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Tragédie dans un stade en Indonésie: pourquoi le championnat indonésien est l'un des plus dangereux au monde

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Le drame qui a couté la vie à au moins 125 personnes ce samedi dans un stade en Indonésie n'est malheureusement pas le premier qui secoue le pays, habitué aux affrontements ultra-violents entre ses supporters. Le championnat indonésien est qualifié comme "l'un des plus dangereux du monde" et avait déjà couté 95 personnes entre 2005 et 2018.

"L'une des ligues les plus dangereuses du monde." Telle est la description faite du championnat indonésien par le média australien ABC, qui a infiltré les rangs des groupes ultras (violents) d'Indonésie. "Le football est une raison de vivre, mais aussi une raison de tuer", prévient le documentaire dès les premières phrases.

95 supporters morts en 13 ans avant le drame

Au total, pas moins de 95 supporters sont morts dans des violences liées au football entre 2005 et 2018, comme l'avance la fédération indonésienne de football elle-même. Un chiffre qui n'a pas été mis à jour depuis, mais qui ne cesse d'augmenter. En tribunes, le refrain "Sampai mati", qui signifie "Jusqu'à la mort", est très fréquemment repris par les supporters de tout le pays. Et il semblerait que certains le pensent vraiment.

Au sein de cette ligue qui comporte 18 équipes, la rivalité féroce entre le Persija Jakarta et le Persib Bandung est celle qui attise le plus de violences, et de morts. Certains pensent qu'il s'agit d'un moyen de combattre de vieilles guerres tribales. D'autres disent que c'est dû au fait que les villes sont géographiquement proches l'une de l'autre - seulement quatre heures de route, un voyage rapide selon les normes indonésiennes.

Un jeune de 23 ans linché à mort en 2018

Une rivalité qui est allée beaucoup trop loin un soir de septembre 2018. Haringga "Ari" Sirla, un supporter de l'équipe de Jakarta, a été linché à mort par des supporters de Bandung. Le jeune membre du fan club officiel Jakmania s'était rendu à Bandung pour assister au match de son équipe en toute discrétion, les supporters de Jakarta étant alors interdits d'accès au stade. Pensant entrer au stade incognito, il est finalement identifié par des locaux et battu à mort.

Après le lynchage, le corps sans vie de Sirla a été trimballé dans la foule alors que ses agresseurs criaient : "Dieu est grand !" Tout l'épisode macabre a été filmé sur un téléphone portable et largement partagé en ligne, suscitant l'indignation du pays. "Les gens m'ont dit qu'il avait été poignardé, que sa tête était fracturée, que son cou était brisé, que son nez était cassé. Comment puis-je ne pas y penser tous les jours ?" témoigne sa mère.

"Le football indonésien est devenu un cimetière, pas un divertissement"

Après le meurtre de Sirla, la Premier League locale a été suspendue pendant deux semaines et les supporters de Bandung ont été interdits d'assister aux matchs. Mais la violence et les comportements agressifs se sont poursuivis pendant le reste de la saison. Un incident grave qui fût l'une des raisons du changement de président à la tête de la fédération, sans que les décès liés au foot ne cessent de s'accumuler.

Dans les colonnes de ABC, Akmal Marhali, qui dirige l'ONG locale Save Our Soccer (SOS), affirme que le football indonésien est "devenu un cimetière, pas un divertissement". Selon lui, ces tueries qu'il décrit comme une "tradition" entre les supporters de Jakarta et de Bandung durent depuis bien trop longtemps. "C'est en partie une revanche des événements passés ; lorsque Persib a joué sur le terrain de Persija, quelqu'un est mort. Lorsque Persija a joué dans le stade de Persib, quelqu'un est mort", se désole-t-il. Deux ans avant le décès de Sirla, Muhammad Rovi Arrahman, 17 ans, fan de Persib, avait été battu à mort par des membres de Jakmania.

Le football, symbole d'une société violente

Les explications à cette violence endémique dans le football indonésien seraient à trouver dans une société marquée elle-même par la violence: la brutalité du génocide indonésien de 1965-66, la répression cinglante du régime autoritaire de Suharto entre 1967 et 1998 ou l'abandon des plus pauvres par les gouvernements qui ont succédé à l'autocrate.

Devant se débrouiller par eux-mêmes dans un pays connaissant un fort taux de chomâge, certains ont alors rejoint des groupes de supporters pour lutter contre l'isolement mais aussi être entourés en cas de difficultés. These Football Times raconte par exemple que dans Manggarai, un quartier populaire surpeuplé de Jakarta, le groupe Jakmania recrute facilement, circulant de bidonvilles en bidonvilles. Le groupe qui compte plus de 100.000 membres, comme beaucoup d'autres groupes de supporters dans ce pays comptant 200 millions d'habitants, revendique même ce territoire laissé pour compte. Des milices aux couleurs du club y patrouillent régulièrement.

Des groupes de supporters paramilitaires

L'appartenance à ces groupes presque paramilitaires, qui entraînent ses membres à "rester en vie" (et se battre) lors des matchs de foot, permettrait aux plus démunis d'obtenir une certaine reconnaissance et réputation, une forme d'identité que la société ne veut pas lui donner. Ces groupes de supporters décrits parfois comme des "gangs" deviennent des vecteurs d'intégration, dépassant largement le cadre du football.

Si les conditions de vie constituent une partie du contexte violent, représenté ensuite dans le football, la corruption qui gangrène la vie indonésienne touche également le football. La fédération indonésienne de football d'Indonésie est sujette aux pots-de-vin et au copinage, avec des intentions plus liées à la politique qu'au football. Plusieurs affaires de corruption très médiatisées ont déjà révélé l'ampleur du phénomène. La FIFA avait même suspendu la PSSI pendant deux ans pour des ingérences avec le gouvernement. L'instance du football mondial avait également accusé la PSSI de ne plus contrôler le football au sein de l'Indonésie.

En réponse à ces accusations et aux multiples morts de supporters, le gouvernement avait renforcé le maintien de l'ordre et la sécurité lors des matchs. Mais les détracteurs critiquent le manque de ressources mises par l'État pour vraiment mettre fin à ces violences et estiment qu'il n'existe pas une vraie volonté de pacification du football indonésien, dans la mesure où les tribunes des stades sont peuplées essentiellement par les classes populaires.

Anna Carreau