Mercato: Qu'est ce que change vraiment la nouvelle réglementation des transferts annoncée par surprise par la FIFA?

Il y avait deux écoles, au moment où la cour européenne de justice avait épinglé la FIFA dans le cadre de l'arrêt Diarra. Ceux qui pensaient que comme l'arrêt Bosman en son temps, cette décision allait faire exploser le système, et d'autres assurant que rien n'allait vraiment changer. Alors que le premier mercato post arrêt Diarra va débuter le 1er janvier, la FIFA a donc sorti en urgence, et avant de mener à bien la phase de concertation annoncée une modification temporaire de son règlement. Modification qui a surtout pour but d'éviter tout litige devant les tribunaux dans cette phase transitoire et qui est donc suffisamment floue pour pouvoir refroidir les ardeurs des avocats les plus téméraires, tout en permettant au système des transferts de continuer.
Ce "cadre temporaire" ne vaut que pour ce mercato d’hiver. Suite à l’arrêt Diarra, la FIFA doit mettre en place des règles qui obéissent au droit du travail européen, comme exigé par la CJUE en octobre. "On est à la même conclusion que l’après Diarra. Les règles FIFA ne sont pas conformes au droit européen, elles sont beaucoup trop protectrices des clubs et vont devoir être modifiées pour permettre demain une liberté de circulation beaucoup plus grande aux joueurs, explique l’avocat spécialiste du droit du sport, Thierry Granturco. Ce qui n’est pas acté, c'est la modification de la règlementation de la FIFA suite à cet arrêt. Il leur faut beaucoup plus de temps, ils ne sont pas prêts." L’instance a donc seulement modifié certains points de manière ponctuelle, pour janvier. En réalité, les quelques modifications annoncées ne changent effectivement pas énormément de choses pour cet hiver. Jennifer Mendelewitsch, agent de joueurs engagée sur la question et Thierry Granturco, avocat spécialisé en droit du sport, donnent leurs interprétations et leurs avis.
Pour rappel, La CUJE épinglait:
- La solidarité imposée à un joueur et son nouveau club après rupture de contrat dans le précédent club (corrigé dans le nouveau réglement)
-Le risque pour le clubd'êter sanctionné d'une interdiction de recrutement lorsqu'il recrute un joueur qui a rompu son contrat de façon unilatérale (la sanction existe toujours, mais il faut maintenant prouver que le club est impliqué)
- L'impossibilité pour ce même joueur de disputer des matchs pour un nouveau club situé dans un pays étranger en raison d'un blocage du certificat international de transfert (corrigé)
Que change la FIFA? 4 points principaux à regarder en détail.
1. La définition de la juste cause
Ici, l’enjeu est de savoir si le contrat a été résilié par le joueur avec ou sans juste cause. La FIFA souhaite donner une définition plus précise à ce terme et précise dans l’article 14 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs : "En règle générale, il y a juste cause lorsqu’il ne peut raisonnablement être exigé d’une partie, selon les règles de la bonne foi, qu’elle poursuive une relation contractuelle." Cela concerne, par exemple, des salaires impayés par un club envers un joueur ou son temps de jeu. "Un joueur professionnel accompli ayant pris part à moins de 10% des matches officiels joués par son club au cours d’une saison peut résilier son contrat prématurément sur la base d’une juste cause sportive", dit le règlement.
"En vérité, les joueurs ne vont pas pouvoir partir librement, explique Jennifer Mendelewitsch. Il va toujours y avoir un calcul. Un joueur qui veut partir hors transfert doit avoir des raisons légitimes... Que le club quitté ait une indemnisation au final, ça ne va donc rien changer sur les transferts." "Les joueurs savent qu’ils vont gagner, tempère Thierry Granturco. Avant, il y avait une certaine incertitude… Quitte à rester bloqué, le joueur peut lancer une procédure qui certes prendra du temps mais il aura gain de cause. Et La FIFA ne souhaite pas ça." Et donc ouvre la porte. Pour rappel, c'était justement le cas de Lassana Diarra à Moscou.
2. Les futurs clubs ne sont plus considérés d’office comme étant impliqués.
S’il est résilié sans juste cause, alors l’affaire peut prendre une tournure judiciaire. Et le joueur risque alors de devoir payer une indemnité au club qu’il a choisi de quitter avant la fin de son contrat. Mais l’une des nouveautés est là : le nouveau club du joueur, lui, ne sera plus considéré automatiquement impliqué dans l’affaire. Il risque donc de devoir payer lors du litige que s’il y a des preuves qu’il a poussé le joueur à partir. Il faut en faire la démonstration, alors qu’avant, les clubs étaient "présumés coupables". "Le nouveau club du joueur sera solidairement responsable du paiement de l’indemnité si, au vu des circonstances et faits individuels de chaque cas, il peut être établi que le nouveau club a incité le joueur à rompre son contrat." Un avantage pour les joueurs puisqu’un moindre risque pèse maintenant sur leur futur employeur. Qui pourrait théoriquement, s’il le souhaite, quand même aider son joueur à payer la facture au final.
"Il y avait un principe de co-débition comme dans l’affaire Diarra. C’est-à-dire que tous les clubs qui l’auraient engagé étaient officiellement co-débiteurs de la dette qu’il pouvait y avoir auprès de soin ancien club car ils seraient considérés comme impliqués, explique Jennifer Mendelewitsch qui pointe quand même que les nouveaux clubs n'ont pas de garantie de ne pas être sanctionné: "Il y aura forcément des éléments contre eux au final car tu ne vas pas quitter ton club qui te paye, avec qui il n’y a pas de souci sans la certitude que tu vas signer ailleurs. Et si tu as la certitude de signer ailleurs c’est bien qu’il y a des éléments, des négociations, etc. Donc ça constitue quand même une preuve qui fait en sorte que le nouveau club sera aussi sanctionné, donc je ne crois pas du tout au fait qu’il va y avoir des départs de joueurs comme ça, on va rester dans le cadre des transferts." "Un dirigeant va devoir faire un calcul schizophrénique en disant : qu’est-ce que ça me coute si j’achète ou qu’est-ce que ça coute si je vais devant la justice ?, abonde Thierry Granturco." Et c'est d'ailleurs peut-être justement le but de ce nouveau règlement d'amener les présidents à se poser ce type de question pour au final ne rien faire.
3. La notion "d’intérêt positif"
Que peut "gagner" un club contre un joueur qui a résilié son contrat (ou inversement) ? Là aussi, la FIFA éclaircit quelque peu les choses : "l’indemnité est calculée en tenant compte du dommage subi selon le principe de l’"intérêt positif", des circonstances et faits individuels de chaque cas et du droit en vigueur dans le pays concerné." Qu’est-ce que l’intérêt positif? Les spécialistes du droit eux-même ne comprennent pas vraiment cette notion. Pour résumer, elle correspond à ce qu’un club, par exemple, a perdu en voyant son joueur résilier son contrat (places potentielles au classement, droits TV, ventes de maillots, etc.) Le montant d’un potentiel transfert qui n’a donc pas eu lieu peut-il entrer dans les montants réclamés dans ces "intérêts positifs"? A priori non, pense Thierry Granturco: " C’est une manière de déterminer des dommages et intérêts. Ça peut être un club qui ne libère pas son joueur car il y a un intérêt positif derrière, le joueur pouvait rentrer dans les plans par exemple. La vraie difficulté de cette règle de casser les contrats est la crainte qu’on impacte les effectifs pour d’autres motifs que la concurrence. Comme si le 3è d’un championnat prenait quatre joueurs au premier du championnat. Je ne peux pas dire si le montant d’un éventuel transfert entre dedans, j’aurais tendance à dire non. Vous êtes vraiment dans le cadre de dommages et intérêts, pour moi ça ne rentre pas dans ce cadre. Pour moi, l’intérêt positif c’est un garde-fou pour dire au club qu’ils peuvent s’en servir pour se défendre en disant que le joueur ‘n’est pas barré pour être barré’ au club. Mais c’est LA vraie question"
Autre son de cloche pour Jennifer Mendelewitsch: "L’intérêt positif est comme s’il fallait évaluer la situation si le contrat s’était poursuivi. Si le contrat s’était poursuivi, le joueur aurait été transféré et le club aurait eu droit à une indemnité. Donc bien sûr que ça rente dedans, pour moi. Ça va être du cas par cas avec des dommages et intérêts, etc. Un joueur qui casse son contrat de manière unilatérale, sans cause, sera responsable et condamné à l’indemnité de transfert que le club aurait perdu. Encore faut-il pouvoir l’évaluer, c’est difficile de donner une valeur." Là encore, on le voit, la réglementation temporaire, met plus de flou qu'elle ne clarifie et dissuade les plus velléitaires de partir au combat contre les instances ou le système des transferts.
4. Plus de fluidité pour les transferts internationaux
Enfin, lorsqu’un joueur quitte un pays et donc une Fédération, il était avant menacé de ne pas recevoir de Certificat International de Transfert en cas de litige, ce qui signifiait ne pas pouvoir jouer. Ce n’est plus le cas. La FIFA exige que ce CIT soit émis dans les 72h après la demande. Cette menace ne pèse donc plus sur les joueurs qui souhaiteraient mettre fin à leurs contrats. "Le seul point un peu important c’est l’émission du CIT, c’était quand même quelque chose qui bloquait la liberté des joueurs, explique Jennifer Mendelewitsch. Quand tu quittes un club pour un autre, chaque fédération de chaque pays doit demander l’émission du CIT et quand il y avait un litige, on bloquait cette émission. Et tant que tu ne l’as pas, tu ne peux pas jouer ni être enregistré. Là, ils ont stoppé ça et les litiges ne bloqueront plus l’émission du CIT. On gérera les litiges après, ça ne bloque pas son enregistrement, c‘est une avancée importante pour les joueurs."