000 membres d’extrême-droite pour une soixante d’organisations. En 2006, accueillis au Circo Massimo par un million de supporters après leur titre de Champions du monde, De Rossi, Buffon et Pirlo avaient déployé une banderole flanquée de la croix celtique.

« Quand Benzema jouait, il fallait ranger les drapeaux algériens »

Des Ultras d’Imperia et du Torino ont pris l’habitude de traverser les Alpes pour prêter main forte à la défunte Brigade Sud de Nice. Si ces groupes ont noué des relations d’amitié classiques entre Ultras, la BSN, dissoute en avril 2010, a abrité une frange ultranationaliste. « Certains des membres étaient ouvertement antisémites, raconte le commissaire divisionnaire honoraire Michel Lepoix, coordinateur national pour la sécurité du football auprès du ministère de l’Intérieur de 2006 à 2009. Nice fait partie des clubs français, avec Lyon, Paris et certains bastions du nord et de l’est de la France, qui abritent une minorité d’extrême-droite. » Lyon, capitale des Gaules, abri d’une minorité affichant ses positions identitaires. Longtemps nichée au sein des Bad Gones du virage nord, la frange la plus politisée des Ultras lyonnais est désormais surtout présente dans le virage sud. « Quand Karim (Benzema) jouait, le club demandait aux supporters de ne pas faire entrer de drapeaux algériens… », se souvient Christian Lanier, journaliste au Progrès. « Aujourd’hui, Makoun et Gomis se font systématiquement huer, j’espère y voir une coïncidence et pas le fait de vieux réflexes racistes », s’interroge Lanier. Les stades étant de mieux en mieux sécurisés, les coups de poings ont lieu dorénavant à l’extérieur. Lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites, des dizaines de hooligans de l’OL sont venus prêter main forte aux sympathisants identitaires venus en découdre avec les jeunes issus de l’immigration. De manière plus classique, les radicaux lyonnais affrontent leurs homologues parisiens, comme en 2009, sur une aire d’autoroute près de Villeurbanne. « Ce sont de vrais hooligans, témoigne une source toujours active. Ils font du free fight, ils ont tapé les gars de Manchester (en 2008), et une partie d’entre eux sont très politisés, extrême-droite, sortis des Bad Gones ou du virage sud. » Nice, Lyon, le tracé du supportérisme extrême remonte vers Paris, centre incontestable du hooliganisme hexagonal, jamais débarrassé d’une culture raciste.

« Une frange des hooligans parisiens a réussi à faire de Boulogne une tribune blanche », résume Nicolas Hourcade, sociologue. Apparues au début des années 1980, surfant la vague skinhead, les idées d’extrême droite se sont diffusées dans la tribune Boulogne autour d’un noyau dur, minorité qui imposa sa marque à travers un folklore identitaire (croix celtique voire gammée). Pourtant, les partis et groupuscules d’extrême droite se sont plutôt cassé les dents lorsqu’ils ont voulu infiltrer la mouvance hooligan. « Les hooligans tiennent à leur autonomie et se méfient de la récupération des partis politiques donc les liens entre les uns et les autres sont complexes », reprend Hourcade. Ces liens semblaient cependant s’être renforcés ces dernières années. « La dissolution en 2008 de la seule association ultra animant la tribune, les Boulogne Boys, a encore plus émietté le kop de Boulogne entre différentes bandes et favorisé la radicalisation de certains », souligne Hourcade. « La dissolution des associations n’a fait que renforcer une tendance naturelle des hooligans à se démarquer des associations de supporters traditionnelles », ajoute Michel Lepoix. Suite aux décès de deux habitués du kop de Boulogne, Julien Quemener (23 novembre 2006) et Yann Lorence (17 mars 2010), et à l’instauration du plan Leproux qui a mis fin aux abonnements, les hooligans parisiens sont persona non grata au Parc des Princes et la tribune Boulogne est désormais ouverte à tous. Exilés, les bad boys du PSG se battent loin des stades comme leurs homologues serbes, russes et d’Europe de l’Est qui gardent toujours une longueur d’avance. « Ce sont eux qui ont lancé les fights », rappelle Lepoix. Ou l’attaque de supporters toulousains.

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Procès Taton
Un lynchage prémédité
Selon les témoignages d’acteurs présumés du lynchage de Brice Taton, auditionnés cette semaine à Belgrade dans le cadre du procès fleuve des assassins du supporter toulousain, décédé le 29 septembre 2009, des SMS ont été échangés entre supporters serbes avant et après l’agression. « Les Français sont en ville. Informe les autres », dit un message ; « Soyez prêts aujourd'hui. Les Français sont en ville », averti un autre. Les deux personnes, appelées à témoigner derrière une vitre teintée et avec la voix déformée, ont mis en avant le caractère prémédité de l’affrontement ; elles font partie des quatorze supporters du Partizan Belgrade inculpés par la justice serbe. Le procès, qui s’est déjà déroulé en deux sessions (avril, juin), a duré de lundi à mercredi, le tout depuis le début dans une ambiance lourde, par crainte des représailles. Deux sessions supplémentaires sont prévues, les 18 et 19 novembre et les 1er et 2 décembre. La veille de la finale de Coupe Davis entre la France et la Serbie, à Belgrade.

Louis Chenaille (avec D.M.)