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Port-Saïd, symbole du mal égyptien

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La tension est montée d’un cran en Egypte après le drame de Port-Saïd (74 morts). L’étrange passivité des forces de l’ordre a interpellé l’opinion. Si la piste d’une manipulation de l’armée visant à mater les révolutionnaires est évoquée, d’autres préfèrent y voir l’illustration de l’immense désarroi de la population égyptienne. Décryptage.

En même temps qu’ils pleurent leurs morts, les supporters accusent. « Les forces de sécurité regardaient, mais personne ne levait le pouce », lance ainsi Mohamed Mellegi, frère d’une victime. Attaquant du club d’Al-Masri, Abdoulaye Cissé abonde : « On aurait dit que la sécurité n’existait pas. » Pourtant vainqueurs (3-1), les supporters locaux ont pris d’assaut leurs homologues d’Al-Ahly sans que personne n’intervienne. Connus pour leurs positions antimilitaires, les Ultras du champion d’Egypte, animateurs de la révolution arabe, auraient donc été les victimes d’une manipulation de l’armée, au pouvoir depuis la chute d’Hosni Moubarak le 11 février 2011.

S’il ne verse pas directement dans la théorie du complot, Henri Michel, ancien sélectionneur du Maroc et grand connaisseur du football africain, s’étonne que le drame ait pris une telle ampleur. « Des matchs à risques, c’est très courant en Egypte, souligne-t-il. Mais jamais un drame comme ça n’était arrivé. Même pour Algérie-Egypte, où les tensions étaient extrêmement graves. » Mathieu Ropitault, grand reporter pour le magazine Yards, qui a suivi les supporters égyptiens, va plus loin : « Ce n’est pas le fait du hasard quand il y a 70 morts, ça dépasse le cadre sportif. Ce n’est pas une opposition entre deux clans de supporters ».

« Le peuple égyptien est perdu »

Au lendemain du drame, des têtes sont tombées. D’abord, celle d’Essam Samak, le directeur de la sécurité de Port-Saïd. Le gouverneur de la ville Ahmed Abdullah a annoncé sa démission quelques heures plus tard. Dans la matinée, le Premier ministre égyptien Kamal al-Ganzouri a annoncé devant le Parlement le limogeage du président et des membres du conseil de la Fédération égyptienne de football. La bourse du Caire a tremblé, accusant au plus fort de la journée une chute de 5% pour finalement clôturer à -2,2%, ultime signe du désordre généralisé qui semble guider l’Egypte depuis un an.

Directeur des Cahiers de l’Orient, Antoine Sfeir refuse de voir dans ce drame la « main invisible de l’armée » mais plutôt le désarroi de la population égyptienne. « L’armée n’a pas reçu d’ordre, c’est ça le drame, juge ainsi Sfeir. Le peuple est perdu. Il a le choix entre les Frères musulmans ou l’armée islamiste. Les jeunes qui ont lancé la révolution ne sont dans aucun de ces camps. Aujourd’hui, ils sont paumés. Il y a un vide et il faut le remplir. » Pour s’exprimer, le peuple n’a guère d’autres choix que la rue ou les stades de foot…