JO 2022 (Ski alpin): Clément Noël, enfin à l'heure olympique ?

Fermez les yeux, et imaginez un speaker en temps normal déjà très volubile. Imaginez-le cette fois s’égosiller tout un dimanche à en perdre les pédales, au point de s’oublier sur son micro et de se mettre à haranguer la foule en chantant pendant de longues minutes 'Cléééément Noël TA-TA !!!! Cléééément Noël TA-TA' sur l’air de la célèbre chanson 'Highway to hell' du groupe AC/DC.
Cette scène très rock, agrémentée de quelques fumigènes, de gigantesques drapeaux tricolores, et au passage copieusement arrosée de bière et de soleil, s’est déroulée il y a un peu plus de deux mois à Val d’Isère. Le jeune prodige du slalom français venait de découper quelques minutes auparavant, façon 'maestro', la face de Bellevarde, collant 1 seconde 40 à son concurrent le plus proche (écart abyssal), et enneigeant par la même occasion les yeux de ses adversaires de toute sa classe et son talent.
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Clément Noël remportait là son 9ème slalom en Coupe du Monde, dépassant au passage sur cette discipline, la légende Jean-Baptiste Grange. Son premier succès dans sa station d’adoption à seulement 24 ans. Vous avez dit du grand art ? Lui évoquait alors bien sûr sa joie mais surtout le soulagement de voir son travail de l’intersaison payer, dressant au passage la longue liste de ses concurrents pour l’hiver, et ne manquant pas de rappeler selon une formule bien établie dans le ski qu’"à chaque course tous les compteurs sont remis à zéro."
Ses trophées dans un placard
Cette dernière phrase sonne bien juste cinq courses plus tard, alors que Noël n’a plus remporté un seul slalom, rentrant dans le rang en dépit d’un talent supérieur évident. Surtout, elle résume bien l’état d’esprit qui a toujours été le sien, même lorsque petit il gagnait déjà de nombreuses courses dans ses Vosges natales. "Quand il était jeune, toutes ses coupes ont toujours fini par prendre la poussière dans l’armoire, témoigne ainsi Laurence Noël, la maman du champion. Clément ne voulait pas les exposer, il n’a jamais aimé. C’est dans un placard dans sa chambre, comme ça on ne voit rien. Il aurait l’impression d’être prétentieux si on les montrait."
Cette modestie, parfois déroutante, est l’un des principaux traits de caractère de Clément Noël. Tous ses proches l’évoquent, Patrick Chevallot en tête. L’emblématique boulanger-pâtissier de Val d’Isère, a accueilli Clément Noël chez lui en 2012 lorsqu’à 15 ans, il venait d’intégrer le très prestigieux Club des Sports de la station savoyarde. "Il lui fallait un logement", se souvient l’artisan. "Au début on l’a mis dans un studio qu’on lui avait prêté en bas de chez nous, mais ça s’est vite transformé en famille d’accueil. Clément s’entendait bien avec ma femme, avec moi et avec mes fils. Il est monté d’un étage il est venu habiter à la maison pendant 3 ans. On l’a pris sous notre aile. Il était tellement discret sur le ski que si on ne lui demandait pas ses résultats, il ne nous en parlait pas, même à mes fils. Un très très gentil garçon. Tellement humble."
Chez Chevallot, Clément Noël va aussi découvrir certains plaisirs de la vie, comme la gastronomie. La maison est très réputée dans ce petit coin de Savoie au point que de grands chefs sont régulièrement invités à la table familiale. Au début l’ado ne mange pas de tout, mais petit à petit à force de goûter beaucoup de choses, il s’aiguise le palais et devient un fin gourmet. "Je n’ai pas la prétention de lui avoir enseigné ça, tempère Chevallot, mais ce qui est sûr c’est qu’à force de tester des choses très différentes, il a fini par devenir un épicurien. Résultat maintenant, il adore manger chez des chefs étoilés. On a fait de lui un bon vivant."
Des sorties en discothèque "cachées"
A cette époque-là, Patrick Chevallot prend également conscience des capacités intellectuelles de son rejeton d’adoption: "C’est simple d’accueillir des garçons comme ça. Il était très travailleur. Pas besoin de le surveiller. Parfois il faisait ses devoirs au bout de la table. Il ne faisait tellement pas de bruit qu’on ne savait même pas qu’il était là."
Bosseur sur les bancs de l’école, au point d’obtenir son bac S en 2016 avec 18 de moyenne et les félicitations du jury, et acharné de travail également sur les skis depuis toujours. "Aux entraînements, tout petit déjà, Clément analysait beaucoup de choses, se souvient Catherine Biegalke, ancienne présidente du club de son enfance à Ventron dans les Vosges. Il refaisait les exercices à chaque fois qu’il faisait des erreurs, jusqu’à ce qu’il arrive à trouver pourquoi il y avait eu ces erreurs."
Une fois malgré tout, Patrick Chevallot se souvient avoir dû aller toquer un matin à la porte du champion en devenir qui avait loupé son réveil pour aller s’entraîner sur un glacier en été. "Sinon il s’est toujours levé. Il ne se couchait pas trop tard le soir. Bon y’a eu des petites sorties cachées on va dire, je l’ai appris il n’y a pas très longtemps, sourit Chevallot. Des sorties avec mes garçons dans les bars et les boîtes de nuit de Val d’Isère. Ils rentraient discrètement tôt le matin. Ça n’a pas dû arriver trop souvent mais c’est un côté qu’il m’avait caché." Le signe aussi quelque part de la capacité de Clément Noël à bien s’adapter aux situations en toutes circonstances.
"Son ski va servir de modèle pendant de nombreuses années"
En devenant adulte, tous ces traits de caractères conjugués ont forgé le champion qu’il est devenu. "Clément c’est le coureur le plus intelligent que je n’ai jamais entraîné, témoigne ainsi Simone Del Dio, coach des slalomeurs français. Pour moi, un mec intelligent, c’est un mec capable de trouver une solution à chaque problème, et de la mettre en place le plus vite possible. Lui, il est vraiment comme ça."
Un bourreau de travail donc, tendance virtuose à écouter Théo Letitre l’un de ses partenaires en équipe de France, et grand ami dans la vie. "C’est quelqu’un à la recherche de la perfection et du détail. C’est un exemple, c’est le meilleur slalomeur sur Terre aujourd’hui. Il a amené quelque chose dans le ski qui va servir de modèle pour plusieurs années, cette façon de skier le bassin immobile avec juste le bas du corps qui travaille."
Maître du temps
A son corps défendant, cette attitude sur les skis donne parfois le sentiment à l’y voir, d’un Clément Noël détaché, presque désinvolte. Un sentiment que se souvient avoir dû combattre sa maman, Laurence quand il était jeune. "A l’école, les adultes le jugeaient mal au premier abord, parce qu’il dégageait une impression de nonchalance. Il avait des grands cheveux, il faisait un peu type surfeur, il arrivait en classe très cool."
Devenu adulte, cette nonchalance s’est transformée en une décontraction qui amuse son entourage. "C’est un garçon assez calme, toujours 'tranquillou tranquillou', raconte ainsi dans un sourire presque de dépit Simone Del Dio. Le matin avec son technicien Stefano s’il peut gratter deux minutes et partir à 7h17 au lieu de 7h15, il est content. Ça ne paraît rien deux minutes, mais pour lui ça veut dire qu’il est dans la tranquillité. C’est un mec qui maîtrise le temps, qui maîtrise les choses. C’est la force mentale du champion."
Un champion insatiable, qui tentera aujourd’hui de ne faire qu’une bouchée de la concurrence sur la piste de Yanqing en Chine. La France n’a plus connu l’or olympique en slalom depuis Jean-Pierre Vidal en 2002 lors des JO de Salt Lake City aux Etats-Unis. Mais la compétition s’annonce bien indécise. La densité cette année en slalom est hallucinante. Sur les six slaloms disputés cette saison en Coupe du monde, 14 garçons différents sont montés sur le podium et aucun skieur n’a réussi à remporter plus d’un slalom dans l’hiver.