Gourcuff « Les entraîneurs sont des Kleenex »

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Christian Gourcuff, Lorient alimente la gazette des transferts. Vos joueurs (Morel, Jallet, Gameiro, Abriel) sont très courtisés. Cette situation vous effraie-t-elle alors que vous êtes en pleine phase de reprise ?
L’intérêt que suscitent nos joueurs aujourd’hui est une juste récompense de leur travail. C’est un peu l’objectif des joueurs en venant à Lorient. La plupart d’entre eux sont issus de L2 et souhaitent progresser. Maintenant, les indemnités de transfert que l’on nous propose ne correspondent pas du tout à leur valeur. Dès qu’ils sont dans des formations un peu plus médiatiques, il y a tout de suite une valorisation qui n’est pas normale. Nos joueurs, sous prétexte qu’ils jouent à Lorient, sont sous-estimés.
On a souvent loué la qualité du jeu de votre équipe. A l’arrivée, Lorient n’a décroché ni titre, ni place européenne la saison dernière. Pas trop frustré ?
Le résultat d’une fin de saison reflète toujours le parcours d’une équipe. Des trois saisons que je viens de vivre à Lorient, cela a peut-être été l’une des plus difficiles. On a été plombé par un début de championnat difficile. En finissant 10e, on était à notre place. On a surtout eu du mal à imposer notre manière à domicile.
Quels seront les objectifs du club pour la saison à venir ?
On ne se prend pas pour une autre équipe. On vise le maintien, ce qui n’exclut pas d’avoir des ambitions dans le jeu. On sait qu’on atteindra cet objectif le plus rapidement et le plus sereinement possible si on a une qualité de jeu intéressante.
On connaît le regard parfois critique que vous portez sur le niveau de la Ligue 1. Selon vous, la fin de l’hégémonie lyonnaise est une bonne nouvelle pour la qualité de notre championnat ?
Ça dépend. Les meilleures années lyonnaises, je dirais il y a quatre-cinq ans, étaient aussi une garantie pour que Lyon puisse faire un parcours européen intéressant. L’affaiblissement de Lyon, à ce niveau-là, n’est pas une bonne nouvelle. Pour l’intérêt du championnat, cela l’est certainement. Mais il faudra voir ce que cela va donner dans la durée. Même si ce n’est pas la vérité absolue sur une saison, la pérennité d’un club est liée à sa capacité d’avoir un budget conséquent. Lyon est quand même très en avance sur ses concurrents. Il faut avoir la capacité financière de maintenir ce statut et donc de pouvoir conserver ses meilleurs joueurs.
Vous avez entraîné Rennes, Lorient et vous venez d’être élu Merlu du siècle par les internautes de Ouest-France. Vous songez à faire toute votre carrière d’entraîneur en Bretagne ?
J’ai fait vingt ans en tant qu’entraîneur à Lorient, j’y ai forcément laissé chose. Après, on verra. Je pense que je reste l’un des derniers entraîneurs à symboliser un club. Guy Roux a arrêté avant moi et la tradition nantaise s’est éteinte avec le départ de Raynald Denoueix. Aujourd’hui, les entraîneurs sont des Kleenex, qui passent, que l’on jette et qui partent aussi. Une aventure comme celle que j’ai vécue et que je vis avec Lorient, on n’est pas près de revoir ça de sitôt.
On a associé dernièrement votre nom à celui de Nantes. Vous auriez pu entraîner au FC Nantes, sous la houlette de Waldemar Kita qu’on décrit comme omniprésent ?
Je n’ai pas à répondre à cette question. C’est vrai que je me suis demandé si je devais quitter Lorient. J’ai sollicité mon président pour qu’il me libère de ma dernière année de contrat. Il a refusé catégoriquement et je n’ai pas souhaité insister. Je trouve d’ailleurs assez malsain d’aller au bras de fer, surtout lorsqu’on a un poste à responsabilité. Dans un an, je me donnerais le temps de la réflexion. C’est vrai qu’être sous contrat, c’est une garantie. Mais on s’aperçoit également que dans des cas comme celui-ci, on n’est pas libre non plus de son choix. C’est parfois un handicap.
Vous n’avez jamais songé à prendre les commandes d’une formation plus huppée ?
Je ne me pose pas la question comme ça. Vous savez, les entraîneurs aujourd’hui ne sont plus mutés pour leurs qualités intrinsèques mais par des réseaux de recrutement. En ce qui me concerne, ce sera la motivation du club de me recruter qui l’emportera. C’est ce qui m’avait poussé à répondre favorablement à la demande de M. Pinault à Rennes. J’étais venu m’inscrire dans un projet et c’est aussi pour ça que mon limogeage un an après m’avait fait autant de mal.
On ne peut pas vous interviewer sans évoquer votre fils, Yohann. Vous êtes surpris par la dimension qu’il a prise cette saison ?
A Milan, il avait quand même fait d’excellents matches quand il jouait. C’était peut-être une découverte pour le football français mais moi je savais ce qu’il était capable de faire. La deuxième année à Milan l’a handicapé, notamment en raison d’un manque de rythme. A Bordeaux, il a trouvé un environnement propice à son épanouissement. C’est un club qui est sain avec une vraie dimension humaine.
En quoi a-t-il le plus progressé ces derniers mois ?
Il a élargi son registre. Il a montré qu’il pouvait jouer plus haut, avec la capacité de jouer dos au jeu. Je le voyais plus comme un meneur de jeu reculé, à la manière d’un Pirlo au Milan AC. D’ailleurs, c’est dans ce type de position que je l’avais vu faire ses meilleurs matches en Italie. Physiquement, il a affiché des qualités de percussion. Il a agrandi sa palette.
Pas trop dur, en tant que père, de jouer face à votre fils ?
J’essaie de prendre un maximum de recul par rapport à lui. Le plus dur, c’est de vivre le match. Je suis supporter de Bordeaux toute la saison et lors du match, je fais tout pour que Lorient l’emporte. Il n’y a pas de plan contre lui mais il y a des sentiments contraires qui se mêlent et c’est ce qui rend la tâche plus compliquée.