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Lampard, la retraite d'une légende mésestimée

Frank Lampard

Frank Lampard - AFP

Observateur avisé de la Premier League, chroniqueur pour SFR Sport et pilier de l'After Foot, Philippe Auclair revient pour RMC Sport sur la retraite sportive de Lampard, annoncée par la légende de Chelsea jeudi.

Lampard – et métier. Je vous accorde que le jeu de mots est un peu poussif. Il me semblait néanmoins un bon raccourci pour rendre hommage à un joueur hors-norme, non pas par son talent, mais par ce qu’il a accompli avec, et qui est tout simplement énorme, alors que Lampard n’était pas né avec le pied gauche de Maradona, le génie de Bergkamp ou le physique de Cristiano Ronaldo. Son palmarès et ses statistiques devraient faire rougir bien des footballeurs sur les berceaux desquels s’étaient penchées des fées bien plus généreuses que les siennes. Je n’ai pas besoin de vous en donner le détail. Il n’a pas seulement tout gagné avec Chelsea; sans lui, Chelsea n’aurait jamais collectionné autant de titres. Un passager, jamais. Aux commandes, toujours, capitaine sans brassard, Mr Chelsea tout autant que John Terry.

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Un ami m’avait glissé cette phrase vacharde lorsque nous parlions de lui du temps de sa splendeur, en 2005, quand la FWA, l’association des journalistes de football anglais, en fit son Footballer of the Year. “Lampard ne sait du football que ce qu’on peut en apprendre”. Je l’ai souvent reprise depuis, pour en faire un hommage. Car si c’est exact, le ballon n’a pas eu beaucoup de meilleurs élèves. Il est vrai qu’apprendre était quelque chose qu’il avait dans le sang, y compris quand il étudiait le latin à Brentwood School, dont il sortit avec l’équivalent d’un bac avec mention ‘très bien’.

Lampard, magnifique artisan

Lampard ne fut pas un artiste, mais un artisan, Haydn plutôt que Mozart; et des chemins qui mènent à la beauté, celui du travail n’est pas le moins noble. Et qui a davantage travaillé que lui, le fils de son père (Frank Lampard Senior) qu’on regardait un peu de travers quand il avait percé à West Ham? Il venait d’un milieu privilégié, tant par le confort dans lequel il avait grandi que par l’éducation qu’il avait reçue et les relations dont il disposait avant de faire du football une profession, un métier qu’il exerça vingt-et-un ans avec le sérieux d’un maître. “Un diesel équipé d’un moteur de Rolls”, dit (ou à peu près) José Mourinho de lui après qu’il eut établi un nouveau record du nombre de matchs joués consécutivement – cent-soixante-quatre -, sans jamais s’économiser.

On pourrait d’ailleurs trop insister sur ce que son jeu devait à sa discipline de vie, à la rigueur de son approche du métier de footballeur, aux exercices répétés à l’entraînement (et, dans son cas, longtemps après que ses coéquipiers étaient remontés dans leur Porsche). J’ai souvenir d’une séance dont j’eus la chance d’être témoin à Cobham, juste avant l’inoubliable finale de la Ligue des champions de 2012, pour laquelle il avait été promu capitaine. Sans Lampard, d’ailleurs, le Bayern aurait eu un autre adversaire que les Blues ce soir-là dans son Allianz Arena. C’est lui qui avait chipé le ballon à Lionel Messi pour lancer le contre grâce auquel Chelsea l’avait emporté 1-0 à Stamford Bridge lors de la demie-finale aller. Lors du match-retour au Camp Nou, c’est sa passe qui avait donné à Ramires une balle de but juste avant la mi-temps, plaçant virtuellement Chelsea en finale, vengeant au passage le scandale de 2009…mais bref.

Sous une pluie battante, je regardai l’équipe de Di Matteo se préparer à la finale de Munich. On en était aux petits jeux, six contre six. Le ballon parvint à Lampard sur le côté droit. Sur l’herbe glissante, sans prendre le temps de le contrôler, il exécuta un centre au cordeau – grâce à un coup du foulard que n’aurait pas renié Ricardo Quaresma. Dur à la tâche, je veux bien; ‘tâcheron’, à d’autres. Pour quiconque en douterait, se reporter au deuxième des ses buts dans la fameuse victoire 4-2 de Chelsea contre le Bayern, en avril 2005. Bellissimo. Ou à celui inscrit d’un angle impossible contre Barcelone un an plus tard, après une pirouette de 360 degrés. Ce ne peut être un hasard si ses gestes les plus mémorables furent accomplis lorsque l’enjeu était le plus grand. Curieusement, pourtant, je ne suis pas sûr que le nom de Frank Lampard viendrait immédiatement à l’esprit d’un sélectionneur du Onze Mondial des années 2000. Mais Lampard ne fut jamais un showman, ou alors, c’était lorsque les caméras n’étaient plus sur la ligne de touche, comme lorsqu’il fit sa rabona à Cobham, croyant que tous les journalistes avaient levé le camp.

Le meilleur de ce qu'il pouvait être

On objectera qu’un joueur comme celui-là aurait dû accomplir bien plus avec sa sélection que ce fut le cas. C’est vrai que l’équipe d’Angleterre avec laquelle il joua cent-six fois ne gagna pas le grand titre qu’elle avait les moyens de remporter. Je pense à celle que Sven-Göran Eriksson put aligner contre le Portugal le 24 juin 2004, en quart de finale de l’Euro…le jour de mon anniversaire, au passage; elle avait de la gueule; elle aurait dû gagner ce tournoi. 2-2 score final, après que Lampard avait égalisé à cinq minutes de la fin de la prolongation. Ah, si Rooney, blessé, n’était pas sorti à la demie-heure de jeu…si Beckham n’avait pas loupé son tir au but, le premier de la série…

Voici quel était ce onze, le plus talentueux que l’Angleterre aie possédé depuis le Mondial de 1970. James, Gary Neville, Terry, Campbell, Ashley Cole, Beckham, Lampard, Gerrard, Scholes, Owen, Rooney. Maintenant que Lampard s’est effacé de la scène, ils ne sont plus que trois à continuer de jouer, douze ans et demi plus tard: Cole, Terry et Rooney. Bref, il ne restera bientôt pas plus de survivants de cette Golden Generation que de la Grande Guerre, et on continuera de parler d’un échec. Lampard n’en porte pas la responsabilité. Ce n’est pas de sa faute si l’un de ses plus beaux buts, qui aurait pu être le plus important de tous (contre l’Allemagne, à la Coupe du monde de 2010), fut refusé par un arbitre incompétent. Le pseudo-débat ‘Gerrard et Lampard ne peuvent pas jouer ensemble’ occulta cette évidence: l’un comme l’autre firent toujours honneur à leur maillot. Le joueur de Chelsea finit sa carrière internationale avec un bilan – inouï pour un milieu de terrain – de 29 buts en 108 matchs, soit presque un but toutes les trois rencontres, quasiment au même rythme qu’avec Chelsea (211 en 648).

Cherchez le défaut de la cuirasse. Cherchez encore. Vous ne le trouverez pas. Il n’est pas donné à tout le monde d’être un George Best, et Lampard ne prétendit jamais faire partie de cette race-là. Toute grande carrière a des auteurs multiples, et la sienne ne fait pas exception à cette règle. La différence est que, sans être ‘le meilleur’, il fut le meilleur de ce qu’il pouvait être, et d’abord grâce à lui-même.

Philippe Auclair