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Handiski: un dernier tour de piste pour Marie Bochet

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Multiple championne paralympique (8), du monde (22) et vainqueur de 100 courses et de 4 globes de cristal de ski alpin, Marie Bochet annonce qu’elle va repartir pour une saison, après un hiver "blanc" dû à une opération au dos. La Savoyarde de 29 ans s’est confiée à RMC Sport sur ses motivations pour une "tournée d’adieu au cours d’une saison sans mondiaux, ni rendez-vous olympiques, juste pour le plaisir".

Marie, ici, chez vous, dans votre alpage familial, vous avez une annonce à faire ?

Je vais continuer une saison et à la fin de l’hiver 2024, j’arrête. Je ne pouvais pas finir sur une blessure, cette hernie discale qu’il a fallu soigner par un passage sur la table d’opération en décembre dernier, et encore moins sur une chute dans le slalom des Jeux olympiques de Pékin en février 2022. Je ne pouvais pas finir sur un hiver blanc mais il va falloir que cela s’arrête quand même un jour ! J’avais envie de me "libérer", de le dire tout haut, afin tout au long de cet hiver de profiter pleinement, des dernières fois, des dernières sensations.

Comment avez-vous traversé cet hiver sans l’adrénaline de la compétition ?

J’avoue que cela n’a pas été facile car c’est le premier hiver blanc de ma carrière. En même temps, c’est allé vite avec l’opération juste avant Noël, puis toute la phase de récupération, lente et rassurante avec un gros stage à Cap Breton, long de trois semaines. Au départ, tu n’as pas trop envie et au final, ce furent des moments nécessaires dans ma vie d’athlète. J’ai surtout senti pendant cette période que mon corps était capable de repartir sur une saison, que le ski me manquait aussi … Ce fût un hiver long mais propice aux réflexions avec de nouveaux projets.

Vous auriez pu aussi arrêter sur cette blessure, sur une saison blanche ?

L’automne dernier, je crois que j’avais décidé d’arrêter sur les championnats du monde de 2023. Je ne suis plus d’ailleurs si je croyais ou si j’étais sûre (rires). Et dans cet arrêt obligé et ce passage sur la table d’opération, j’y ai vu un signe de mon corps. Je pense qu’il m’a dit : "arrêtes toi, réfléchis et vois ce que tu veux faire". Il faut aussi savoir qu’une telle décision ne se prend pas à la légère, elle trotte dans ma tête depuis 2019, je crois. Car je sortais de deux olympiades avec quatre médailles d’or à chaque fois. Les questions fusaient déjà : que dois-je faire désormais ? Quels sont mes objectifs après ces cartons pleins ? Pourquoi passer de nouveau les portillons. J’ai toujours pris un temps pour me décider. Cette "maturation" un peu longue le confirme ! (rires)

Comment va se dérouler cette "der’" ?

Je vais sortir du fonctionnement de l’équipe de France de handiski, car moi, je suis dans un objectif à court terme, d’une saison quand le reste du groupe est tourné vers les prochains Jeux olympiques à Milan en 2026. Je prends un peu mon indépendance sur des axes de préparation. Ensuite, mon fil conducteur, ce sera "prendre du plaisir". Par exemple, sur une séance de travail que je n’ai pas envie de faire, je me "motiverai" en me disant que c’est la der’ et donc, je pense que je prendrais ce plaisir. Mais cela ne veut pas dire que cela va être au jour le jour, car il y a des objectifs. Je vais rester aussi beaucoup plus à la maison, dans mon territoire, ici dans le Beaufortain. On va dire que cela va être un peu à la carte …

Le plaisir sera-t-il aussi, de toujours "gagner" ?

Forcément, je reste une compétitrice au moins pour un an. Je ne fais pas tout cela pour être à un demi-niveau. J’ai continué après les JO, pour m’exprimer à 100%.  Après, je sais que j’ai raté un hiver et que, donc, j’aurais du retard. Ce n’est jamais anodin. On ne peut pas revenir de suite au plus haut, mais je vais arriver avec ma fraîcheur de future retraitée, et cela va m’aider (rires) !

Comment compenser cet hiver blanc ?

Ce temps m’a permis de savoir pourquoi on fait tous ces efforts, et pourquoi on accepte de se blesser pour aller plus haut. Et pourquoi, on se donne du mal pour revenir. Cela me fait peser l’importance de ce projet. Ce dos, je l’ai pris comme un stop de mon corps. "Ok, tu te poses, car je sens que tu as besoin de fraîcheur physique car j’ai enchaîné."

Jamais vous avez pensé d’aller jusqu’au JO 2026 ?

C’était trop énergivore. Je l’avais déjà ressenti à la sortie de la précédente olympiade. C’est pour cela que j’avais annoncé à Pékin que ce seraient mes derniers JO après quatre paralympiades et un bouquet d’émotions complet. Et je ne vois pas ce que j’aurais pu aller chercher de plus en 2026: plus de fatigue, et peut-être plus d’aigreur car je n’aurais peut-être pas eu toute cette spontanéité née d’une fraîcheur qui aurait baissé. Et puis, dans cette période, j’ai intégré la commission des athlètes de Paris 2024 et j’ai vu que les JO pouvaient aussi se vivre différemment. C’est aussi chouette de découvrir.

Marie Bochet en 2023.
Marie Bochet en 2023. © YPM Médias.

Après la fin de saison 2024, qu’allez-vous faire ?

Il y a beaucoup de projets qui sont nés et concrétisés dans cette période, entre une expérience de consultante pour les Mondiaux de ski qui va se poursuivre sur les Mondiaux d’athlétisme cet été. Je vais aussi reprendre les études pour valider un diplôme à Sciences-po que je n’ai pas eu le temps de finir. J’ai besoin aussi de me définir autrement qu’une "simple" athlète qui sait gagner des médailles. J’ai besoin de découvrir aussi qui je suis derrière l’athlète.

Agir dans votre territoire vous tient à cœur ?

Oui, il n’y a peut-être pas forcément de lien avec tout le reste, mais je vais ouvrir un espace de co-working ici dans le Beaufortain pour mettre du lien social dans un territoire qui est le mien. C’est pour cela aussi que je fais cette annonce aujourd’hui, chez moi, histoire d’être protégée par "mes" montagnes. Je suis ambassadrice de la vallée dans son ensemble où j’ai tout connu. Je transpire cette vallée, notamment dans cet alpage familial. Je ne vois pas la vie ailleurs qu’ici. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas aller ailleurs. J’adore voyager, j’adore découvrir le monde. Mon camp de base restera ici dans ces alpages du Cormet de Roselend.

Vous aurez forcément un regard, voire plus, sur les Jeux olympiques de Paris 2024 ?

Oui et même si ce seront des JO d’été et que, nous athlètes de l’hiver, nous les croisons peu, ceux de l’été, je vais commencer par me familiariser avec les Mondiaux de parathlétisme de cet été. J’ai envie de les découvrir. Ensuite, d’avoir les JO paralympiques en France, c’est une belle opportunité d’un coup de projecteur et j’espère, d’offrir un autre regard sur les disciplines paralympiques. Et je sais que le comité d’organisation a cette volonté de les mettre au même niveau que les JO valides. J’appelle les médias à donner la valeur qu’ils méritent car il y aura des performances extraordinaires et complétement folles. Je vous invite d’ailleurs à guetter l’ouverture de la billetterie en septembre car cela vaudra le coût de vivre ces sports et ces émotions.

De l’intérieur, vous qui êtes dans la commission des athlètes, comment se passe l’organisation ?

Je peux vous dire qu’il y a énormément d’efforts faits. Alors, oui, ce ne sont pas des JO qui vont transformer la société, mais si des lignes peuvent bouger, ce serait déjà un premier pas. J’amène mon expérience de mes quatre participations de Vancouver à Pekin, en passant par Sotchi et Pyeonchang, en sachant que les JO d’hiver et d’été, en terme de nombre d’athlètes, cela n’a rien à voir. Mais j’apporte ma petite expérience de vie dans ce milieu riche de 15 années. J’ai envie que l’on voit l’athlète d’abord en situation de handicap et pas des handicapés qui font du sport. Je souhaite qu’on médiatise l’athlète aussi en amont des JO et après. Qu’il y ait un suivi. Et je veux que les athlètes paralympiques aient la même expérience olympique que les autres. Je ne veux pas qu’ils récupèrent les miettes. C’est ce sur quoi on travaille à la commission des athlètes. Et cela avance vraiment. Nous travaillons de façon concrète sur cela.

Quel est votre regard sur l’évolution de l’appréhension des JO Paralympiques, vous qui les avez découverts à 16 ans à Vancouver en 2010 ?

Les JO de Londres ont été d’une vraie importance dans la médiatisation et moi, je l’ai senti après Sotchi où j’ai été porté après mes quatre médailles. J’ai vraiment senti une explosion médiatique.

Un dernier mot sur la saison à venir. Quels sont vos objectifs finalement ?

Je n’ai jamais chiffré d’objectifs très clairs. Je veux me faire plaisir et me donner à 100%, sans avoir de regret, en donnant tout ce que j’ai en moi. Si j’arrive à cela, j’aurais réussi. C’est un challenge émotionnel avant tout. En l’annonçant aujourd’hui, cela me libère d’un poids. Et la suite sera un vrai défi.

Propos recueillis par Edward Jay