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"Imaginez qu'on vous enlève ce que vous aimez le plus": le préparateur physique de Paul Pogba raconte ses huit mois de souffrance et de travail

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Roger Caibe Rodriguez, préparateur physique vénézuélien, s'est occupé de remettre Paul Pogba sur pied pendant huit mois à Miami. Après la signature du milieu de terrain de 32 ans à l'AS Monaco, il raconte les dessous de la remise en forme

Roger Caibe Rodriguez, l'AS Monaco a sorti samedi la vidéo de la signature où on voit Paul Pogba pleurer. Qu'avez-vous ressenti en la regardant? 

Quand je l'ai vu, j'ai pleuré aussi. Oui j'ai pleuré, de joie, vraiment. Depuis que je connais Paul, je ne l'ai jamais vu aussi triste. Ce n'est pas quelqu'un qui pleure facilement. Et pour lui, ressentir ce moment de joie, c'était comme si tout son travail avait été récompensé. Des heures d'entraînement seul, des heures d'entraînement dans la chaleur, le froid ou la pluie, sans excuse. C'était lui qui se disait: "Je peux le faire, je peux le faire, je peux le faire." Et j'étais si heureux de voir qu'il y parvenait et qu'il allait revenir au football, ce qu'il aime le plus au monde, après sa famille.

Pensez-vous que ces dernières années de galères, entre sa suspension et la tentative d'extorsion dont il a été victime, lui sont revenues en tête au moment de signer? 

Oui, les deux années précédentes, mais plus encore. Imaginez qu'on vous enlève ce que vous aimez le plus. Son travail, son plaisir, on les lui a enlevé. C'est comme un enfant qui aime le foot et le sport, imaginez qu'on lui retire son jouet. On lui a enfin rendu et c'est pour ça que je trouve ça joyeux.

Vous avez passé huit mois avec lui: quel était son état physique lorsque vous avez commencé à travailler avec lui ?

Écoutez, il n'était pas trop mal physiquement, mais on voyait qu'il était en arrêt de travail depuis un moment, qu'il ne s'était pas entraîné. Et j'imagine qu'il gérait des affaires personnelles, professionnelles, des choses qu'il devait faire à côté. Quand je l'ai vu, il n'était pas au meilleur de sa forme, mais pas non plus dans un terrible été. Ce n'est pas qu'il était en surpoids ou quoi que ce soit du genre, mais il n'était certainement pas dans sa forme actuelle. Et mentalement, je ne savais pas exactement ce qui lui était arrivé. J'avais entendu parler de l'affaire de dopage, mais je ne savais rien d'autre de sa vie privée, et il ne m'a jamais montré de tristesse, de douleur ou quoi que ce soit de ce genre. C'était toujours quelqu'un d'extrêmement joyeux, donc mentalement, je pense qu'il allait très bien.

Et de quoi avait-il le plus besoin? Sur quoi a-t-il le plus travaillé?

Eh bien, après une année sans activité physique, pas seulement pour lui, mais tout le monde, le corps commence à se déséquilibrer. Pour un joueur comme lui, qui a disputé 500 matchs professionnels, le corps n'est pas celui d'un enfant. Il est plus fragile. Il a eu des blessures par le passé, nous avons donc dû équilibrer toutes les articulations une par une, en renforçant le corps avec beaucoup de soin pour éviter les blessures, maintenant comme à l'avenir. Du coup, nous avons commencé à travailler beaucoup la force des jambes, la force abdominale, la force du haut du corps et une grande mobilité pour qu'il ait une grande amplitude dans tous ses mouvements. 

Ensuite, nous avons commencé à travailler le cardio, à nous développer. D'abord à la salle de sport, puis sur le terrain. Petit à petit, nous avons gagné en confiance, surtout parce qu'on ne va pas apprendre à un joueur comme lui à jouer au football. Donc on a travaillé pour qu'il retrouve confiance en son corps, pour qu'il se sente bien, avec beaucoup de travail aérobique, de vitesse, de sprint, de sprints à grande vitesse, de changements de direction, beaucoup de travail avec le ballon et de la récupération. On l'a ensuite fait jouer à 4 contre 4, 3 contre 3, il avait le sentiment d'appartenir à une équipe.   

Certains observateurs estiment qu'il est encore plus affûté que lors des derniers matchs officiels qu'il a disputés... 

Physiquement, il est incroyable. Il mesure presque deux mètres, est incroyablement fort, très rapide sur ses jambes, il a l'air vif, fort et préparé. Je pense qu'il va rejoindre l'équipe maintenant, trouver son rythme et que si tout continuer à bien se passer, il peut atteindre le plus haut niveau.

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Est-il à l'écoute de son corps?

Absolument. Il est très professionnel, il écoute, il sait quand il ressent quelque chose et il sait très bien le communiquer. C'est un athlète professionnel, quelqu'un qui comprend ce qui se passe à tout moment et pourquoi. C'est formidable d'agir en fonction de son ressenti pour se sentir mieux. J'ai travaillé avec près de 300 athlètes professionnels, mais aucun ne lui ressemble.

A-t-il vécu des moments difficiles, de doutes, pendant ces huit mois?

Je pense qu'il n'a jamais douté de lui-même ni de sa capacité à savoir ce qu'il allait faire. Les doutes changent en fonction de choses qu'on ne contrôle pas, mais honnêtement, je ne pense pas. On n'en a jamais parlé mais je n'ai jamais remarqué qu'il était déprimé. C'était une personne heureuse, stable et déterminée, avec un objectif en tête.  S'il y avait une difficulté, il savait ce qu'il devait faire pour y remédier. C'était comme s'il ne se sentait jamais mis au défi par quoi que ce soit. Il se disait: "Je vais le faire, c'est tout."

Pensez-vous qu'il sera capable de retrouver rapidement son rythme avec le ballon, au sein d'un collectif? 

Oui, je pense que c'est comme faire du vélo. Je pense que dès qu'ils le mettront aux côtés de bons joueurs de haut niveau, il brillera encore plus. Je pense que c'est un athlète plus intelligent maintenant. Il voit le football différemment, et il l'a dit.  Je pense donc que le rythme va reprendre et que nous verrons un footballeur un peu plus différent, voire meilleur.

Qui étaient les joueurs qui l'entouraient pendant sa préparation?

Il y avait des joueurs qui ont joué en France, en MLS, en Italie, en Espagne. Nous avons pu l'en tourer de joueurs de très haut niveau. Paulo Dybala est passé pour se remettre d'une blessure. Ils s'entraînaient donc dans le même environnement, mais pas ensemble, car ils étaient tous deux à des stades de développement différents. Parmi les joueurs qui l'entouraient, vous connaissez peut-être Amir Richardson (Fiorentina, ex-Le Havre ndlr). Claude Dielna, qui a joué en MLS et qui est français. 

Qu'est ce qui rendait Paul différent des nombreux athlètes avec qui vous avez pu travailler sur ces 13 dernières années?

Il y a des joueurs ou des athlètes à qui il faut dire ce qu'ils font mal, et pas seulement ça. Il faut leur expliquer comment bien faire. Il y a des joueurs professionnels qui ont beaucoup de talent mais pas les habitudes des athlètes professionnels. Paul était différent en tous points. C'était quelqu'un qui semblait concentré à 100 % dès son arrivée à la salle de sport. Il ne touchait jamais son téléphone, ne le regardait jamais, ne semblait jamais distrait, toujours parfaitement concentré, sachant pourquoi il faisait ça et ce qu'il devait faire. Et puis, avec les autres joueurs, il faut peut-être les distraire, essayer de les amuser, leur parler de certains sujets. Pas lui. Il se mettait toujours au travail sans hésiter. Avant l'entraînement, il se comportait déjà comme un professionnel à la maison avec sa famille, notamment pour les repas. Il arrivait, s'entraînait, allait prier, mangeait à nouveau. Ensuite, il faisait de la récupération comme une thérapie de contraste ou un caisson hyperbare, n'importe quoi pour remettre son corps sur les rails et pouvoir s'entraîner à son meilleur niveau le lendemain. A côté de ça, ce n'est pas quelqu'un qu'on voit dehors le soir, la nuit. Je pense donc que c'est ce qui le distinguait : je n'ai jamais eu à lui dire quoi faire, je lui ai juste confirmé que nous étions performants et j'ai continué. Quant à d'autres athlètes, je dois parfois dire : « Ne mangez pas mal, ne sortez pas, regardez, on va faire ça pour ça. » Polo, lui, a ce côté mystique, ce compétiteur unique.

Certains anciens joueurs de Monaco pensent qu'il sera de retour sur le terrain et en pleine forme d'ici trois ou quatre mois...

Peut-être plus tôt, mais je ne pense pas qu'il faille se précipiter. Dans ce genre de cas, il n'y a pas lieu de le presser. Je pense qu'il est important qu'il bénéficie d'un processus où il se sente à nouveau à l'aise, où il a confiance en lui, en l'entraîneur et en l'équipe, et où il peut contribuer au mieux de ses capacités. S'il peut revenir plus tôt, certainement. Mais ce n'est pas quelque chose qui me semble très important pour lui pour le moment. Je pense qu'il vaut mieux qu'il revienne en force, qu'il montre de quoi il est capable, plutôt qu'un retour prématuré.

S'il y a une chose qu'il n'a pas perdue, c'est son leadership, et ce même sur ces huit derniers mois...

Paul est magique. Par ses conversations, son attitude, rien que par son attitude, comment il est, comment il salue, comment il dit au revoir, comment il vous parle.  Il parle anglais, français, italien, espagnol donc peut converser avec tout le monde. C'est quelqu'un qui inspire les autres à s'améliorer, et c'est l'une des choses que j'ai le plus appréciées dans ma collaboration avec lui. Vraiment, il nous inspire à gagner, à donner le meilleur de soi-même. 

Propos recueillis par Clément Brossard