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OL-ASSE: pourquoi le derby a perdu de son piquant (sauf chez les supporters)

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La 11e journée de Ligue 1 s'achèvera dimanche par le retour du choc entre l'OL et Saint-Étienne, au Groupama Stadium (20h45). Un derby qui semble moins enflammé et moins exposé que par le passé, même s'il suscite toujours autant de passion chez les supporters.

Alors que l’on imaginait qu’elle allait s’avérer "folle", l’impatience de (re)vivre un derby entre Lyon et Saint-Étienne, 1024 jours après le dernier disputé un soir de janvier 2022, semble plus feutrée avant le choc de dimanche (20h45). La faute à une conjonction de facteurs: la coupe d’Europe en milieu de semaine pour l’OL, les changements d’actionnaires et de dirigeants des deux côtés, l’aseptisation des déclarations.

Si une forme de normalisation gagne les acteurs principaux – joueurs et dirigeants notamment -, comme dans les aventures d’Astérix et Obélix, un village résiste à l’indifférence: celui des supporters. Avec une preuve de son importance: le record d'affluence du 25 février 2018 (58.069 spectateurs) risque d’être battu !

Des changements d'ères des deux côtés

Roland du Forez face à Jean-Michel de l’Arbresle. Ça, c’était avant, quand les deux hommes forts (Roland Romeyer et Jean-Michel Aulas) occupaient presqu’autant que les joueurs la chronique de l’avant-match. Avec chacun la tête et les jambes dans son territoire stéphanois pour le premier et lyonnais pour le second. Et surtout le cœur bien ancré dans "son" histoire, avec la mémoire des "petites histoires".

Alors quand Roland Romeyer se souvenait un soir que son homologue Jean-Michel Aulas cherchait en fin de saison un pilote à sa Formule 1, et qu’il voyait arriver Rémy Vercoutre dans les buts face à Stéphane Ruffier alors au sommet de son art, il n’hésite pas à reprendre à son compte la formule en inversant les rôles: il est alors question d’une "Ferrari" (Ruffier) qu’il n’échangerait pas contre "une 2CV" (Vercoutre). Passe d’arme entre Roland Romeyer et Jean-Michel Aulas. Sans oublier la Playstation de l’après 100e derby du 25 septembre 2010.

Aujourd’hui, les patrons sont devenus des boss, venus d’outre-Atlantique: John Textor de Floride aux USA pour l’OL, Larry Tanenbaum du Canada pour les Verts. OL-ASSE devient donc, en caricaturant, un match USA-Canada, digne d’une finale olympique de hockey sur glace. Bien loin, en tradition et en kilomètres, d’un match franco-français. En 1024 jours, il s’en est donc passé des choses dans l’actionnariat des deux clubs qui rejaillit forcément sur l’ambiance d’avant match d’une certaine manière "normalisée" car en haut lieu, peu de dirigeants sont imprégnés de l’histoire - débutée le 28 octobre 1951 - des 124 précédents matchs entre les deux meilleurs ennemis du foot français.

Laurent Prud’homme, le DG de l’OL, Mathieu Louis-Jean, le patron du recrutement, et Daniel Congré, le nouveau coordinateur sportif n’ont aucun passé lyonnais et vivront leur premier derby. Idem à 65km de là, avec le président Ivan Gazidis et ses bras droits, Huss Fahmy et Jason Rosenfeld, tout juste arrivés le 3 juin dernier. Il reste bien quelques poches de "résistance", promptes à rappeler les fondamentaux que ce soit dans le staff lyonnais (Sage, Vercoutre, Alioui…) ou à Saint-Étienne avec le directeur sportif (Perrin) et Hamouma, proche du staff. Mais quel poids ont désormais ces étiquettes "locales"? Elles paraissent bien diluées avec le temps, au cœur d’une transformation radicale des actionnaires et dirigeants de deux côtés.

Peur de l'effet "loupe" des réseaux sociaux

À cette moindre imprégnation, dans l’intimité des board des deux clubs des valeurs vertes d’un côté, rouge et bleu, de l’autre s’ajoute une peur de bon nombre d’acteurs: celle de ne pas voir ses propos déformés par les réseaux sociaux. Conséquence: de nombreux ex-joueurs ou ex-dirigeants refusent de témoigner de souvenirs ou de ressentis d’hier. Tous ont la même réponse: ils le faisaient avant, mais une phrase, sortie du contexte est passée à la moulinette malsaine de la toile. On ne les reprendra pas à deux fois. Même des acteurs économiques ou des clubs amateurs ont refusé des reportages "à l’ancienne" sur les histoires de chambrage par peur des réflexions, voire même la perte de crédibilité, et même de marchés dans la ville d’à côté. Il faut dire que les deux cités séparées de 65km – 72km de stade à stade - sont tout à la fois opposées et complémentaires, rivales et jumelles.

De quoi nourrir, suivant le regard énamouré ou hostile, les pics sur les réseaux sociaux, entre l’ouvrière stéphanoise (12,5% de la population contre 5,8% à Lyon) et la bourgeoise lyonnaise (25.430 euros de revenus médians entre Rhône et Saône contre 19.000 dans le Forez). Certains s’essaient bien à des formules. Témoin, Olivier Canal, chef (marseillais) mais installé à Lyon depuis plus de 20 ans et désormais patron de l’association des "Bouchons Lyonnais". Il a été interrogé par l’hebdomadaire "Tribune de Lyon" sur la disparition de ces restaurants typiques à Lyon. Du tac au tac, avec sa verve, il tacle: "Impossible de concevoir Lyon sans ses bouchons. Ce serait triste. Ce serait… Saint-Étienne. Ça te va comme réponse?" Malheureusement, ces formules deviennent rares. Roger Rocher, en 2024, pourrait-il ainsi dire que Lyon est "la banlieue de St-Étienne en matière de foot?" La réponse est dans la question...

Derby recherche joueurs du cru désespérément

Seuls Léo Pétrot (né à Firminy) et Louis Mouton (né à Saint-Étienne) cumulent le lieu de naissance avec le centre de formation quand Aïmen Moueffek (né à Vienne en Isère) et Michael Nadé (né à Sarcelles en région parisienne) ne cochent "que" la case "Académie". En face, la "lyonnitude" semble un peu plus marquée avec des joueurs habitués aux derbies chez les jeunes et chez les professionnels. Alexandre Lacazette, Corentin Tolisso, Maxence Caqueret et Rayan Cherki (Anthony Lopes ne dispute plus les matchs mais continue de s’entrainer) ont déjà marqué l’histoire quand Georges Mikautadze, formé à l’OL, enfant du quartier de Gerland, vivra son premier derby en professionnel.

Mais de là à parler d’impatience... "Je ne peux pas parler d’impatience, parce que, déjà, on joue tous les trois jours, témoigne le capitaine lyonnais, autour d’un historique triplé pour le dernier derby le 8 novembre 2015 à Gerland. On vient juste de rentrer d'Allemagne, donc je ne dirais pas que c'est de l'impatience. Ça fait un moment que j'ai joué ce genre de derby, donc je sais qu'il faut juste être prêt le jour J, pas avant. Donc, je ne dirais pas "impatient" mais ouais, excité à l'idée de jouer un derby."

Même son de cloche (neutre), quelques heures avant à l’Etrat, au centre d’entraînement des Verts: "Impatient, je ne sais pas, s’interroge Léo Petrot. Mais en tout cas, quand on était à Saint-Étienne, en Ligue 2, avec le projet de remonter en Ligue 1, forcément, on y pensait. Parce que quand on sait qu’en remontant en Ligue 1, il y aura les derbies, des gros matchs, et forcément, quand on monte en Ligue 1, c’est pour vivre ce genre d’événements aussi. Et là, voilà, on va tout faire pour, en tout cas, apprécier de pouvoir jouer ce genre de match. Parce que, comme j’ai dit, on a tout fait pour remonter, et c’est pour vivre des moments comme ça."

Des effectifs très internationaux

Il faut donc d’une certaine manière "évangéliser" le reste de l’effectif très international des deux côtés: 4 continents sur 5 représentés et 14 pays différents au total avec du côté de Lyon, 14 nationalités différentes (Brésil, USA, Comores, Algérie, Angolais, Belgique, Angleterre, Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Serbie, Croatie, Argentine et Algérie) contre 8 à Saint-Étienne (Maroc, RDC, Nouvelle Zelande, Georgie, Belgique, Ghana et Sénégal): "On va dire que c’est plus nous qui leur expliquons à quel point c’est important et ce que représente le derby, et ils sont un peu surpris de voir qu’il y a une telle importance, témoigne Lacazette. Donc du coup, maintenant tout le monde est au courant, tout le monde sait. Mais ouais, je pense qu’au départ, ils ne s’attendaient pas à autant d’engouement ni à ce que ce soit un match si important."

De l’importance par exemple de narrer un "détail": "C’est une couleur que vous voyez, que je n’ai pas à la maison, et je sais que je peux mettre d’autres couleurs. Donc ouais, c’est interdit à la maison." Lacazette évoque bien la couleur… verte, proscrite chez lui. Alors on donne un peu le change côté staff, même si pour chacun, ce sera un baptême. Il sera total pour Olivier Dall’Oglio, l’entraîneur des Verts: "Ça fait un petit moment qu'on en parle, explique le technicien cévenol. Il y a déjà eu la sortie du calendrier, donc ça, c’était déjà cet été. J’ai bien compris que c’était une date à cocher, voilà. Et puis, souvent, on a des petits rappels de la part des supporters, des fans aussi, qui nous rappellent la date. Donc, sincèrement, on ne peut pas oublier ce rendez-vous, en tout cas."

Et s’ils ne savent pas ce que représente ce derby, les supporters le rappellent dans une tradition désormais bien ancrée depuis que les supporters ne font plus le déplacement, 2013 pour ceux de Saint-Étienne à Lyon: le passage au dernier entraînement et le départ du bus le dimanche matin en direction de la capitale régionale pour les fans des Verts: "Il faut réussir à emmagasiner toute l’énergie que les supporters vont pouvoir nous donner, imagine Petrot. Comme on l’a dit, ils ne seront pas au stade pour nous soutenir, même si on sait qu’ils seront derrière nous, que ce soit devant leur écran ou leur radio. Donc il faut qu’on arrive à capter toute cette énergie, qu’on prenne toute cette motivation, et qu’on la libère vraiment tous ensemble sur le terrain ensuite."

Reste l'impatience réelle des fans

1024 jours après, le derby revient donc là où les fans l’avaient laissé, un soir de janvier 2022 au Groupama Stadium sur un penalty de Moussa Dembele (1-0). Un indice de l’impatience? Le record d'affluence du stade en mode "foot", 58.069 spectateurs lors du 116e affrontement (1-1 au final), pourrait être battu. Tous les billets ont été vendus. Reste à établir la marque finale. Car ce derby a manqué à Julien, Gregory, Ludowic et les autres: "Oui, parce que si déjà je charrie un petit peu ces six points pour l'OL, témoigne Ludowic Clément, fan inconditionnel. Blague à part, c'est toute une région, toute une ferveur, c'est un des matchs les plus attendus aussi de la Ligue 1, puisque c'est le vrai derby en Ligue 1 et il y a un vrai manque et il y a une excitation à retrouver ce match dimanche soir."

Alors qu’un Lyon-ASSE remplace un OL-Metz, Ol-Lorient ou même un OL-Clermont, l’autre derby régional mais sans histoire sur le long terme, tout le monde s’en félicite: "Lorsque l’OL et l’ASSE s’affrontent, il ne s’agit pas simplement de trois points en jeu", estime Julien Chamoux, des 'Rouge et Bleu', qui descendra de Courchevel pour le vivre. "Le derby est un enjeu de fierté régionale, un match où chaque club veut s’imposer pour revendiquer sa suprématie. Dans les tribunes, l’ambiance est électrique: les chants, les tifos, et parfois même les provocations créent une atmosphère unique, où l’intensité est palpable. Ce match est souvent qualifié de "plus chaud" de France en raison de l’émotion et de la passion qu’il suscite chez les supporters."

"C’est un passage obligé d’une saison, savoure Grégory Cuilleron, restaurateur à Lyon. J’ai l’impression que c’est comme le retour d’un parent de la famille que l’on retrouverait et qu’on aurait perdu de vu. Cela fait plaisir mais on ne sait pas trop ce que cela va donner car cela fait longtemps qu’on ne l’a pas vu..." Qui plus est en "présentiel" car le dernier en date, il y a 1024 jours, c’était alors en mode post-Covid avec une jauge à 5.000 personnes. Et que le dernier en "vrai", dans un stade presque complet, cela remonte à l’avant-Covid 19, le 1er mars 2020 (52.722 personnes). Une éternité en somme, au pays des 124 derbies disputés pour presque autant d’anecdotes et de petites histoires dans la grande histoire des "Lyon-Sainté"!

Edward Jay