RMC Sport

Philippe Auclair: Mourir d’espoir à Arsenal

Le joueur d'Arsenal Alexis Sanchez caché par Kolarov de Manchester City

Le joueur d'Arsenal Alexis Sanchez caché par Kolarov de Manchester City - AFP

Fin connaisseur de la Premier League, intervenant régulier sur RMC et SFR Sport, Philippe Auclair nous offre toutes les semaines un éclairage sur le foot anglais. Et cette fois, c’est Arsenal et son cortège de désillusion qui prend.

Ayons une pensée pour les supporters des Gunners après la défaite sur le terrain de Manchester City (2-1). “Ce n’est pas le désespoir, Laura. Le désespoir, je peux faire avec. C’est l’espoir que je ne peux pas supporter”

Cette réplique du film Clockwise, signée John Cleese, beaucoup de supporters d’Arsenal seraient tentés d’en faire leur épitaphe après ce week-end. Avec, au-dessus, une inscription du genre: “Ci-gît X, qui commit, non pas une, mais dix fois, l’erreur fatale d’y croire”.

Pardon, pas dix fois, mais treize, puisque cela fait treize ans que le nom des Gunners n’a pas été gravé sur le socle du trophée de la Premier League.

Pas encore en 2016-2017 que les mots ‘Arsenal’ et ‘champion’ seront placés côte-à-côte dans une même phrase.

Le plus souvent, c’est en novembre, le mois des brumes, qu’Arsenal a le nez bouché et que ses résultats s’enrhument. C’est parfois plus tard, à l’approche du printemps, quand se profilent ces maudits huitièmes de Ligue des Champions. Cette fois-ci, histoire de varier les déplaisirs, c’est en décembre, quand on s’y attendait beaucoup moins que d’habitude, vu la série de quatorze matchs sans défaite qui précéda le désastre de Goodison, lequel annonçait la catastrophe de l’Etihad, lequel garantit, à moins qu’une pluie de météores anéantisse Stamford Bridge, l’Etihad et Anfield (voire White Hart Lane et Old Trafford), que ce n’est pas encore en 2016-2017 que les mots ‘Arsenal’ et ‘champion’ seront placés côte-à-côte dans une même phrase.

Je suis le premier surpris d’avoir à écrire ceci. Je croyais sincèrement que la glissade face à Everton servirait d’avertissement à une équipe qui a le défaut de se croire un peu trop belle depuis un bout de temps. Les excellents résultats des Gunners contre City au cours des trois dernières saisons appuyaient cette évaluation – trois nuls, trois victoires, zéro défaite, cela devrait inspirer confiance, non? Et tout le monde a droit à un faux-pas comme celui de Goodison, au ‘jour sans’, à l’erreur. Et puisque je parle d’erreur, autant en donner un exemple a contrario, pour montrer combien elles peuvent servir: celle commise par Antonio Conte la semaine précédant la défaite 0-3 des Blues à l’Emirates.

L’exemple de Chelsea

Tâtillon à l’extrême, l’Italien n’avait cessé d’interrompre ses exercices à l’entraînement. Il cherchait une équipe, il se cherchait, il avait perdu son intensité. Les jeux étaient trop hachés. Conte avait, en quelque sorte, ‘dépréparé’ son effectif à l’approche d’un des matchs les plus importants de la saison…croyait-on alors; et il le fut sans doute, d’ailleurs, mais autrement, puisque c’est dans le dernier quart de cette rencontre que les Blues passèrent en 3-4-3.

Après cette défaite, les joueurs de Chelsea s’ouvrirent de leur malaise (qui n’était en rien une révolte) à leur manager, et celui-ci eut la lucidité de prendre en compte leur avis. Le changement tactique, visible de tous, s’accompagna d’une modification de l’approche des entraînements, cachée de tous, sauf de ses acteurs. C’est de la confidence faite par l’un de ceux-ci à un ami en qui j’ai toute confiance que je tiens l’anecdote.

Les choses ne se sont visiblement pas passées de la sorte à London Colney, le QG-forteresse de Wenger. Ce que nous avons vécu à l’Etihad était en fait la répétition exacte de ce que nous avions vécu cinq jours plus tôt, à cinquante kilomètres de là. Arsenal ouvre la marque, domine, contrôle, joue à sa main, sans forcer. Ce qui est un problème en soi, d’ailleurs; même quand on ‘gère’, on doit ‘gérer’ à 100% de ses moyens, pas à 60.

Arsenal incapable de hausser le rythme

Puis l’adversaire se rebiffe, égalise. En toute fin de première période à Goodison, en tout début de seconde à l’Etihad. Bloqués en troisième vitesse, les joueurs de Wenger qui roulaient pépère sont incapables de hausser le rythme. Rien ne sert de se plaindre que la voiture qu’on avait dans le rétroviseur a franchi la ligne jaune pour vous dépasser; ce qui, dans ce cas, signifie se plaindre de ce que les arbitres anglais sont ‘protégés comme des lions au zoo’, pour reprendre l’étonnante image de l’entraîneur d’Arsenal. That’s football, man.

Certes, Leroy Sané était hors-jeu de quelques centimètres lorsqu’il reçut la passe de David Silva pour le but du 1-1 (voir la vidéo ci-dessous).

Et alors? Laurent Koscielny l’était d’un mètre lorsqu’il marqua le but du 1-0 dans le temps additionnel contre Burnley en octobre dernier.

Et Arsenal avait largement le temps et (pensait-on) les moyens de réagir contre une équipe de City privée de Fernandinho, Agüero et Gündogan. Au lieu de quoi ce sont les Citizens qui prirent le contrôle de la rencontre, comme Everton l’avait fait cinq jours plus tôt, et l’emportèrent sur un score identique, 2-1, et tout aussi équitable. Si Wenger peinait tant à trouver des excuses, c’est qu’il était le premier à savoir qu’il n’y en avait pas de valables. Ni l’arbitrage, ni la répétition des matchs à l’extérieur, ni les absences de quelques joueurs ne pouvaient justifier une capitulation de ce type – la seconde en une semaine, dois-je répéter.

Déficit de désir

On parlera de la fragilité de l’effectif de Wenger. Le mot ne me convainc guère. Il s’agit de joueurs d’expérience – fini, le temps des baby Gunners qui amusaient tant Patrice Évra. Il y a des champions d’Angleterre, de France, d’Espagne, d’Europe, d’Amérique du sud et du monde dans cet effectif, des winners, pas seulement l’irréprochable et irremplaçable Alexis. Quelques-uns disparurent complètement de la pelouse, comme Mesut Özil et Theo Walcott après qu’il eut inscrit un but qui promettait tout autre chose.

Ce n’est pas de la fragilité, cela. La fragilité, c’est ce qui avait fait se briser l’élan d’Arsenal en 2007-08 après un 2-2 cauchemardesque à Birmingham. A l’Etihad, comme à Goodison, ce n’était pas de la ‘fragilité, non, c’était un manque d’envie, un déficit du désir qui habitait Leroy Sané, Raheem Sterling, et surtout David Silva et Kevin De Bruyne, tous deux exceptionnels.

Cela a quelque chose d’incompréhensible.

C’est comme si, pour cette équipe, il valait mieux ne pas espérer. Quand on espère, on tente, et on tente encore. Les supporters, eux, sont incapables de ne pas espérer.

Et vous savez quoi, c’est aussi ça qui fait les grands joueurs, et les grandes équipes: l’espoir.

La veille, à 10 contre 11 avant la demie-heure de jeu, victime de multiples erreurs d’arbitrage, menée 2-0, celle de Leicester n’a jamais cessé d’espérer, et en a été récompensée. C’est pour cela que Leicester est devenu champion, et nous réserve encore un ou deux coups à sa façon d’ici la fin de la saison.

Arsenal? On l’espérait. On l’espère toujours. Mais rappellez-vous ce que disait John Cleese…

Philippe Auclair