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"Pas besoin avant 12 ans": le coup de gueule de Raphaël Varane, qui milite pour l'interdiction du jeu de tête chez les enfants

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Champion du monde 2018 avec l'équipe de France, Raphaël Varane a construit sa carrière autour d'un jeu de tête de haut niveau. Pourtant, il lutte aujourd'hui pour protéger les cerveaux des enfants des séquelles que cette pratique peut entraîner.

Raphaël Varane, pourquoi souhaitez-vous prendre la parole sur le sujet des dangers du jeu de tête sur la santé?

C'est un sujet qui, à mes yeux, est important et qui est ignoré, ou en tout cas qui est sous-estimé. Donc c'est un coup de gueule pour mettre en lumière ce sujet qui concerne quand même beaucoup de monde, qui est pour moi très important.

Et est-ce que vous avez l'impression d'avoir été entendu par les instances dirigeantes du football français? Est-ce que quelque chose a changé ?

Pas du tout, il n'y a eu aucun changement en termes de prise de conscience. En tout cas, il n'y a pas eu de mise en place de nouvelles normes qui peuvent sécuriser le jeu de tête, notamment chez les enfants. Il y a une petite prise de conscience, c'est vrai, sur la prise en charge des commotions, sur le protocole, mais il y a encore énormément à faire. On a encore beaucoup de retard. On voit certains pays qui commencent à prendre des décisions par rapport à ça. Mais l'Espagne, l'Italie ou la France ont encore beaucoup, beaucoup de retard. Donc non, on n'a pas forcément senti une prise de conscience par rapport à tout ça.

A votre avis, pourquoi?

Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est que ça doit avancer plus vite. C'est assez révoltant de voir qu'en changeant certaines petites normes, on peut quand même prendre soin de la santé, surtout chez les jeunes. Et puis ensuite, pour les adultes, c'est aussi une prise de conscience. C'est-à-dire que moi, j'ai vu des joueurs jouer après des commotions sans avoir forcément récupéré. Moi-même, j'ai joué sans avoir pris conscience que je n'étais pas vraiment en capacité de jouer. Il y a des répercussions sur la santé, il y a des répercussions sur la performance, il y a des répercussions à court terme mais aussi à long terme. Il y a des moyens de contrôler tout ça, il y a des avancées scientifiques, technologiques qui permettent de pouvoir être à la hauteur de l'enjeu. Donc aujourd'hui, oui, c'est assez révoltant de voir que ça avance aussi lentement. Je n'ai pas l'explication du pourquoi, mais ça doit avancer.

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A la suite de votre prise de parole l'an dernier, est-ce que vous avez été en contact avec la FFF à ce sujet-là?

Non, pas de retour de la part des instances du monde du football. Par contre du côté des scientifiques, des études qui sont menées, j'ai été contacté par énormément de monde. Il y a des choses qui bougent, il y a des choses qui avancent. Ça doit se concrétiser par des prises de décisions qui vont dans le sens de la protection de la santé des athlètes.

Vous parliez de quelques petites normes en plus qui pourraient changer beaucoup, notamment chez les enfants, vous pensez à quoi en particulier? Qu'est-ce qui pourrait permettre une pratique du football dans le respect de la santé de tous?

Déjà l'âge pour commencer le jeu de tête, je pense que c'est l'aspect le plus important. Quand le cerveau est en plein développement, il y a des précautions à prendre et ça c'est hyper important. Ensuite, les protocoles lorsqu'il y a des commotions. Il y a des tests maintenant qui existent pour vraiment, avec précision, voir l'évolution. C'est ce genre de décision, de normes qui peuvent être importantes. Et surtout aussi, je pense que ce qui est très important, c'est le fait d'en parler pour que les joueurs puissent prendre conscience de ce que c'est. Un athlète de haut niveau, ne pas jouer parce qu'il est fatigué, il ne peut pas l'entendre. Par contre, si on lui explique les conséquences que ça peut avoir, qu'il peut avoir d'autres blessures à d'autres endroits parce que son cerveau a été touché, lui expliquer que sur du long terme c'est dangereux... Au moins qu'il en ait conscience parce que la première chose pour avancer, c'est de savoir qu'il y a une commotion et de savoir quels sont les enjeux et les répercussions. Il y a plusieurs situations où le joueur ne sait pas qu'il a une commotion et ne sait pas quels sont les enjeux et ça c'est inquiétant. Il y a des joueurs qui n'étaient pas au courant des symptômes qu'ils pouvaient avoir. Il y en a qui ont eu des chocs et qui se sont sentis fatigués pendant plusieurs semaines avec une incapacité à vraiment pouvoir se concentrer et performer sur le terrain. Il y en a d'autres qui ont eu des maux de tête... Mais après, au très haut niveau, un athlète c'est un guerrier. Donc ce n'est pas un peu de fatigue ou une petite douleur qui va l'empêcher de jouer. Les athlètes de haut niveau ont l'habitude de la souffrance, donc l'important c'est de prendre conscience que ça peut déjà avoir un impact sur la performance, mais surtout sur la santé à court, moyen et long terme.

Justement, concernant les impacts, il y a une nouvelle étude américaine qui est sortie il n'y a pas longtemps et qui met en évidence des modifications visibles du cortex cérébral liées aux chocs qu'implique le jeu de tête, les chocs répétés. Des conséquences, des pertes de mémoire, des réflexes un petit peu moins vifs... Est-ce que vous, vous avez été victime de ces troubles?

Moi, j'ai bien sûr connu et j'ai été familier avec les commotions, le jeu de tête était l'une de mes qualités, l'un de mes points forts donc j'en ai fait pas mal. Heureusement, j'ai été accompagné par un staff médical indépendant qui tout au long de ma carrière m'a suivi et m'a permis aussi de détecter et de prendre les bonnes décisions sur le moment où il fallait lever le pied, prendre conscience que je n'étais pas en capacité de jouer. Parce que c'est difficile parfois pour un athlète d'accepter qu'il n'est pas en condition de jouer. C'est un monde ultra concurrentiel, la compétition est toujours là, toujours présente. Donc heureusement j'ai été bien entouré. Mais oui, il y a eu des moments où on joue avec cette limite, avec ce fil rouge.

Ces troubles durant votre carrière ont-ils laissé des traces? Gardez-vous des séquelles?

Non, heureusement je n'ai pas eu de grosses séquelles. Ce que j'ai fait quand j'ai pris ma retraite, c'est que j'ai quand même fait des examens, passé un scan. C'est important de continuer à avoir un suivi, on verra à l'avenir, mais aujourd'hui tout va bien.

Alors justement, aujourd'hui tout va bien, mais il y avait une autre étude écossaise cette fois-ci, ça mettait en avant le fait que les footballeurs ont 3,5 fois plus de chances que le reste de la population d'avoir la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson. Pour les défenseurs, c'est même 4 à 5 fois plus. Est-ce que pour vous, c'est une crainte que vous avez pour l'avenir?

Ce n'est pas une crainte que j'ai, c'est ancré en fait dans notre façon d'être. Pour les athlètes de haut niveau, de prendre des risques, de repousser nos limites, même en sachant ce genre de conséquences, la détermination elle est telle que ce n'est pas quelque chose qui va nous freiner. Ensuite, vivre avec une crainte, non, parce que c'est des choses qui peuvent arriver avec ou sans jeu de tête, mais il faut que ce soit un risque mesuré.

Mais est-ce que vous pensez que ce serait souhaitable et qu'on pourrait imaginer un football sans jeu de tête?

Chez les enfants, oui, très facilement. Je pense qu'avant 12 ans, il n'y a pas forcément besoin de jouer avec la tête. C'est facilement envisageable sans. Ensuite, pour les adultes, c'est difficile d'imaginer le foot sans jeu de tête. Je pense qu'il faut simplement prendre certaines précautions. Éviter aussi le jeu de tête à répétition à l'entraînement lorsqu'il n'y a pas un besoin très important. Je pense que ça part dans les soins, l'anticipation et les protocoles qui doivent être mis en place pour retrouver les terrains dans des bonnes conditions et qu'il y ait un suivi qui soit fait aussi en transversal durant la carrière de chaque athlète individuellement.

Aujourd'hui, si vous pouviez interpeller les instances dirigeantes du football au niveau français, dès maintenant, qu'est-ce qu'il faudrait faire tout de suite?

Aujourd'hui, j'ai envie de leur dire de prendre des décisions qui sont assez simples, efficaces. L'idée, c'est vraiment de prendre le sujet, de le poser sur la table et d'avancer. On a des années et des années de retard sur le rugby. On a des années de retard sur d'autres ligue, comme la ligue britannique qui prend les devants par rapport à ça. Ce ne sont pas des mesures compliquées à prendre. Ce sont des mesures qui sont acceptées, qui prennent ensuite toute leur place dans l'écosystème du foot et qui deviennent en fait une norme. C'est légitime, donc il n'y a aucun risque à prendre soin des athlètes. Il y a certains moments où à l'entraînement, on travaille des situations où on répète le jeu de tête, alors que c'est compliqué de reproduire les conditions de match. Donc, il y a une bonne partie qu'on peut enlever. Après, ça fait partie du jeu. Donc, moi, mon but, ce n'est pas du tout de dire: "Il ne faut plus jouer avec la tête, c'est quelque chose de terrifiant..." Non, non, ce n'est pas du tout ça. L'idée, c'est vraiment cette prise de conscience sur les conséquences à court et long terme. Le plus grand danger étant aussi la répétition de commotion, sans avoir laissé le temps au cerveau de se régénérer. Et là, les conséquences peuvent être dramatiques.

Pourquoi, selon vous, les enfants doivent-ils être particulièrement protégés?

Pour plusieurs raisons. Déjà, leur cerveau est en plein développement. Donc, forcément, recevoir des impacts, ça a des conséquences négatives. Ensuite, parce que c'est facilement évitable. À huit ans ou neuf ans, il n'y a pas d'intérêt de travailler sur le jeu de tête. Donc, autant les préserver, autant les protéger. Il existe aussi maintenant du matériel: comme on utilise de façon répandue même obligatoire les protège-tibias, il existe aussi des protections au niveau de la tête qui peuvent être utilisées chez les enfants. Alors ça n'empêche pas à 100% les risques, ça c'est sûr. Mais il existe aujourd'hui du matériel ou des avancées technologiques qui peuvent petit à petit aider et protéger les plus jeunes. Aujourd'hui, et moi je l'ai très bien connu, chez les jeunes on apprend aux petits à encaisser les coups, à serrer les dents, à ne pas avoir mal, à se relever, ce qui peut être aussi une bonne chose. Mais concernant le jeu de tête, je ne vois pas d'aspect positif à ça. Il y a une différence entre se faire mal et se faire mal, c'est-à-dire que serrer les dents et continuer à avancer, c'est une chose. Encaisser des coups à la tête qui auront des répercussions et des conséquences directes sur la santé, c'est autre chose. Il faut bien sûr garder les valeurs du sport, mais le faire de façon cadrée, contrôlée, maîtrisée. C'est quelque chose qui, pour moi, en fait, sonne comme une évidence, qui va changer, mais qui est beaucoup trop lent dans la mise en place.

Qu'attendez-vous des instances dirigeantes?

Ça serait une aide précieuse et une avancée beaucoup plus rapide si les instances dirigeantes du football prenaient conscience de la situation et prenaient des décisions qui vont dans ce sens.

Vous, à votre échelle, qu'est-ce que vous essayez de mettre en place pour faire changer les choses?

Déjà, les prises de parole. Ensuite, au niveau local aussi, j'essaie de mettre en avant certaines pratiques qui peuvent protéger la santé des enfants. Et puis aussi, à travers l'association des stages Varane que j'ai mise en place il y a quelques années, c'est un sujet qui nous concerne. Au niveau de la formation, des formateurs, c'est quelque chose qui doit être appris et compris. C'est un besoin de transmission aussi qui est important chez moi.

Vos propres enfants jouent-ils au football?

Oui.

Et qu'est-ce que vous leur expliquez quand, par exemple, ils voient leurs idoles, ou même vous, faire des têtes sur des replays de matchs à la télévision et qu'ils ont envie de faire la même chose?

Très bien, je leur dis "allez-y ", mais bon, déjà, on va le faire pas forcément avec un ballon d'adulte très gonflé, ça, c'est sûr. Il y a certaines choses qui sont assez logiques. Et puis ensuite, bien sûr, ça fait partie du plaisir du jeu. Mais ce qu'il faut, c'est savoir qu'à leur âge, ils ne sont pas encore prêts à pouvoir enchaîner les jeux de tête. Et en fait, chez les enfants, quand on leur explique, c'est très bien compris. S'ils voient tous leurs copains faire des têtes, ils auront envie de faire des têtes. Maintenant, si c'est généralisé que le jeu de tête ne commence pas avant tel âge, ils l'acceptent sans problème, tout comme ils acceptent qu'ils jouent parfois à 7, à 9 ou à 11 sur le terrain. C'est quelque chose qui, une fois appliqué, est incontesté et incontestable.

Propos recueillis par Rachel Saadoddine