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Handball: "Rentrer pleinement dans le rôle", Gardillou évoque sa succession de Krumbholz à la tête des Bleues

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A une semaine du début de l’Euro féminin de handball (28 novembre-15 décembre), le nouveau sélectionneur de l’équipe de France, Sébastien Gardillou, a reçu RMC Sport pour un long entretien. Le successeur du monument Olivier Krumbholz entame sa première campagne avec plaisir et envie sans renier l’héritage de celui dont il a été l’adjoint pendant onze ans au total. Avec des titres de championnes du monde sortantes et vice-championnes olympiques, l’héritage est imposant pour le nouveau sélectionneur.

Sébastien Gardillou, nous sommes à quelques jours de votre première compétition en tant que sélectionneur, quel est votre état d’esprit?

C’est un mélange de plein de choses. Des championnats d’Europe, on en a vécu quelques-uns et moi le premier finalement. Maintenant avec ce costume-là, il faut rentrer pleinement dans le rôle. Oui de l’excitation parce que finalement, faire du très haut niveau, c’est aussi être confronté en permanence à ce qui se fait de mieux et le championnat d’Europe traduit ce qu’il se fait de mieux dans le handball féminin.

Un Euro juste après les Jeux olympiques, c’est toujours particulier. Ce n’est pas trop dur d’enchaîner?

C’est vrai que ça l’est. En 2021, on a enchaîné sur un championnat du monde. C’était la première et dernière fois (ndlr: les JO de Tokyo avaient été décalés d’un an à cause du Covid). C’est surtout que là, l’Euro, c’est la compétition qui me semble la plus dure à appréhender. Vous le disiez, les joueuses sont éreintées mais pour de bonnes raisons. Le championnat du monde 2023 a marqué physiquement les joueuses. Elles ont ensuite enchaîné avec les compétitions de club et sont parfois allées loin sur la scène européenne. Puis ensuite, elles ont enchaîné avec la préparation pour les Jeux. C’est effectivement un contexte très singulier.

Après les JO et cette défaite en finale, est-ce qu’il y a un sentiment de revanche ou avec le temps, on accepte la supériorité des Norvégiennes?

Il y a un peu de tout, que cela soit pour le staff ou pour les joueuses. On peut avec le temps se questionner sur ce qui aurait pu être fait et comment on aurait pu faire pour battre la Norvège. Maintenant, c’est derrière nous. A nous d’en faire une force. Ce sont des compétitrices et elles ont envie d’en découdre et d’aller le plus loin possible.

Est-ce qu’il y a eu personnellement une période blues à l’issue des Jeux olympiques?

Je vais peut-être vous surprendre mais pas du tout. J’ai l’impression que toutes les compétitions, à partir du coup de sifflet final, il y a quelques minutes d’allégresse quand on est dans des réussites ou quelques minutes d’apitoiement quand on n’a pas réussi à atteindre les objectifs mais on balaye très vite.  On passe très vite à autre parce que cela se rappelle à nous immédiatement. Enchaîner les compétitions, c’est ce qu’on fait dans le handball et là particulièrement car on a eu de peu de temps pour pouvoir amener les changements qu’on voulait amener. Essayer de maintenir cette continuité là et l’engagement des athlètes, c’est vrai qu’il y a des nations qui sont dans un processus de renouvellement que, nous, on n’a pas franchement entamé car les joueuses présentes aux JO sont présentes sur cet Euro. On va essayer d’être dans la continuité et s’il y a des changements, les amener sur une période après l’Euro.

Sur le staff, quand on voit le numéro 2 passer numéro 1, on se dit qu’il y a une forme de continuité mais le staff a été très largement renouvelé?

Il y a des chamboulements. Avec le recul, j’ai la confirmation que le staff sous l’ère Krumbholz était un staff très fonctionnel, très articulé avec des engrenages fins. On se connaissait très bien. Chacun avait ses missions et les assumait pleinement sous la direction d’Olivier. C’était clair. Là, il faut changer beaucoup de choses. Changer Olivier, c’est quelque chose de difficile. Changer Pierre Terzi (préparateur physique), ça l’est tout autant parce qu’il y a ce qui est visible et pas visible. Wah (sic)! Ça fait du travail. Mais franchement, c’est exaltant. Oui, je suis impatient de voir si on arrive en quelques semaines à se réorganiser au niveau du staff puisqu’on a la chance d’avoir un groupe qui est vraiment plein de volonté. La première semaine, j’ai trouvé les filles super impliquées et super attentives. C’était plaisant.

Comment voyez-vous votre rôle de sélectionneur? Olivier observait beaucoup et vous étiez à l’animation de beaucoup de séances...

Non, cela ne va pas forcément changer. J’essaie de laisser toute sa place à David (Burguin, le nouvel adjoint). Il a exercé des missions d’analyse de la performance pendant un certain nombre d’années et j’ai connu cette transition là (Gardillou était adjoint vidéo de 2005 à 2010). Mais j’ai eu la chance de pouvoir opérer bien plus tôt sur le terrain et de façon plus importante. La transition était fonctionnelle. Je suis content de l’organisation qui est là notre. Au-delà d’être fonctionnel, je la trouve cohérente. Il y a une vraie volonté d’être dans l’anticipation sans préparation excessive.

Comment vivez-vous le fait de vous retrouver dans la lumière, vous l’hommes plus dans l’ombre ces dernières années?

J’étais très content du statut qui était le mien. J’étais à ma place. J’ai fait ce que j’avais à faire. J’avais la chance de travailler avec quelqu’un (Krumbholz), qui prenait la lumière et qui la prenait bien. Cela me contentait vraiment. C’était un peu mon apprentissage. Je travaillais sur des missions qui m’étaient assignées et je m’épanouissais dedans. Je n’avais pas besoin de lumière. Aujourd’hui, c’est cette transition là que je gère d’une certaine façon. Je n’ai pas d’appréhension, pas d’envie particulière. Je trouve que ça fait partie de mes nouvelles missions. J’ai plaisir à le faire et à échanger aussi avec l’ensemble des acteurs puisque vous (les journalistes), vous faites partie des acteurs de ce nouveau contexte pour moi.

Vous avez déjà été numéro 1 à Metz et à Nice en tant qu’entraîneur principal, vous aviez déjà connu ça?

Plus à Metz qu’à Nice. Je pense que ce n’était pas un passage obligé mais j’ai plutôt un bon souvenir de cette exposition médiatique même si je n’ai pas recherché la lumière plus que ça. Je me suis au mieux adapté et au pire contenté.

En 2012, vous aviez déclaré après votre départ de Metz auprès du Républicain Lorrain: "Je suis impulsif et cassant, même si, j'ai des défauts, j'ai aussi des qualités. Je suis juste maladroit quand il s'agit de dire des choses." Comment voyez-vous vos propos aujourd’hui en 2024?

On ne change pas, on évolue. Je l’ai appris d’Olivier. Je pense que j’ai évolué. A cette période-là, je voulais peut-être prouver plus de choses que nécessaire. J’ai aussi dans une vraie volonté de faire le parallèle entre ce qui a été fait en sélection et à Metz. Quand je regarde aujourd’hui les dix ans qui se sont écoulés, Metz, c’est un club qui est très représentatif de ce qui se fait au niveau européen et qui va régulièrement au Final Four, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Je constate qu’il y a beaucoup de choses qui ont été faites différemment pas Emmanuel Mayonnade mais qui traduisent du fait qu’il y a une grande quantité de travail, il y a de l’exigence. Peut-être qu’à l’époque, c’était peut-être ce manque d’exigence là que je voulais signaler et que j’ai voulu changer. Peut être dans la façon de faire, j’ai été trop abrupte. Certains diront que j’étais peut-être trop précurseur. Je pense que j’ai beaucoup évolué.

La succession: "Je me suis posé des questions un tout petit peu avant et après le Mondial en décembre 2023"

Quand vous arrivez à Metz, vous sortiez de cinq ans en équipe de France avec Olivier Krumbholz dont le premier passage en tant que sélectionneur avait été jugé dur dans le management et beaucoup moins à l’écoute et bienveillant que lors de son retour. C’était un modèle que vous suiviez et votre façon de voir le management a évolué?

Je pense que oui. J’ai beaucoup été inspiré par l’école russe et Trefilov (sélectionneur de 1999 à 2019) qui était bien plus cassant. En l’occurrence, peut-être que ça m’a amené à cette déviance là car je considère que c’est une déviance dans le management puisque je n’ai pas été conservé à Metz (2010-2012). Cela fait partie aussi de mon expérience personnelle. On a eu la chance de travailler avec bon nombres d’acteurs durant les années 2016 – 2024 avec des préparateurs mentaux que cela soit Richard Ouvrard ou Pascal Niggel aujourd’hui. Je pense que chacun d’entre eux, a amené quelque chose au staff et à notre rapport à l’athlète. Les générations sont différentes et peut-être que nous aussi, on est différent.

A quel moment vous vous êtes dit, je veux prendre la succession d’Olivier Krumbholz?

Je me suis posé des questions un tout petit peu avant le Mondial en décembre 2023 et après, au regard du résultat du travail que l’on avait engagé. Ce qui a fait basculer la décision, c’est que le départ d’Olivier pouvait amener la dislocation du staff. On s’est retrouvé un soir en disant: "Est-ce qu’on a fini ce pour quoi on est là?" On a tous convenu que non. On a cherché très rapidement comment on pouvait continuer à travailler ensemble et je pense que ça s’est fait naturellement. J’ai considéré que je pouvais être le porteur du projet pour faire en sorte que ce staff-là continue à œuvrer. Plutôt dans la période post-Mondial à partir de mars, avril 2024.

Vous avez douté sur le fait que le poste aurait pu vous échapper?

Je n’ai pas trop cogité. Des doutes, il y en a tout le temps. Celui qui vous dit qu’il n’y a pas de doute, il peut le dire mais je ne le crois pas. Dans mon illustration ce qui prime, c’est l’aspect collectif, le staff. J’ai considéré que j’étais en capacité de le faire. En étant numéro 2 au contact des joueuses et avec mon expérience, cela m’a semblé non pas une évidence mais une possibilité. Je me voyais bien le faire avec les gens qui était déjà là. Même si les missions pouvaient être différentes, j’avais envie de travailler avec eux et avec les joueuses.

"Redevenir la meilleure nation du monde en défense"

Le groupe des joueuses a très peu changé (15 vice-championnes olympiques sur 17, Darleux et Nocandy absentes). Ce sont finalement les filles qui vont faire avec le staff?

C’est plutôt ça et c’est tant mieux d’une certaine façon. Il n’y avait pas raison de changer. Aujourd’hui la mission qui m’a été donnée par le Président de la Fédération, c’est de préparer Los Angeles 2028. C’est près et loin à la fois. Ce que Olivier a toujours su faire et je pense qu’on ne lui rend pas assez hommage par rapport à ça, c’est cette capacité depuis son retour en 2016 à performer quel que soit les équipes et les générations. Il l’a fait aussi avant avec des équipes que l’on pouvait estimer peut-être moins performantes que les adversaires du moment. Il a toujours su amener des médailles. Le groupe est plutôt identique voire élargie par rapport aux JO, il est très proche de celui du Mondial 2023. Cela lui donne de la contenance et de la valeur.

Quel objectif vous annoncez pour l’Euro? Olivier Krumbholz disait le dernier carré pour jouer une médaille.

Les joueuses ont envie tout le temps d’aller au bout d’une compétition et de se confronter à ce qui se fait de mieux. Mais sur un championnat d’Europe, elles se confrontent à ce qu’il se fait de mieux, match après match. Cela va passer par une quête, je ne vais pas dire longue mais fastidieuse qui commence par la Pologne, jeudi 28 novembre. Je pense qu’il y a plus simple. On enchaîne ensuite avec l’Espagne qui est une équipe qui ne nous sourit que très rarement, qui a un jeu à problèmes.

La défense sera toujours au cœur du projet de jeu ou apporter plus de fluidité en attaque, est aussi un axe majeur de progression?

Être plus fluide, ça s’est sûr parce que c’est ce qui fait que notre jeu est intéressant d’un point de vue visuel. Aujourd’hui, il y aura peu ou pas de modifications sur le jeu offensif parce qu’on n’a pas le temps. On a révolutionné le jeu il y a peu pour obtenir ce à quoi on est arrivé aujourd’hui. On fait des ajustements mais pas de modifications profondes. Par contre, redevenir la meilleure nation du monde en défense, ça, c’est un objectif fort. C’est ce qu’on va marteler. A la fin des Jeux olympiques, nous n’étions plus que la sixième nation en défense. Si on est moins bon en défense, on est moins bon en contre-attaque. Si on est moins bon en contre-attaque, on s’enlève une part de buts dit facile. Amener de la fluidité en attaque mais faire de la défense, la clé de voute. S’il y a quelque chose qui relève de l’héritage (de Krumbholz), c’est ça. Faire déjouer les meilleures nations et prendre plaisir dans ce secteur. C’est ce qui a fait notre réussite antérieure et un passage obligé. On gagne des batailles avec l’attaque mais on gagne la guerre avec la défense.

Propos recueillis par Arnaud Valadon