REPORTAGE RMC SPORT - Inside les supporters marseillais qui montent à Paris

Les 57 Dodgers faisaient partie des 500 supporters marseillais présents hier soir dans les tribunes du Parc des Princes. - AFP
Le rendez-vous était fixé à 7h, place de la Castellane. Pour ce choc au sommet de la 13e journée de L1, les 57 Dodgers qui sont du déplacement ont loué pour l'occasion un car… scolaire ! Avec beaucoup de bonne humeur, mais pas que des enfants de chœur à bord ! Oui, c’est dans un bus « urbain » - à prononcer avec le bon accent marseillais de Franck, le chauffeur - que les Dodgers sont montés à Paris. Le bouton pour « demander stop » au prochain arrêt, la rambarde pour s’accrocher, la caisse enregistreuse. Même la liste des consignes à respecter est restée collée près du volant : « Interdit de boire, de manger, de fumer et de parler au chauffeur ». Euh, là, pas sûr que tout soit respecté.

Pas grave, le patron est compréhensif et soigneux. A peine parti, Christian Cataldo pense déjà au nettoyage. « Oh, Corinne (sa sœur, qui restera à Marseille pour rester au local des Dodgers), on a oublié des sacs poubelle pour le nettoyage ! » Quelques grands sacs noirs offerts à la station-service de Lançon de Provence feront l’affaire. Lançon, puis Loriol, et plus tard Beaune : trois passages obligés pour récupérer des supporters marseillais présents sur le listing des Dodgers. Enfin, ceux qui ont eu les moyens de mettre 110 euros pour le déplacement, dont 55 euros l’unique place au Parc, trois ou quatre fois plus cher que dans tous les autres stades de France. L’OM a même dû donner un petit coup de pouce aux associations de supporters. Tous les passagers sont là (une soixantaine). Les glacières, pour les plus expérimentés, et les sac-à-dos remplis de sandwichs sont sous les sièges. Même le sceau et la serpillère sont dans la soute, en cas de besoin…
Et ça ne va pas tarder ! Quelques chants plus tard, et au bout d’à peine 100 kilomètres sous la pluie, « Mimi », l’une des organisatrices, quitte le fond de son bus en panique : « Oh, il pleut dans le bus, là les gars ! C’est la trappe qui est cassée ! Ma veste est toute mouillée… » Christian Cataldo appelle sa sœur illico : « Corinne, ça goutte à l’arrière, là ! Ils nous ont refilé le car que les Yankees avaient maltraité lors du déplacement à Lyon !!... Ils ont filé 1000 euros de caution mais rien n’a été réparé ! » Ce petit différend plutôt cocasse se règlera la prochaine fois dans le virage Nord du Vélodrome, où Yankees et Dodgers cohabitent. « On dira que t’as pris l’option douche, et puis c’est tout… », rigole le chauffeur, qui parviendra à régler la fuite rapidement.
Des souvenirs de D2...
100 km/h maximum, les kilomètres s’avalent aussi vite que les verres d’anis ou les bouteilles de bière, principales « munitions ». Bientôt le tunnel de Fourvière, à Lyon, sur les coups de midi. « Oh, Lyon, j’y suis passé une centaine de fois. Mais je me souviens pas y être passé sans la pluie et le ciel gris », se moque Cataldo. Et c’est parti pour la séquence nostalgie du patron des Dodgers. Le déplacement à « Cuiseaux », d’abord. « C’est où ça déjà, en Savoie ? » Non, Louhans c’est en Saône et Loire, Christian… « Ça va, c’est pareil, tout ce qui est au-dessus d’Avignon, c’est la Pologne !... » Époque division 2, Cataldo se souvient y être descendu pour « pousser avec tous les supporters un bus tombé en panne ». Moins marrant que ce fameux déplacement à Sochaux où, un peu perdus dans une voiture et en pleine nuit avec Guy Cazadamont (l’actuel directeur de la sécurité de l’OM, en convalescence, et à qui RMC Sport et les supporters marseillais souhaitent un bon rétablissement, Ndlr), les deux hommes s’étaient soudainement retrouvés sur un parking avec devant eux… un chameau ! Le Cirque Pinder, sûrement, Cataldo en reparlera… Avec des centaines d’anecdotes, le responsable des Dodgers pourrait écrire un bouquin. 25 ans de déplacements cette saison. Des noces d’argent. L’OM pourra penser à lui offrir cette saison un nouvel oreiller. La couverture est impeccable pour dormir au milieu du bus. Mais l’oreiller a du vécu, ça se voit, ça se sent.
Pendant que l’avant du bus reste calme, le milieu du car parle politique : « Oh, ce qui m’énerve, c’est que le gars (François Hollande, le Président de la République, NDLR), il est là pour parler des problèmes de la France, et il se chauffe tout seul avec les JO 2024 à Paris ! A Paris, en plus, ça va pas ou quoi ?! ». Une discussion à laquelle ne participent pas les sièges du fond, en pleine chanson argentine : « Vamos Argentina, vamos Massilia, Bielsa Bielsa ! » Le maillot ou les vestes de l’albiceleste sont aussi fièrement affichés dans le bus des Dodgers. Anthony, qui lance souvent les chants, a même le briquet aux couleurs de l’Argentine. C’est l’heure du repas. Jérémy, le plus Corse des Dodgers, entame sa chanson préférée : « Figatelli, figatelli, figa, figa, figatelli ! ». Christian Cataldo pique un peu de « tortilla de patatas » à son voisin de RMC Sport. « Kiwi » offre des hamburgers à tout le monde, sûrement pour se faire pardonner des 2 heures d’insultes qu’il vient de passer au téléphone, sur un obscur forum, où quelques Parisiens étaient aussi au bout du fil.

C’est l’heure de changer de chauffeur, rotation oblige pour être en forme. Franck, toujours concentré sur son volant, laisse sa place à Michel. Premier créneau un peu compliqué pour se garer sur l’aire de service. « Oh, tu es sûr que tu as 32 ans de métier, l’ami ? », crie un supporter marseillais. « Tu veux l’autocollant conduite accompagnée ? ». Michel aura l’occasion de prouver que la route, il maîtrise. C’est lui qui tiendra la baraque de minuit à 4h du matin après le match, sous la pluie, quand tout le monde dormira.
Dans le bus, « Mimi » a séché sa veste et vient au micro faire une annonce : « On a des places pour France Suède, ceux qui en veulent viendront me voir ». La chanson en l’honneur de… « Zlatan » était alors inévitable ! Franck colle son portable au micro, en mode MP3. C’est parti pour quelques chansons de « Massilia Sound System ». Christian Cataldo, dont la voix apparait même dans l’un des morceaux de ce groupe de musique marseillais, est déjà dans son match : « Si on gagne à Paris, ce sera une déflagration atomique ! » Le leader des Dodgers n’avait pas fait le déplacement au Parc ces dernières saisons. L’OM leader, la foi en Bielsa, le pont du 11 novembre, ce match ne pouvait pas se manquer cette fois-ci !
Des conditions de sécurité sont draconiennes
Le bus roule. Bientôt Auxerre, l’heure de faire le plein de diesel, avec la carte bancaire des Dodgers. « Il faut absolument passer à la pompe maintenant car, avant et après le match, toutes les stations-service entre Paris et Auxerre seront bloquées par les forces de l’ordre, impossible d’y entrer », explique le chauffeur, lui aussi un grand habitué des déplacements de supporters marseillais. Le prochain arrêt sera donc… le péage de Fleury en Bière. C’est le point de RDV fixé pour tous les bus de groupes marseillais. Même les mini-bus des sections de Province ou de la région parisienne doivent absolument se rendre sur ce péage situé à une petite heure au Sud de Paris.
Le convoi sera pris en charge et escorté par des cars de CRS. Un hélicoptère jaune et rouge de la sécurité civile est également prêt à décoller. Les conditions de sécurité sont draconiennes, et elles ont même découragé deux groupes de supporters à faire le déplacement (Les Ultras et les Fanatics). Pourtant, aucune fouille des bus n’est effectuée par les policiers. "On sent que la pression retombe de saison en saison" confie Christian Cataldo, qui distribue désormais à tous les passagers de « son » bus des contremarques. A échanger avec les billets de la rencontre une fois au stade. Quelques stadiers de l'OM, chasubles jaunes ou rouge, sont également là. Le parking de Fleury est entièrement marseillais. Les MTP (Marseille Trop Puissant), qui se font désirer, arrivent enfin. Direction le Parc des Princes.

Gyrophares bleus pour les cars de CRS, warning pour les bus, quelques motards pour bloquer la circulation. Le convoi des Marseillais est impressionnant et s’embarque dans la nuit parisienne. Beaucoup de voitures particulières, qui croisent ce convoi de supporters, n’en croient pas leurs yeux. « Tu vas voir, dès qu’on aura la Tour Eiffel en ligne de mire, ça va les mettre en transe », promet Cataldo. Sauf que l’itinéraire habituel a été modifié, pour éviter que des supporters parisiens ne croisent les bus marseillais. Les ponts, les buissons, les coins obscurs, tout est surveillé sur le passage des « condés » (« policiers » en marseillais). « Eteins les lumières à l’intérieur du bus, sinon on va leur servir de cible ! », crie un supporter. « Heureusement qu’on n’a pas les rideaux dans ce bus, ça nous permet d’anticiper si on se fait caillasser » (ce qui sera le cas à l’issue du match pour deux autres bus, ceux des Winners et des MTP, ndlr), répond Cataldo. Pas si mal, finalement, ce car scolaire !... Et pas besoin d’attendre de voir la Tour Eiffel pour que la tension monte. Des plaques d’immatriculation « 75 » suffiront à déchainer les Dodgers.
Les insultes fusent. Certains sont debout sur les sièges et ouvrent légèrement la fenêtre pour mieux se faire entendre. Les deux stadiers de l’OM présents à bord du bus des Dodgers ont l’œil partout. « C’est chaud à gauche, les gars, c’est maintenant ! » Les marseillais sont attendus au passage des « Trois Obus », un bar où se réunissent souvent les supporters du PSG les plus chauds. Les Parisiens chambrent et y vont aussi de leurs gestes provocateurs, mais la « haine » entre Marseillais et Parisiens ne sera restée que verbale. Les bus arrivent au Parc des Princes sans encombre. Il est 19 heures.
Un déplacement trop coûteux
Commence alors une longue, une très longue attente sur le parking situé derrière la tribune Boulogne. Bus par bus, les supporters marseillais descendent et se rendent à un guichet spécial pour échanger leur contremarque contre le vrai billet du match. Les Dodgers passeront en dernier. 55 euros, le prix est inscrit dessus. « A collectionner dans la boîte à souvenirs des déplacements les plus chers de l’histoire de la Ligue 1. Et en plus, on est traité comme du bétail. », s’agace un supporter des Dodgers, qui n’en peut plus d’attendre dans le bus.
Accoudé le long d’un autre bus, un CRS fait mine de regarder son téléphone. Il a en fait en mains une petite caméra, qui filme visage par visage les supporters les plus excités. Deux d’entre eux, qui ne maîtrisent plus tous leurs gestes avec ce voyage trop arrosé, commettent alors la grosse erreur de faire un doigt d’honneur aux forces de l’ordre. « Y’en a deux de votre car qui ne vont sûrement pas voir le match », lance un CRS à Cataldo. Le boss des Dodgers avait pourtant bien pris soin de l’annoncer au micro : « Les gars, pas d’insultes pour les condés ! Sinon, vous allez passer la soirée avec eux ! ». Quatre CRS amèneront les deux coupables derrière un bus pour une fouille complète et pour leur mettre un petit coup de pression. Ils pourront quand même entrer dans le Parc des Princes.

Avant de pénétrer dans le parcage visiteurs, les fouilles sont strictes. Les briquets, à la poubelle. Les banderoles avec insultes, confisquées. Pour un PSG - OM, les tambours et les mégaphones sont aussi interdits ! « Il va falloir crier fort pour se faire entendre », annonce un supporter des Dodgers. « Le Parc, ce n’est plus un stade, c’est une discothèque maintenant, se moque Cataldo. On se croirait dans un spectacle sons et lumières ou au Cirque Pinder ! » Le match peut commencer. Les 450 supporters marseillais donnent de la voix pendant la première demi-heure. Mais le but de Lucas calme les chants olympiens avant la mi-temps.
L’espoir est de retour en deuxième période, des petits drapeaux blancs sont agités avec passion, l’immense drapeau orange des Winners flotte aussi derrière le but de Sirigu. Les fans de l’OM s’énervent après le lob de Gignac. Puis s’agacent face à « ce Payet, qui ne veut pas frapper ! ». Le carton rouge pour Imbula puis le but de Cavani mettront fin à la foi des supporters de l’OM… qui trouveront quand même les ressources de rappeler le classement aux supporters du PSG après le match : « On est premier, on est premier !...»
Caillassage et vitres cassées
Il ne reste alors que les supporters marseillais dans le Parc des Princes. Les forces de l’ordre attendent que les alentours du stade se vident suffisamment pour que le départ des bus se fasse sans incident. Peine perdue. Quelques supporters parisiens, isolés dans les rues adjacentes proches du Bois de Boulogne, retrouvent par hasard ou volontairement le chemin des cars des fans de l'OM. Trois bus subissent des jets de bouteille et de canettes. Les bus des Winners et des MTP rentreront sur Marseille avec une vitre cassée. Quelques supporters veulent descendre pour en découdre. Mais il n’y aura pas de riposte de la part des supporters de l’OM, enfermés dans leur bus et contenus par des CRS, bombes lacrymogènes à la main.
Debout depuis 7h du matin, fatigués par douze heures de trajet et d’attente avant de voir le match, abattus par une nouvelle défaite contre le PSG, les Marseillais ne veulent pas perdre de temps et rentrer vite à la maison. A peine le réflexe de se remémorer la date du match retour contre le PSG (le 5 avril 2015 au Vélodrome), et tout le monde s’endort dans le bus des Dodgers. L’exploit de gagner au Parc n’a pas été réussi par les joueurs. Le pari de s’endormir sur des sièges durs comme de la pierre a par contre été tenu haut la main par les supporters. Retour dans la cité phocéenne vers 10h. Sacré car scolaire. Sacrée excursion parisienne….