Ligue des champions: Comment Bruno Genesio est devenu "Pep"

C'est d'abord Pep Guardiola qui s'est cassé les dents en premier. Une défaite et un match nul en phase de groupe de Ligue des champions 2018. A la fin du match retour, le technicien catalan sort la brosse à reluire pour l'OL et Genesio. "Notre métier est incroyable. Quand on ne gagne pas, les entraîneurs, on est traité pire que des criminels. Je trouve qu'il (Bruno Genesio) a fait de très bons choix. L'équipe est très bien organisée."
Bruno Genesio, parfois critiqué en France, même, et surtout par ses propres supporters, y gagne un surnom, Pep, et une marque de fabrique, celle de savoir hisse son niveau et celui de son équipe face aux plus grands. Il recommence sur le banc de Rennes, mais le point d'orgue, c'est bien cette saison, avec Lille, lors de cette première saison de la nouvelle formule de Ligue des champions qui n'offre pas de matchs retour. Il accroche alors à son tableau de chasse le scalp de Carlo Ancelotti (Real Madrid) et Diego Simeone (Atlético de Madrid) , deux autres grands parmi les grands, sans oublié José Mourinho (Fenerbahçe) écarté dès les barrages. Une réussite en point d'orgue d'un parcours qui a commencé très tôt, à Lyon.
Lyon son club et ses proches
En 1980, Rémi Garde a 14 ans quand il arrive à l’OL et une amitié commence à s’installer avec Bruno Genesio qui a le même âge. Leurs parents nouent même une certaine complicité lors des déplacements en bus pour les championnats de France cadets et se voient régulièrement autour de barbecues. Chez les pro lyonnais, les deux milieux de terrain sont inséparables et ont beaucoup de complicité. A chaque déplacement ou mise au vert, ils font chambre commune durant 4 ans. Puis leur carrière de joueur les mène vers des horizons différents. Sans perdre contact, Bruno et Rémi vont de nouveau se retrouver à l’OL après que Bruno a fait ses gammes sur le banc de Villefranche et Besançon. "J’ai assez vite vu, quand Bruno fait son retour à l’OL (2005), qu’au niveau tactique il avait une vision très claire. Quand on a passé une partie de nos diplômes ensemble je voyais bien que Bruno avait une analyse extrêmement rapide et précise. En ça je ne suis pas surpris aujourd’hui quand on y ajoute de l’expérience, sa capacité à s’immerger dans le monde du football 24h/24h, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Et maintenant il a l’expérience en plus!", explique l’ancien milieu d’Arsenal.

Le préparateur physique Robert Duverne qui l’a eu comme joueur à l’Olympique Lyonnais n’est pas surpris de la réussite de Genesio. "Il a passé toutes les étapes du métier, déjà en étant joueur de très haut niveau avec des qualités physiques indéniables et travailleur, puis il a été entraîneur adjoint et numéro un en partant de plus bas et ensuite il rejoint Gérard Houiller pour intégrer un staff dans l’observation des matches, à la tête de la formation… il a monté toutes les marches."
Après avoir été adjoint et directeur du centre de formation de l’Olympique Lyonnais, Bruno Genesio en devient l’entraîneur numéro un à la suite de l’éviction d’Hubert Fournier dont il était l’adjoint. Il démarre par un 7-0 en Coupe de France face à Limoges et fait ses débuts en Ligue 1 pour la première du tout nouveau "Groupama Stadium" avec une victoire 4-1 face à Troyes. Tout semble parfait pour le lyonnais pur souche mais dès sa nomination, les supporters ne veulent pas de lui préférant un nom plus ronflant comme celui José Mourinho. Sur les réseaux sociaux une pétition est même lancée contre lui. "Bruno est arrivé à Lyon avec un boulet au pied. Il a été jugé avant", explique Gilbert Giorgi ancien dirigeant de l’OL. Après 4 ans à la tête de l’OL et plusieurs qualifications pour l’Europe, l’aventure à Lyon se termine en 2019. Robert Duverne reconnait que la période lyonnaise n’a pas été facile pour Genesio. "On n’est jamais prophète dans son propre pays. Il doit s’affirmer ailleurs et il le fait bien à Pékin où je suis avec lui. Après, il y a un autre regard sur Bruno. A Rennes, le regard change encore et ça monte encore à Lille. Et comme il a l’expérience, ça le renforce maintenant."
"Plus le niveau et la pression s’élevaient et plus il était concentré"
En 2021, l’aventure en Chine se termine. Direction le Stade Rennais. Bruno Genesio qualifie le club breton en Europa Conférence Ligue et en Ligue Europa mais à l’entame de sa 3e saison, des tensions provoquent son départ en novembre 2023. Il en profite pour se ressourcer, mais le LOSC prépare l’éventuel départ de Paulo Fonseca qui est en fin de contrat en juin 2024 et qui rejoindra finalement l’AC Milan. En contact depuis plusieurs mois avec Olivier Létang, Bruno Genesio est séduit par le projet et rejoint le LOSC.
L’après Fonseca est rapidement oublié puisqu’il qualifie le LOSC pour la nouvelle formule de la Ligue des champions en sortant victorieux des barrages en août dernier face au Fenerbahçe de José Mourinho et le Slavia Prague. Quasiment un exploit puisqu’il faut remonter en 2016 avec Monaco pour voir un club français franchir cette étape sur laquelle tant de clubs se sont cassés les dents au coeur de l'été. "Bruno a toujours aimé les grands matches, il a un peu de pression comme tout le monde, mais il n’a pas de mauvais stress ,c’est-à-dire que l’enjeu d’un match ne va pas lui enlever sa lucidité de jugement sur les évènements et c’est la marque de quelqu’un de très bon!, résume Rémi Garde. Déjà à notre époque plus le niveau et la pression s’élevaient et plus il était concentré et aujourd’hui il est exactement comme ça."
Des qualités qu'il a pu cultiver et faire grandir lors de son immense carrière européenne. "Il ne faut oublier que Bruno a une énorme expérience dans ces compétitions, explique Maxence Flachez qui a joué avec Bruno Genesio à Lyon et Martigues. Il a quasiment toujours connu l’Europe. Quand il était en Chine, il a même joué la Ligue des Champions en Asie. C’est un compétiteur, il aime gagner, il aime les grands rendez-vous. Tactiquement il a beaucoup d’idées et il arrive à les mettre en place et faire adhérer son groupe."
"Le même genre de personne qu’Ancelotti"
Adjoint de Genesio au LOSC, Jérémie Bréchet est impressionné par sa clairvoyance dans ses choix. "Il voit vite, comprend vite et il agit vite. Il met des joueurs à des postes où ils n’imaginaient pas performer (comme l'arrière gauche Mitchel Bakker milieu droit). Il a compris qu’il avait de très bons joueurs au LOSC. C’est un très fin tacticien, on passe beaucoup de temps à décortiquer les moindres actions, il est précis sur les positions. Il redemande aux analystes vidéo de mettre les joueurs à la bonne position au bon endroit et c’est même à un mètre près. Bruno délègue facilement et fait confiance à son staff avec l’aide de Dimitri Farbos (son adjoint numéro un depuis Lyon)."
A quoi tient donc la réussite de Bruno Genesio. La tactique? Son management? "Je pense que c’est le même genre de personne qu’Ancelotti, explique Rémi Garde. C’est pas facile d’être simple, juste et honnête mais lui, il peut le faire parce qu’il a tout vu sur le terrain. Si un joueur triche, ne se replace pas ou ne va pas faire la bonne passe au bon moment… Il va le voir tout de suite et donc il va pouvoir être juste à la mi-temps vis-à-vis du groupe et rectifier. C’est ce qui fait sa force et c’est pour ça qu’il peut être tranquille et avoir le respect de son vestiaire parce qu’il dit des choses justes et il est honnête."
Ancelotti, c'est d'ailleurs le modèle assumé de Bruno Genesio qui a effectué un stage à ses côtés dans le cadre de son diplôme d'entraîneur. "J’adore son style, car il a toujours de la retenue que ce soit dans la victoire comme dans la défaite. Dans le management, c’est quelqu’un de très proche de ses joueurs, mais avec autorité naturelle quand il faut l’avoir. Et puis tactiquement, il est capable de faire des choses... Lorsque vous gagnez autant de titres, ça n'est pas uniquement du management. C’est vraiment un entraîneur que j’apprécie, mais il y en a d’autres comme Guardiola dans sa façon de voir le jeu et de ce qu’il amène au football. J’ai beaucoup aimé Klopp, j’ai adoré Arrigo Sacchi même si c’est plus vieux, mais j’étais gamin à l’époque parce que ce sont des gens qui ont un peu révolutionné le football."
Et Bruno devient Pep
En septembre 2018, Bruno Genesio s’impose avec Lyon à Manchester City (1-2), un match dont les Lyonnais n'étaient vraiment pas favoris et où ils ont pris les hommes de Guardiola à leur propre jeu.Dans l'After Foot, Daniel Riolo renomme Bruno "Pep" Genesio. "Au début c’était, je pense, vraiment péjoratif, se souvient Bruno Genesio. Aujourd’hui quand je l’entends, ça a une connotation plus positive dans la bouche des gens. Certains de mes amis m’appellent "Pep" parfois et donc je sais qu’il y a un côté plus affectueux que moqueur comme ça pouvait être le cas au tout début. Ca ne me gêne pas, c’est plutôt drôle même."

Parmi ses amis, Gilbert Giorgi aime le taquiner avec ce surnom mais pour lui ça montre aussi la nouvelle dimension qu’a pris le coach du LOSC. "On le charrie en l’appelant Pep… Il a pris de la hauteur sur l’évènement, il a un sens tactique, il se remet en question et il sait inverser un match en changeant ou en déplaçant un joueur par exemple. Aujourd’hui il est au sommet de son art."
Il l'a prouvé lors de de cette nouvelle formule de la Ligue des Champions. Les victoires face au Real d’Ancelotti, de l’Atletico de Simeone avec une composition de base très surprenante (David et Zhegrova sur le banc) sont ses faits de gloire. Un travail d'équipe souligne Rémi Garde, qui sait que Bruno Genesio, passé par toutes les marches de l'escalier du football, sait que "pour être un très bon manager, il faut avoir un très bon staff. Je pense que Bruno s’est très bien entouré ( (Jérémie Brechet, Dimitri Farbos, Antonin Da Fonseca et Nicolas Dehon, NDLR) Je pense aussi que Gérard Houiller a été pour lui un exemple, un modèle d’organisation de staff, de délégation de compétences."
Très joueur dans son métier d’entraîneur et fan de jeu de carte avec ses amis (belote et tarot), Bruno Genesio pourrait devenir le 1er entraîneur à qualifier le LOSC pour les quarts de finale de la Ligue des Champions s’il élimine le Borussia Dortmund. Face à lui, un nom moins ronflant, Niko Kovac.