Pourquoi c'est peut-être le début de la fin de la Ligue de football professionnel

"Nous donnons cette possibilité à la Fédération de supprimer la Ligue qui a montré toutes ses défaillances depuis quelques mois." La phrase de Laurent Lafon claque dans les couloirs du Sénat après son point presse pour présenter sa proposition de loi relative à l’organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel. Sur 16 pages, le document prévoit de nouvelles dispositions qui reposent sur trois volets : la gouvernance, le contrôle financier et le piratage. Mais un article particulier, décrit au Sénat comme "une petite bombe", retient l’attention car il permettrait de modifier en profondeur la gouvernance globale actuelle. Il s’agit de l’article 2. Pour la toute première fois, il donne la possibilité à la fédération de retirer la subdélégation octroyée à la Ligue pour gérer les championnats professionnels.
Parmi les conditions à remplir pour que cela arrive figurent notamment des "difficultés sérieuses de financement des activités sportives à caractères professionnel des associations qui lui sont affiliés et des sociétés sportives". En clair, dans l’esprit du sénateur, l’état catastrophique des finances des clubs justifierait à lui seul que la FFF reprenne la main. Dans cette hypothèse, tous les biens de la Ligue dissoute seraient alors transférés à la fédération.
La FFF alignée avec cette proposition de loi
"C’est novateur et clairement une rupture avec le modèle de gouvernance actuel » réagit-on à la FFF. "Pour la première fois, une loi permettrait d’envisager un interface direct entre une fédération et une société de clubs". La perspective, rendue possible par cette proposition de loi, serait de voir effectivement la FFF récupérer une grande partie des prérogatives de la Ligue tout en laissant la société commerciale gérer les questions économiques notamment la commercialisation des droits TV. "Mais on peut aussi envisager que la FFF laisse à la société commerciale certaines prérogatives d’organisation du championnat comme cela se fait en Angleterre entre la FA et la Premier League. Aujourd’hui on a un mariage à trois : Ligue, société commerciale et FFF. Les mariages à 3 c’est compliqué en général. L’idée c’est de retrouver un mariage à deux avec la fédération et la société commerciale", poursuit-on à la FFF, qui se dit satisfaite par cette démarche des sénateurs. Elle vient en effet accompagner celle du président Philippe Diallo qui espère aboutir à des réformes après le lancement de ses Etat Généraux du foot professionnel. "On a toujours dit qu’on prendrait nos responsabilités quelque soit les conclusions des groupes de travail que l’on a constitués avec les présidents de clubs. Mais cette proposition de loi est clairement un message qui leur est envoyé. Si vous ne proposez rien, une proposition de loi est prête."
"Une agression caractérisée contre la Ligue et ses dirigeants" selon la LFP
Du côté de la Ligue, inutile de dire que l’on n’a pas sauté de joie à la lecture de ce projet de loi. "Alors, il y a le fond et la forme", répond-on dans les couloirs du siège de la LFP au 34 boulevard de Courcelles à Paris. "Sur le fond, la possibilité d’avoir un modèle alternatif est plutôt intéressant. Tendre vers le modèle anglais peut avoir du sens. Mais ensuite il y a la forme. Et là, c’est clairement une agression caractérisée contre la Ligue et ses dirigeants. C’est brutal. Et puis ça court-circuite totalement l’initiative de la FFF avec les groupes de travail."
Après avoir décrypté en détail le texte de Laurent Lafon, la LFP dit ne retenir que deux éléments concrets intéressants: le renforcement de la lutte contre le piratage avec la création de nouveaux délits pour les diffuseurs de flux illégaux. Et la nouvelle possibilité de commercialiser les droits TV en un seul lot ce qui permettra à l’avenir de vendre les droits de tous les matchs à un seul et même acteur. Le consommateur en ressortirait grand gagnant. "Tout le reste, c’est juste pour dire que la Ligue ce sont les méchants", déplore-t-on à la LFP. "A-t-on vraiment besoin de cette loi dans le contexte actuel? Nous n’avons qu’un seul problème aujourd’hui, un seul. C’est l’exploitation de nos droits domestiques et le positionnement de DAZN dans les mois à venir. L’unique sujet des clubs concerne leur trésorerie. Vont-ils bien toucher leur argent? Il faut arrêter de croire que cette loi pourrait solutionner cette question et nous apporter des diffuseurs sur un plateau."
"C’est le sens de l’histoire" pour CVC
Ce projet de loi n’impactera en rien l’existence de la société commerciale LFP Médias dont 13% du capital sont actuellement détenus par CVC après avoir investi 1,5 milliard d’euros. "La société commerciale a été voulue par la Ligue. Elle existe. On ne va pas la supprimer. C’est impossible désormais compte tenu des engagements financiers de CVC", précise Laurent Lafon qui pointe du doigt un certain trouble qui règne en terme de gouvernance. "Qui a décidé de l’attribution des droits TV? Est-ce l’organe de gouvernance de la société commerciale censée les commercialiser ou le conseil d’administration de la Ligue? C’est confus. Si la société commerciale peut gérer toutes les questions liées aux droits tv et aux revenus commerciaux et la fédération le régalien et l’organisation des compétitions, à quoi sert la Ligue?"
Qu’en pense CVC qui s’est engagé en 2022 dans un contexte législatif bien précis en passe d’être modifié? Selon une source proche du fonds d’investissement, CVC aspire à une gouvernance plus efficace. "Le fonctionnement actuel a un peu vécu. Il est clair que les dirigeants actuels sont fragilisés et ont du mal à contrôler leur écosystème. Si cela permet d’avoir une organisation plus simple, plus efficace, moins politique, avec des contacts directs avec les clubs, ça ne peut être qu’une bonne chose pour CVC. L’échelon Ligue a du mal à justifier sa plus-value aujourd’hui. C'est le sens de l'histoire." Si la FFF venait à récupérer plusieurs des prérogatives de la LFP, que sa voix dans la gouvernance de LFP Médias devenait délibérative (comme le prévoit le projet de loi) et non plus consultative (comme aujourd’hui), des discussions devraient s’engager avec CVC pour éviter toutes menaces sur les intérêts du fonds. "Ce serait de la plomberie mais rien de bloquant", rassure-t-on dans l’entourage de CVC.
Une adoption possible quelque semaines avant l’éventuelle activation de la clause de sortie de DAZN
D’ici un mois, les groupes de travail de la FFF devraient livrer leurs recommandations. Certaines pourraient être intégrées à un projet de réforme. Les sénateurs se disent d’ailleurs prêts à amender leur projet de loi avec des propositions venant de la FFF ou des clubs. Dans les prochaines semaines, un nouveau patron de LFP Médias sera nommé. « Un gros calibre qui connait bien la matière du football et sa commercialisation », selon une indiscrétion. Puis à la mi-mai le projet de loi de Laurent Lafon sera étudié par le Sénat avant de partir à l’Assemblée Nationale. Une adoption définitive par le Parlement pourrait intervenir au plus tôt à l’automne soit quelques semaines avant la date permettant à la Ligue et DAZN d’éventuellement mettre fin à leur collaboration à l’issue de la saison 2025-2026. De quoi acter, peut-être, la fin de l’organisation actuelle du football professionnel.