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MLS: "Mais qui es-tu?", les confessions de Chicharito sur sa grosse dépression

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La saison régulière de MLS a pris fin ces derniers jours avec l’élimination du Los Angeles Galaxy du Mexicain Chicharito Hernandez avant les playoffs. Un exercice durant lequel l’ancien joueur de Manchester United et du Real Madrid a retrouvé son niveau après de longs mois d’une dépression en partie liée à la perte de son grand-père mais aussi à un gros questionnement sur lui-même et sur son "personnage" de footballeur.

Chacun trouve son inspiration où il peut. Pour Javier "Chicharito" Hernandez Balcazar, le salut est venu d’une interview de Jim Carrey. Le comédien américain y décrivait la dépression comme le moment où votre être demande à se reposer du personnage qu’il a créé et qu’il essaie de jouer. Quelques mots qui ont trouvé un énorme écho chez le meilleur buteur (52) de l’histoire de la sélection mexicaine. Si vous ne suivez pas l’actualité de la MLS, le championnat nord-américain, vous avez laissé Chicharito en janvier 2020, date de son transfert du Séville FC (où il avait déçu avec trois buts en quinze matches pendant ses quatre mois et demi au club) au Los Angeles Galaxy pour lequel il avait lâché quelques larmes au moment de l’annoncer à ses parents: 'C’est le commencement de ma retraite…"

C’était surtout le début d’une énorme dépression dont l’attaquant aujourd’hui âgé de trente-trois ans a mis longtemps à se remettre. Il y a un peu plus de dix-huit mois, quelques semaines après le début de la saison 2020 de MLS interrompue par la crise sanitaire, Chicharito perdait son grand-père Tomas Balcazar, légende du foot mexicain qui avait participé à la Coupe du monde 1954 (un but contre la France dans un match perdu 3-2) et à qui il devait sa passion du ballon rond. Empêché d’aller faire son deuil auprès des siens en raison de la pandémie de Covid et des restrictions sur les voyages, esseulé chez lui après avoir vu sa femme rentrer chez elle en Australie avec ses deux jeunes enfants Nala et Noah, le Mexicain a sombré.

Canapé et jeux vidéo

Dans le sillage de Naomi Osaka ou Simone Biles, superstars du sport qui ont mis en lumière ces derniers mois la bataille pour la santé mentale, l’intéressé le raconte dans un poignant article signé Mirin Fader, autrice d’une excellente biographie de la superstar NBA Giannis Antetokounmpo, pour le site The Ringer. L’ancien joueur de Manchester United et du Real Madrid – également passé par le Bayer Leverkusen, West Ham et Séville avant de quitter l’Europe – s’est retrouvé dans la peau d’un homme qui avait beaucoup de mal à faire des choses simples. Il galérait pour se lever le matin, pour se forcer à manger ou à faire son lit. Il passait de longs moments sur son canapé à jouer aux jeux vidéo. Il se mettait à pleurer quand il s’entraînait seul. Il s’était isolé de ses proches. Il ne se reconnaissait plus. "Je n’étais ni le compagnon que je devais être, ni le père que je devais être, ni un bon ami. Je n’étais pas l’être humain que je voulais être."

Javier "Chicharito" Hernandez sous le maillot du Los Angeles Galaxy en novembre 2021
Javier "Chicharito" Hernandez sous le maillot du Los Angeles Galaxy en novembre 2021 © AFP

Et sa sœur Ana Silvia Hernandez Balcazar de témoigner, toujours pour The Ringer: "Je ne sais pas comment il a réussi à traverser cette saison 2020. C’est comme si tout s’écroulait autour de lui petit à petit." La saison de MLS a fini par reprendre alors le joueur le mieux payé du championnat, venu à Los Angeles remplacer un certain Zlatan Ibrahimovic, a mis un masque sur ses sentiments et tenté de briller sur le pré. Raté: deux buts seulement sur tout l’exercice, une blessure au mollet qui le prive de deux mois de compétition et une équipe qui rate les playoffs. "J’essayais de faire de mon mieux. Mais ce n’était pas assez." Les critiques ont afflué, joueur trop arrogant, surestimé, fini. Et celui qui avait l’habitude de le rassurer n’était plus là pour le faire.

La mort de son grand-père lui a donné de l’impression de perdre un deuxième père et une partie de lui-même. "C’était comme un vide. J’essayais de me perdre. Je ne croyais plus en moi. Je me laissais tomber." Mais elle n’a pas été un déclencheur. Elle a juste accéléré les choses. Depuis son passage à la trentaine, étape souvent synonyme de maturité grandissante, il s’était mis à gamberger. A s’interroger sur lui-même. On en revient à Jim Carrey. "Javi", le sobriquet utilisé par ses proches, a depuis longtemps laissé place à "Chicharito", "le petit petit pois", surnom hérité de son père Javier Sr, membre de l’équipe mexicaine qui avait atteint les quarts de finale du Mondial 1986 et qu’on appelait "Chicharo" ("le petit pois") pour la couleur de ses yeux.

"Je jouais un personnage"

Sous la pression des espoirs locaux depuis ses débuts au C.D. Guadalajara à neuf ans, héritage oblige, Chicharito a travaillé toute sa vie pour répondre aux attentes et faire mentir ceux qui l’imaginaient bénéficiaire de favoritisme familial. Pour "être parfait" et devenir ce joueur que tout le monde voulait le voir devenir au pays. Mais quand il s’est retourné sur tout ça avec le recul, le parcours sonnait creux. Il s’est rendu compte de sa seule réponse quand on lui demandait qui il était: "Un joueur de foot". Devant sa glace, au printemps 2020, ces mots ne lui parlaient plus: "Mais qui es-tu?"

Chicharito ne se souvenait plus d’un moment de sa vie où il ne tentait pas d’être Chicharito. Comme si le football était la seule facette qui définissait sa vie. Comme s’il avait joué toutes ces années le "personnage" du joueur de foot, dont il ne pouvait presque jamais se séparer car reconnu jusque dans la rue même s’il portait un combo lunettes de soleil-casquette. "Je jouais un personnage car c’est ce qu’on demande des gens célèbres. On leur demande 'donne-moi' encore, encore et encore. (…) J’ai dû apprendre comment m’accepter vraiment."

Javier "Chicharito" Hernandez célèbre un but en ouverture de la saison MLS en avril 2021
Javier "Chicharito" Hernandez célèbre un but en ouverture de la saison MLS en avril 2021 © AFP

L’homme qui avait appris dès l’enfance à cacher ses émotions malgré son côté "très sensible", attitude renforcée par le mythe du footballeur ultra viril, a dû accepter tout ce qu’il refusait de voir s’installer chez lui. "Quand on voit un homme pleurer, on se dit qu’il est faible. Mais pour moi, la vulnérabilité est une des choses les plus fortes, puissantes et affectueuses qu’on peut faire pour soi-même et pour l’humanité en général." Après la saison 2020, il pense plusieurs fois à la retraite. Il préférera graver un nouveau tatouage sur son bras: "L’amour est mon super-pouvoir". Envers les autres comme envers sa personne. "Lors de votre carrière, vous n’avez même pas le temps de vous aimer vous-même. C’est une question de survie. Viser un nouvel objectif chaque fois qu’on en remplit un."

Le temps a fait son œuvre et la lumière a fini par reprendre le pas sur l’ombre. Sa réflexion l’a mené sur un terrain: accepter que cette volonté de reconnaissance par les performances avait construit son vide. "La question était celle de m’accepter. De se dire que je n’avais pas besoin de réussir quelque chose pour avoir de la valeur, au contraire de ce que nous dit la société. Tout le monde est perdu à cause de ça. Je suis plus que mon argent ou ma célébrité." Il fallait retrouver la notion de jouer pour l’amour du foot, pas pour les autres, et accepter toutes les facettes de sa personnalité. Mission accomplie, à l’image de ces moments où il ose enfin chanter à tue-tête dans sa voiture au risque qu’on le reconnaisse et le juge.

"Combattre son ego est un processus"

Il a appris à plus s’aimer quoi qu’il arrive dans sa vie de joueur, qu’il marque ou qu’il ne joue pas, et à comprendre qu’il était sa propre personne et non son grand-père ou son père. Il dit s’être mis à apprécier les petites joies, un coucher de soleil, un bel arbre, le chant d’un oiseau, presque une série de clichés. Il s’est aussi mis à se parler pour se comprendre. "Je savais que j’avais besoin de devenir responsable de ma propre vie. Combattre son ego est un processus", analyse celui qui a aussi beaucoup pensé au mot "liberté" et à ce qu’il impliquait: "J’ai longtemps pensé que ça voulait dire pouvoir faire n’importe quoi n’importe quand. Mais non."

Plus que le bonheur tourné vers l’extérieur, il a cherché la paix intérieure. Et il l’a trouvée. Libéré, il a pu se remotiver à travailler pour prouver qu’il avait toujours sa place au haut niveau. Réussi: dix-sept buts et trois passes décisives en vingt-et-un matches de championnat cette saison, dont un doublé contre l’Inter Miami et un triplé contre les NY Red Bulls dans les deux premières journées et dix buts sur les dix premiers matches, même s’il n’a une nouvelle fois pas réussi à qualifier le Galaxy pour les playoffs (malgré une égalité de points avec le dernier qualifié de la Conférence Ouest) avec une autre blessure au mollet qui a stoppé son élan et lui a fait rater douze matches de suite. Mais pas de quoi l’énerver. La transition mentale effectuée depuis des mois lui a permis le recul. Quand Chicharito était jeune, sa mère Silvia Balcazar lui avait lancé une phrase comme un avertissement: "Fais attention à ce dont tu rêves car cela pourrait devenir réalité". Le Mexicain en a eu une démonstration éclatante depuis 2020. Mais il aura eu la force de se relever.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport