Reims-Monaco: un duel qui passionne... au Japon

"C’est assez fou comme Junya est une star au pays", glisse Luka Elsner en sortant de la salle de conférence de presse du centre de vie Raymond Kopa jeudi midi. L’entraîneur du Stade de Reims est suivi par le principal concerné, jamais ravi de se prêter à l’exercice. "Bonjour, bonjour", lance l’attaquant aux quelques journalistes présents. Ito s’assied, regarde les micros, feinte d’écouter une première question en français, langue qu’il ne maîtrise pas encore. Son interprète Koji Kuriki s’occupe de la traduction, la réponse est exécutive: "Non, jouer contre Minamino ne fait pas de ce match une rencontre particulière. On va l’aborder comme d’habitude avec le même objectif de gagner."
Ce vendredi midi, les Nippons de la Ligue 1 ne s'étaient pas encore envoyé de messages. Mais à plus de 900km au sud de Reims, Takumi Minamino, lui aussi présent en conférence de presse au centre de la Turbie, s'est montré plus bavard. "La saison passée, nous avions perdu à Louis II", se remémore-t-il. "Junya, Keito et moi n'avions pas joué ce match car nous étions à Doha pour l'Asian Cup. Nous avions regardé le match ensemble. J'ai une revanche personnelle à prendre."
"Pour nous, c’est le derby japonais en France"
Car le numéro 18 monégasque en a conscience, ce Reims-Monaco n’est pas un rendez-vous comme les autres. Surtout au pays du soleil levant. Là-bas, la Ligue 1 est, comme en France, diffusée sur DAZN. "C’est le cas depuis 2016", souligne Nishi Tatsuhiko, commentateur pour la chaîne britannique au Japon et détentrice des droits jusqu’en 2028/2029. "Un an plus tard, DAZN a obtenu les droits de la J-League, le championnat local. Si bien que les amateurs de foot et abonnés ont aussi accès au championnat de France, sans frais supplémentaires."
Et des clubs se démarquent forcément. "Il y a tous les week-ends deux matchs mis en avant et c’est quasiment tout le temps Reims ou Monaco", affirme Koji Kuriki, traducteur pour les joueurs japonais passés en France. Si le PSG accaparait l’attention des suiveurs japonais à l’époque du trio Messi-Neymar-Mbappé, le départ des stars a entraîné le désintérêt de certains locaux.
Sur le plan marketing, en revanche, le club de la capitale se démarque toujours, des pop-up sont installés à Tokyo depuis 2016 et certains maillots parisiens sont remarqués dans les rues des grandes villes japonaises. Mais quand il s’agit de se mettre devant les écrans, c’est Reims qui semble prendre la main. "J’ai eu des retours précis qui me permettent de vous dire que nous sommes aujourd’hui le club de Ligue 1 le plus regardé au Japon", assure Mathieu Lacour, directeur général du club champenois. "On pensait qu’il y avait Monaco et Paris mais finalement on trust les audiences, et de loin, devant ces clubs."
Nishi Tatsuhiko, lui, n’a pas les chiffres de sa chaîne: "DAZN ne les donne jamais. Mais on peut se baser sur les vues de la chaîne Youtube de DAZN Japon. Et on s’aperçoit que la vidéo la plus visionnée est celle représentant les highlights de Minamino la saison dernière avec 1,11 million de vues. Le match où Ito provoque le rouge de Verratti a aussi fait plus d’un million puis le but de Nakamura contre Montpellier cette saison plus de 450.000."
Samedi, à 21h au Stade Auguste Delaune, il sera 5h du matin à Tokyo. Et pourtant, DAZN devrait connaître un pic d’audience. "Pour nous c’est le derby japonais en France", image Shuishi Tamura, journaliste et pendant de longues années correspondant pour France Football. "Il sera tard mais je vais regarder le match en direct et beaucoup de Japonais feront comme moi. Après le match, on sort des articles sur Internet, on analyse le match, la performance des joueurs japonais. On en parle aussi dans les magazines et dans les journaux." Depuis la Cité des sacres, les journalistes nippons devraient aussi être plus nombreux à garnir la tribune de presse de Delaune.
Reims Japan Tour, les idoles des femmes et l’effet Minamino
Sa cote de popularité japonaise, le Stade de Reims a pu la mesurer lors d’une tournée estivale il y a quelques mois. Il suffit de l’aborder pour voir les yeux de Mathieu Lacour briller: "On nous avait dit qu’il y allait avoir un gros engouement. On savait que Junya (Ito) était un joueur très important de la sélection, très reconnu. Il est l’ambassadeur de Puma, notre équipementier, au Japon, donc il y avait des marqueurs forts. Mais présager ce qu’on a vécu…"
Le dirigeant se remémore avec plaisir: "Les stades étaient pleins. Le dernier jour on part de l’hôtel à 5h30 un tas de gens étaient à l’hôtel pour nous dire au revoir. A l’extérieur des stades, des foules faisaient la queue pour acheter nos maillots, nos écharpes, nos tee-shirts: rupture de stock dans le plupart des villes et des stades. Ils avaient même appris les chants des supporteurs rémois qu’ils entonnaient dans le stade. Imaginer ça, c’était impossible."
La tournée est évoquée dans les médias. Le Stade de Reims, en plus d’avoir fait une belle opération financière, s’est offert de nouveaux fans. "Au Japon, il existe plus une culture de sélection qu’une culture de club", explique Yohann Gainche, agent français de joueurs japonais. "Le public a vraiment besoin d’avoir une accroche pour s’identifier aux clubs." Alors qui d’autres qu’Ito, Nakamura ou Minamino pour s’attirer les louanges des fans quand on est un club étranger?
"Ce sont des piliers de la sélection", affirme le journaliste Shuishi Tamura. "Cette saison, on a joué six matchs éliminatoires pour la Coupe du monde, Minamino a joué les six, Nakamura et Ito quatre. On ne peut penser sans eux quand on parle de l’équipe nationale." Autre atout majeur de ces joueurs, leur popularité auprès du public féminin. "Ils font partie de ces joueurs de la sélection qualifiés de beaux par les femmes", avance Nishi Tatsuhiko.
"On observe beaucoup plus de femmes dans les tribunes comme par exemple dans le club du Cerezo Osaka où a commencé Minamino. Il a une très belle image auprès des supportrices japonaises." Un argument également relevé par Shuishi Tamura: "Ici on ne parle pas de sex-symbol, on parle d’idoles. Et ces trois garçons sont les idoles de beaucoup de jeunes filles japonaises. Ils sont beaux, bons, populaires, un peu comme des acteurs, le même genre de vedettes que celles du show-business."
Mais depuis Monaco, Takumi Minamino n’attire pas que les femmes japonaises. Il a permis au club de la Principauté de booster sa visibilité sur le territoire asiatique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Le compte X japonais de l’AS Monaco, lancé à l'arrivée du milieu de terrain, a observé une augmentation de 246% d’abonnés à l'arrivée entre la première et la deuxième saison de son Blue Samouraï. Minamino est tout simplement le troisième nom le plus floqué sur les tuniques monégasques vendues. Un reportage réalisé par le club avant la Coupe d’Asie a aussi enregistré 4,6 millions de vues dont 72% de l’audience au Japon. Alors "idole", le mot n’est certainement pas galvaudé. Et comme une vedette est généralement suivie de près, une journaliste de Kyodo News est constamment sur ses pas depuis son arrivée à l’ASM, histoire de rapporter ses aventures monégasques dans les médias japonais.
Un marché qui s’ouvre de plus en plus, vers d’autres arrivées en Ligue 1 ?
Pour cette saison 2024/25, la Ligue 1 compte quatre joueurs japonais. Les trois qui s’affronteront ce samedi, donc, et l’attaquant auxerrois Ado Onaiwu, "qui est moins suivi car il n’est pas international et parce qu’Auxerre était en Ligue 2 l’an dernier" justifie Tamura. Quatre, c’est autant que le nombre de joueurs allemands, norvégiens ou suédois dans l’élite. "Il y a quand même de plus en plus de joueurs japonais en France et qui ont leur place dans les effectifs", souligne Koji Kuriki qui s’est aussi occupé des traductions en conférences de presse pour Daisuke Matsui (Le Mans, 2004-2008) et Hiroki Sakai (Marseille, 2016-2021).
Junya Ito a, lui, vu d’un bon oeil l’arrivée dans la Marne de son compatriote Keito Nakamura: "Il est très important pour moi. Il est joyeux, parle beaucoup et me permet de parler un peu plus moi aussi." Mais pour savoir s’il aimerait voir d’autres Japonais garnir les rangs du championnat de France, l’homme aux trois buts et quatre passes décisives cette saison reste, à son habitude, laconique! "Je n’ai pas trop d’avis et ce n’est pas ce qui m’importe le plus. Si des joueurs de J-League ont le niveau pour rejoindre la Ligue 1? Je ne regarde pas assez le championnat japonais pour vous le dire."
Yohann Gainche a lui plus de recul. "Il y a une accélération de l’émergence de talents et un niveau du championnat en nette hausse", résume l’agent de joueurs, membre de la société qui gère les intérêts de Minamino. "Des joueurs sortent des centres de formation en étant prêts à jouer en Europe désormais. On les retrouve en Allemagne, en Belgique et maintenant en Premier League. Ce qui peut bloquer, c’est que beaucoup sortent d’universités donc arrivent un peu plus vieux en fin de formation. Mais il y a bien plus d’intérêts de clubs français qu’à l’époque, conscients que le marché est abordable sur le plan financier et le plan technique."
Mathieu Lacour a de son côté pu apprécier la qualité des joueurs japonais lors de la tournée estivale. "Il faut être le club qui les prend au départ. On l’a vu avec Nakamura, l’étape qu’il fait à LASK (Autriche) fait qu’il devient cher pour un club comme nous. C’est un marché qu’on va explorer mais on est limité en nombre de joueurs extra-communautaires. On a aujourd’hui une stratégie d’être présent sur des territoires comme le Mali et la Côte d’Ivoire alors peut être demain au Japon."
"Et quand à l’idée de repartir en tournée, on continue à discuter avec Yasuda, notre sponsor maillot également à l’origine de notre dernière venue. Une autre tournée, je ne sais pas, mais quelques matchs au Japon pourquoi pas. Y aller, aussi, pour une partie recrutement et scouting." Afin, qui sait, de ramener de futurs stars japonaises en Ligue 1.